Jouer avec la réception des œuvres et des clichés : l’univers de Fatima Mazmouz offre une multitude d’interprétation. Fatima Mazmouz a l’art du détournement et dégage, avec son imagerie moderne et cynique, des questionnements identitaires, temporels, culturels… Entrons dans cet univers ironique qui offre un regard plastique sur des problématiques contemporaines.
Pour cette interview, nous avons pris le parti de nous axer sur des problématique qui te semble cher: le détournement et la représentation de l’autre.
Ton travail artistique semble rejoindre ton travail théorique par des questionnements communs sur les représentations de ta propre identité comme femme artiste, française d’origine marocaine. Quels sont ces questionnements et comment sont-ils nés ?
Tout d’abord ces questionnements évoluent. Comme tout artiste, on travaille avant tout sur sa propre identité aussi complexe quelle soit. J’ai commencé avec un travail sur mon milieu. Ma première série était sur le Kitsch. Je suis partie de mon univers, chez moi. Ma mère décorait toujours la maison avec des objets kitsch. Je lui ai demandé un jour, pourquoi elle faisait cela, elle m’a alors expliqué que ces objets étaient beaux pour elle. Ce que l’on appelle « le kitsch » en occident, est perçu très différemment dans les cultures orientales.
Au fur et à mesure que mon travail avançait je me suis interrogée sur ce qui déterminaient les codes culturels d’une société, d’une culture à travers leurs représentations et surtout à travers la réception que l’on pouvait en faire.
Dans ton travail « Immigration marocaine » mais aussi dans d’autres travaux comme « Histoire de femmes » , tu sembles déjouer des codes, peux tu nous présenter brièvement ces deux séries ?
« Immigration marocaine » présente une série de photographies mettant en scène des nains de jardins. Pour moi il était essentiel à travers ce travail sur l’autre de communiquer la confusion d’une réception vécue toujours sur le mode de la caricature en l’occurrence ici à travers les caractéristiques que véhiculent les nains de jardins très facilement identifiables de part leur historicité.
« Histoire de femmes 3 » est une réflexion au départ plus intimiste sur la perception du temps qui se joue dans mon village d’origine (région montagneuse proche de Tafraout) en mettant en scène des femmes du pays. La réception de cette série m’a étonnée car on voulait absolument y voir une critique de l’Islam (terrorisme) ou de la condition de la femme au Maroc. Pourquoi pas ? Le propre d’une oeuvre c’est de pouvoir s’adonner à une multitude d’interprétations. Seulement il me semble qu’à vouloir toujours substituer une identité collective ethnique (Maroc, pays arabes, Afrique, Islam…) à une identité individuelle c’est à dire une identité qui a une histoire propre avec une sensibilité et une perception du monde particulière, là il y a effectivement un danger car on ne fait plus l’effort d’entrer plus dans l’oeuvre. On se contente d’une interprétation extrêmement réductrice renvoyant à une actualité souvent médiatique.
Tu détournes l’univers enfantin dans tes images. Tu associes des groupes humains (marocains immigrés, femmes marocaines) à des personnages en carton pâte comme les nains de jardins ou les poupées. Au Maroc, ces substitutions ne sont elles pas vu comme réductrices ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure les nains de jardins ont une histoire propre qui s’inscrit dans l’occident européen. Au Maroc, il n’y a pas le même système de références. Mes substitutions ne sont donc pas du tout vues comme réductrice. Au contraire pour eux c’est un univers particulier mais surtout qui sort d’une compréhension très classique de ce que peut être la photographie (paysage, portrait, scène de rue …), c’est à dire qui sort de la photographie documentaire.
Pourrait on-te qualifier d’artiste du détournement ?
Pourquoi pas. On me qualifie davantage d’artistes du recyclage, du kitsch… Mais j’essaie de toujours de déplacer les codes, les sens. C’est donc effectivement une question d’histoire et de détournement.
Il y a aussi un part d’humour dans tes différents travaux photos, vidéo ?
Le détournement c’est d’abord de l’humour, de l’ironie et parfois même du cynisme. Ici il est perçu comme une critique alors qu’avant tout c’est de l’humour. Par exemple mon projet « Mouton Land », est plein d’humour. Pourtant le public le réduit à sa relation à la religion musulmane. Comme si la notion de sacrifice était propre aux musulmans. Ce qui rend difficile la possibilité de le présenter.
Est-ce qu’aujourd’hui tu arrives à être présentée à l’étranger comme artiste sans label marocain, méditerranéen ou africain ?
Je pense que c’est un long travail. Je suis encore tout début de mon parcours. Actuellement, je suis avant tout mis en avant pour ma marocanité, africanité, je pense que c’est en train de changer. L’année dernière j’ai participé au festival international de la photographie de Arles. Je suis représentée à Paris par la galerie Mamia Brétésché qui expose des artistes contemporain avant tout (occidentaux et autres) mais surtout sans label particulier. Alors pour l’instant j’occupe l’espace qu’on me propose. Après tout l’essentiel pour moi c’est que l’on puisse voir mon travail et tant pis pour les visions réductrices.
Ton travail bien que très différent m’a fait pensé au travail de Paul Mc Carthy.
Dans la référence continuelle à l’enfance et à son iconographie, sûrement.
Depuis 2000 tu réalises aussi des vidéos artistiques, peux tu nous en dire un peu plus ? Enfin pourquoi le choix d’utiliser la vidéo comme médium ?
La vidéo est arrivée dans mon parcours artistique comme une suite logique. Il y avait des émotions, une approche de certains univers que je n’arrivais pas à traduire en photographie et qui ont trouvé naturellement leur place avec la vidéo. Sinon les problématiques qui me préoccupent en général dans mon travail artistique sont les mêmes pour la vidéo comme pour la photographie. Je peux néanmoins introduire le son avec la vidéo.
Les questionnements que tu développes dans ton travail sont souvent liés à une production de photographie mise en scène, plus proche de la fiction que du documentaire. Pourquoi adopter ce procédé?
La fiction est mon univers. Mes références au niveau cinématographique (Fellini, David Lynch…) d’histoire de l’art (Giorgio de Chirico, Champaigne,…) ou encore Borges en littérature.
Les raisons pour lesquelles certains privilégient la fiction à d’autres modes d’expression ont été tellement développées par les philosophes et penseurs (Clément Rosset). Mais depuis les réflexions entre autre de Barthes sur « le neutre » (qui eut des répercussions sur le monde de l’art), la fiction s’est vu quelque peu évincée de la scène artistique depuis quelques années. Elle revient timidement sur la scène artistique aujourd’hui.
A quel public est-ce destiné ?
Après quelques réflexions, je me dis que c’est peut-être un public virtuel. J’essaie bien sûr de toucher le public de l’art contemporain.
Ton travail dans le futur ?
Je poursuis mon travail sur l’avortement. Si vous voulez découvrir le travail de Fatima Mazmouz, elle présente « Histoire de femmes 4 » suite à l’invitation de l’artiste Véronique Sédro.
Exposition du 5 au 25 juillet 2007
Galerie Mamia Brétésché
48, rue de Chapon – 75003 Paris.