Décollage immédiat

Il y a 8 mois, je suis tombée sur un montage Vimeo. Une atmosphère rétro-futuriste pour des images en format carré, au style vintage piqué à Hipstamatic. Des couleurs flashy passées à la moulinette pastel, à moins que ce ne soit l’inverse. Des Noirs en combinaison d’astronautes en wax, un drapeau avec des étoiles qui sourient et d’étranges rencontres du troisième type à la fin du montage. Une ambiance sonore dépaysante, mélange de bruits, de cris d’éléphants, d’archives sonores d’une Afrique lointaine. Quel était donc cet ovni ? The Afronauts de la photographe espagnole Cristina de Middel, qui a bénéficié d’un buzz éclair : en quelques mois, la série a fait le tour du monde. Lorsqu’à la rentrée 2012, nous avons décidé de l’exposer au sein du festival Circulation(s), nous étions loin de nous douter de la force de frappe que cette œuvre allait acquérir en si peu de temps. Cristina a onze expositions personnelles de prévues en 2013 (et nous ne sommes qu’en février), dont les Rencontres d’Arles en juillet prochain; le livre, auto-financé, au tirage déjà épuisé, est aujourd’hui vendu à quelque 1200 dollars et la photographe est représentée par plusieurs galeries dont Tagomago (Paris-Barcelone).

The Afronauts © Cristina de Middel
The Afronauts © Cristina de Middel

Cristina a décroché la lune en décidant de raconter l’histoire du programme spatial zambien, né dans les années 60 et qui tourna court faute de financements. Le professeur Edward Makuka Nkoloso décide, en 1964, d’entraîner dix hommes, une femme et deux chats. Ancienne journaliste et photo-reporter, Cristina est tombée par hasard sur cette aventure oubliée des livres d’histoire et décide de la travailler à sa manière. Sa recherche plastique est basée sur des faits historiques et scientifiques qu’elle transforme au gré de sa sensibilité. Car, avant d’être journaliste, Cristina a fait les Beaux-Arts. Ce qui donne au livre The Afronauts, une saveur toute particulière, mixant les photographies avec des dessins réalisés par Cristina, des photos noir et blanc d’époque, des coupures de presse et des extraits de correspondance officielle entre le professeur et le gouvernement. Dans ses mises en scènes, c’est également la photographe qui crée les costumes, les décors et les accessoires. Elle pointe avec tendresse la petite fusée rouge et blanche dans la photo du jeune Africain qui rêve. « Je l’ai faite en pensant à Tintin. »
The Afronauts © Cristina de Middel
The Afronauts © Cristina de Middel

Le livre – tout comme sa scénographie à Circulation(s)- est une sorte de carnet de notes accumulées tout au long de l’année 2010. « Je n’avais pas de limite de temps. Je suivais mon inspiration. Sortie des Beaux-Arts, je n’ai jamais rien compris au monde de l’art et, après 8 ans passé dans le photojournalisme, à couvrir Haïti, le Bangladesh, le Pakistan ou la Syrie, j’ai été très déçue. Je ne voulais plus faire partie de cette machine. En 2010, j’ai pris une année utopique, pour raconter cette histoire, comme je le voulais. »
The Afronauts © Cristina de Middel
The Afronauts © Cristina de Middel

Résultat : surtout pas d’objectivité ! Non, les clichés n’ont pas été pris en Zambie. En fait, ils ont été pris partout sauf en Zambie. Ce coyote qui regarde le cosmos est Américain, cet Africain qui se baigne, flotte sur… la Mer Morte. On est au Sénégal, à Palma de Majorque, à Alicante, sur un lac en Italie… « Les images sont plus subjectives qu’informatives. Je voulais qu’on comprenne l’histoire sans savoir où était la fiction ou la réalité. L’idée était de documenter le rêve plus que ce qui s’est réellement passé », explique Cristina, qui revendique la manipulation de ses images, brisant délibérément les règles de la photographie documentaire. Elle retravaille ses photos, comme ce mur bleu constellé de moustiques écrasés : elle en a effacé un certain nombre de manière à ce que les traces forment la Grande Ours… C’est ce mélange entre art et réalité qui emporte l’imaginaire. « C’est mon premier travail 100% honnête. Je ne joue pas à être artiste ou photo-reporter. C’est vraiment moi. »