Célébrer la photographie populaire

Extrait de l’exposition, section intitulée
Extrait de l’exposition, section intitulée


Sidetracks: Working with two photographic collections

Exposition présentée au Photo Workshop Gallery (Johannesburg)

Vernissage: 13 juin 2013

13 juin – 30 juillet 2013

www.marketphotoworkshop.co.za

Certaines images fortes, à force d’être vues et revues au fil du temps, sont devenues emblématiques des évènements clés de l’histoire de l’Afrique du Sud. Mais qu’en est-il des photos de famille ? Quelles anecdotes personnelles et quel genre d’histoire peuvent-elles émettre? Si l’on compilait une histoire de l’Afrique du Sud en n’utilisant que du matériel photographique d’ordre du privé – c’est à dire des photos d’amateurs, des albums de famille, des photos de studios, des portraits retouchés ou colorés à la main, des cadres de photos de mariage, etc – à quoi cela ressemblerait?

Sidetracks est une exposition qui présente côte-à-côte deux collections photographiques remarquables mais peu connues du public. Tous deux appartiennent à des familles sud africaines, mais sont toutefois très différentes l’une de l’autre. En effet, ces deux archives représentent deux segments de la société sud africaine qu’à première vue tout oppose, tant en terme de classe et de ‘race’ qu’en termes de géographie et d’époque. La première collection est le résultat de 150 années d’accumulation de photos au sein de la famille Fyvie, une famille blanche, anglo-saxonne et d’occupation agricole, vivant dans une ferme située dans la province du Natal. La deuxième collection est composée de l’œuvre de Ronald Ngilima et son fils Torrance, deux photographes ambulants africains, qui dans les années 50 et 60 ont offert leurs services aux communautés urbaines africaines, ‘coloured’ et indienne habitant autour de Benoni, une ville minière à 25 km de Johannesburg.

Si les photos exposées dans Sidetracks sont tirées des moments intimes de la vie familiale, elles réverbèrent inévitablement les forces socio-économiques en jeu dans le pays et auxquelles les deux familles étaient soumises. L’archive photographique des Fyvies doit ainsi partiellement son existence au système législatif discriminatoire donnant à cette famille blanche un accès privilégié à la terre et garantissant leur présence continuelle en ce lieu qui perdure jusqu’à ce jour. En revanche, les quartiers urbains vivants et très métissés que les Ngilimas photographiaient ont depuis longtemps été détruits, suite aux vagues des évictions forcées qui éclatèrent au milieu des années 60.

Extrait de l’exposition, section intitulée « Pin-ups and Brides ».
Extrait de l’exposition, section intitulée « Pin-ups and Brides ».

Au fil de ces images se profilent des thèmes tristement familiers pour l’Afrique du Sud, notamment l’histoire de la fracture raciale et l’expérience du régime d’apartheid au quotidien. Des figures noires apparaissent au bord des photos Fyvie, ayant accidentellement échappé au regard du photographe. En parallèle, les sourires éclatants des blanches pin-up girls s’esquisse discrètement dans les portraits Ngilimas, sur les calendriers et les affiches publicitaires qui décorent les modestes maisons de banlieues. L’exposition tente néanmoins de voir au delà des binômes réducteurs ( ‘blanc/noir’, ‘oppresseur/opprimé’) pour faire place aux ‘petits récits’ qui se déroulent silencieusement en marge de l’Histoire, celle étroitement définie par le récit dominant de la lutte de résistance contre l’apartheid.

Sidetracks est l’extension du travail de recherche que nous avons effectué dans le cadre d’un projet de doctorat. Notre correspondance électronique initiale fit place à un dialogue visuel basé sur l’exercice d’accoupler des images qui, nous semblait-il, s’appelaient ou se faisaient écho. Des connections étonnantes ont commencé à émerger entre ces deux fonds d’archives: compositions similaires, des poses pratiquement identiques, des thèmes photographiques se répétant à travers les générations et les classes sociales. Sidetracks veut avant tout célébrer la photographie populaire, proposer l’idée que les sujets figurants sur ces photos ont été motivés par des fantaisies et aspirations remarquablement semblables et profondément humaines.

(à gauche) Tirage coloré à la main. Collection Fyvie, date inconnue. | (à droite) Bal tenu au fameux Davies Social Centre. Par Ronald Ngilima, Benoni Old Location, vers 1955.
(à gauche) Tirage coloré à la main. Collection Fyvie, date inconnue. | (à droite) Bal tenu au fameux Davies Social Centre. Par Ronald Ngilima, Benoni Old Location, vers 1955.

Le titre ‘Sidetracks’ joue sur les deux significations que porte le mot en anglais. En premier lieu, ce sont des rails secondaires ou mineurs du système ferroviaire. Le train joua un rôle important dans notre conception de cette exposition. En effet, le train a le potentiel à la fois de connecter et diviser les populations. Le train permettait les gens de traverser le pays, de maintenir les liens entre le monde urbain et le monde rural. En même temps, la hiérarchisation raciale était maintenue, certains wagons étant réservés exclusivement aux populations blanches. Souvent, les rails de train fonctionnaient comme une frontière physique entre deux quartiers. En deuxième lieu, to sidetrack veut également dire ‘faire une digression’. Ces idées de lien, de circulation, de division et, au sens métaphorique, de diversion ou de marge, ont été centrales dans l’imagination d’une réciprocité possible entre les deux sociétés représentées dans cette exposition.
Résultat de la démarche: une vaste constellation d’images, sillonnée de lignes de connections, de commentaires et d’anecdotes écrites à la main– une espèce de carte photographique tentaculaire qui non seulement suggère les complexités de la ‘micro-histoire’ sud africaine, mais qui invite également le public à s’interroger sur les différentes façons de regarder et de travailler avec des archives photographiques.

Sophie Feyder

Tamsyn Adams