Marie Hudelot entre deux rives

C’est son héritage familial que Marie Hudelot met en scène dans ses portraits. Avec elle, on est dans l’entre-deux : entre-deux rives d’abord – entre la France et l’Algérie, pays d’origine de sa branche maternelle – et ambivalence qui se dégage des images, à la fois pleines de force et de douceur. Marie Hudelot a grandi dans la région de Toulon, entre une mère d’origine algérienne, totalement méditerranéenne, et un père « français-pêche-chasse-et-traditions ». Une double culture à laquelle elle rend hommage mais qu’elle questionne et chahute aussi. Elle travaille en argentique, au moyen format et en lumière naturelle. Les poses ont eu lieu dans son ancienne chambre de la maison familiale près de Toulon et dans un appartement parisien. Un travail au long cours. « Il me faut au moins une heure pour construire chaque image. C’est comme une peinture. J’ai d’ailleurs un rapport de peintre à modèle avec les gens qui posent pour moi. C’est physique et il faut que la personne soit très impliquée. » Elle nous dévoile 4 images de la série.

Je chine, je récolte des choses dans la maison de famille et les vide-greniers. Pour ce portrait, j’ai utilisé des racines de coquelicots que j’ai ramassé sur ma route, près de la maison de ma mère, dans la région de Toulon. Elle adore jardiner, tout comme ma grand-mère, et moi-même j’ai failli arrêter la photographie pour devenir fleuriste et faire des compositions florales. Le coquelicot, c’est une fleur sauvage, difficile à dompter et qu’on ne peut pas planter. Je les ai agencé de manière à faire un chapeau et ils symbolisent mes racines familiales, la branche féminine de ma famille.

Camouflage aux racines © Marie Hudelot
Camouflage aux racines © Marie Hudelot

Camouflage aux fourrageres © Marie Hudelot
Camouflage aux fourrageres © Marie Hudelot

C’est mon demi-frère qui pose. C’est une des seules images où l’on voit le corps car je voulais signifier la couleur de la peau. D’habitude, mes portraits ont les yeux fermés, les visages sont cachés, où la personne est de dos : c’est une façon d’avoir du recul, d’aller au-delà du portrait classique. Mon frère est africain –il est algéro-sénégalais – et il fallait que cela se voie. A Toulon, quand j’étais petite, un jour on m’a chassé de la cour en me disant que j’étais arabe. Je n’ai pas compris sur le coup. Je vivais avec ma mère et on se sentait françaises. C’est vrai, j’ai la peau mate, je suis métissée, mais je ne comprenais pas. C’est à partir de ce moment que j’ai compris la dangerosité du phénomène de groupe, de ce petit pourcentage de barbarie et d’idiotie qui fait que le Ku Klux Klan existe ou que l’on puisse déclarer une guerre… Mon frère porte sur la tête des fourragères, des éléments de décoration militaire. Dans mes histoires familiales entre la France et l’Algérie, la guerre est très présente hélas. Mon grand-père, qui était de Biskra, a fait le débarquement de Provence et, après la guerre, il est resté en France. On parle beaucoup des vétérans mais peu des tirailleurs comme lui. On est allé le chercher dans son village, il avait 16 ans. Il ne nous a jamais raconté cette histoire. C’est une manière de dire qu’on ne rend pas assez hommage à ces personnes, d’où l’accumulation de fourragères. Du côté de la famille de mon père, dans la région de Besançon, la guerre a aussi beaucoup marqué. Et côté, algérien, certaines de mes tantes ont été très impliquées dans la guerre d’indépendance.

Le carreau vichy représente pour moi la tradition occidentale, française. Dans ma famille algérienne installée en France, tous les couples sont mixtes, tout le monde est bien intégré. Ma mère a été bien accueillie par la famille de mon père mais il y a toujours des a priori racistes qui trainent et qui m’ont beaucoup choqué. J’ai voulu avec ce portrait évoquer l’exotisme et parler du stigmate de l’étranger.

C’est un hommage à ma grand-mère algérienne, arrivée en France en 1954. J’ai voulu faire une femme-samouraï, une femme-guerrière avec cette armure de foulards. Elle a toujours porté plein d’étoffes. C’est aussi une réponse aux bourgeoises qui trouvaient que les foulards n’étaient pas chics, il y a un côté gitan. C’est une accumulation qui devient une force. Elle ne voulait pas retourner en Algérie car mon grand-père lui avait en quelque sorte donné une chance d’ascension sociale. Elle, qui était analphabète, a pu ouvrir un bar et devenir son propre patron. Elle tient d’ailleurs toujours un bar à Toulon !

Héritage, Marie Hudelot

jusqu’au 24 mai 2014 à la Galerie Rivière/Faiveley.

70, rue Notre Dame de Nazareth 75003.

www.galerierivierefaiveley.com

Camouflage à l'ananas © Marie Hudelot
Camouflage à l’ananas © Marie Hudelot

Camouflage aux foulards © Marie Hudelot
Camouflage aux foulards © Marie Hudelot