En 2011, nous découvrons Ya Kala Ben / Regards croisés, une série intriguante qui interroge les pratiques rituelles en Guinée (pays dont est originaire la mère de la photographe). A travers ses images, Namsa Leuba décontextualise les fétiches et statuettes et les met en scènes dans un sens inhabituel. Dans cette interview, retour sur ses pérégrinations photographiques sur l’identité africaine à travers ses images et son parcours.
Bonjour, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je travaille depuis 4 ans sur l’identité africaine à travers le regard occidental. _ J’ai été récompensée en 2010 par le prix des étudiants du festival de la photographie Planche(s) Contact de Deauville, présidé par Bettina Rheims, qui m’a permis d’obtenir une résidence d’artiste à Deauville.
J’ai été publiée dans de nombreux magazines, j’ai exposé mon travail “Ya Kala Ben” dans l’Espace Lausannois d’Art Contemporain en 2011.
J’ai été récompensée par le prix Photo Global à Hyères en 2012 pour lequel j’ai reçu une bourse pour étudier en postgrad une année à l’école d’art visuel de New-York (USA).
En 2012, je reçois pour 3 mois une résidence d’artiste à l’Atelier vaudois du 700e de la Cité International des Arts à Paris (FR). En 2013, je suis une des gagnante de la fondation Magenta du Festival Flash Forward – photographe émergeant aux Etats-Unis.
Au début de l’année 2014, je partirai pour 5 mois en Afrique du Sud dans une résidence d’artiste que j’ai obtenue par Pro’Helvetia.
Ces dernières années, votre travail photographique s’est concentré sur l’identité africaine à travers le regard occidental. Comment avez-vous abordé cette idée ?
De par mes origines, ma mère est guinéenne et mon père helvète. J’ai grandi en Suisse.
Dans vos différentes séries, vous utilisez différentes formes de photographies : noir et blanc, couleurs, portraits, photos de reportages, mise en scène. Pourquoi ?
J’aime travailler sur différents univers, apporter un côté dynamique et créer des tensions.
Vous débutez un travail sur l’identité noire en Suisse avec deux séries « Kitende Congo » et « What we want What we believe in » qui est une reconstitution des Blacks Panthers. Quelles étaient les idées initiales de ces deux projets ?
«What we want What we believe in» et «Kitende Congo» sont 2 éditions ayant une approche documentaire.
The Black Panthers mouvement: J’ai beaucoup étudié à leur sujet et j’ai décidé de faire un re-enactment pour ce qu’il représente encore aujourd’hui.
Ils ont défendu les droits civils pour les noirs et se sont battus contre la ségrégation raciale qu’ils ont subit. C’est en fait une lutte encore très présente aujourd’hui pour beaucoup de gens qui doivent combattre pour leurs droits en raison de la couleur de leur peau. Être comme je suis soit un mélange entre deux différentes cultures et deux différentes couleurs, m’ a fait ressentir le besoin d’exposer ce phénomène, du point de vue de mes origines noires. J’ai décidé de raconter ma propre histoire parce que ce mouvement a lutté pour
le droit civil et contre la ségrégation raciale aux États-Unis. A travers eux, les autres communautés ont pu avoir les mêmes droits que les Blancs.
«Kitende Congo» est un documentaire sur la communauté Congolaise vivant en Suisse Ce sont des gens qui ont des principes spécifiques concernant leur apparence et leur beauté. Pour eux, c’est une religion comme un lifetsyle. Ils prennent beaucoup de soin au quotidien sur l’art de l’élégance. Cet art est appelé la sapologie. L’art de l’élégance est une culture née au 20ème siècle au Congo puis qui s’est développée à Paris et à Bruxelles.
Vous continuez ensuite ce questionnement en Afrique, en Guinée Conakry en 2011 où vous avez réalisé la série YA KALA BEN / Regard croisé. On y voit des images très intrigantes qui questionnent à la fois les rites, la cosmologie et le corps. Pouvez-vous nous parler de ce travail ?
Pour la réalisation de ce travail, j’ai passé deux mois en Afrique de l’Ouest mais quatre mois de préparation ont été nécessaires avant mon départ.
Il m’a fallu tout d’abord me documenter sur certaines pratiques rituelles et (re)prendre contact avec des membres de ma famille vivant sur place.
Cette étape a été cruciale puisque cela m’a permis d’entrer plus facilement en contact avec les marabouts, guérisseurs, féticheurs, chasseurs et autres «diables» avec lesquels je souhaitais travailler.
Tout ce que je savais avant ce voyage, c’est que ma mère est musulmane et que mon père est protestant, mais moi je n’ai pas été baptisée. L’aspect religieux du pays de ma mère est devenue très important. J’ai découvert un côté animiste de la culture guinéenne qui est basée sur le respect des gens. J’avais été exposée à la partie surnaturelle de la culture guinéenne depuis que j’étais enfant. J’ai rendu visite à des «marabouts» et cette fois-ci pris part à de nombreuses cérémonies et rituels. Pour moi, il était important
de faire ce travail, parce que maintenant je me sens plus consciente de cette situation, l’existence d’un monde parallèle et le monde des esprits.
J’ai voyagé à travers la Guinée, selon les différents rites et cérémonies pour créer ma série. Je suis allée à beaucoup d’endroits pour trouver les bons spots et choisir les bonnes personnes. J’ai créé moi-même les costumes (statuettes) et j’ai choisi chaque chose que j’ai utilisée. Quand j’ étais prête pour faire mes photos il n’y avait pas de temps à perdre afin d’éviter les réactions parfois violentes de la part des gens, parce que mes
modèles signifiaient quelque chose de sacré.
Je m’intéresse particulièrement aux fétiches. Mon approche consiste à séparer ces statuettes sacrées de leur contexte religieux afin de les immortaliser dans un cadre occidental.
«Ce sont des outils rituels que j’ai animés en leur donnant un sens inhabituel dans le contexte guinéen».
A cet effet, je me suis concentrée spécifiquement sur les objets sacrés dont l’utilisation et la signification sont généralement réservés aux initiés.
Ce projet s’est-il concrétisé par une publication ?
L’édition représente mon carnet de voyage et mes diverses rencontres, cérémonies et rituels que j’ai effectués pour moi avec les personnes sacrées à travers le pays. Parfois, il m’était difficile de rester concentrée sur mon objectif, je ne devais pas me laisser emporter pendant les cérémonies et les rituels. Je devais rester en alerte pour ne pas être complètement en transe.
La réalisation de ma série s’est donc naturellement faite grâce à toutes les expériences que j’ai vécues en Guinée.
Je me suis occupée de la mise en page et du graphisme et j’ai édité mon projet en quelques exemplaires.
En 2012, on découvre des portraits très modes dans deux magazines, « Cocktail » dans Wad et « The African Queens » série qui a été publiée dans le New York magazine. Quel a été le point de départ de cette iconographie ? Ces séries sont-elles des commandes ?
Oui, ce sont des commandes.
Ce sont des séries inspirées par les statuettes africaines mais il y a un autre contexte, un autre sens (dans la direction de la mode)
En 2014, vous allez faire une résidence à Johannesburg, pouvez-nous parler de ce projet et de ce que vous comptez y réaliser ?
Maintenant, je continue mes recherches sur les symboles de l’identité africaine, syncrétisme culturel et les ambiguïtés de l’ethnocentrisme.
Grâce à cette entente de mythes ou de fétiches attribuable à l’Autre. C’est aussi la perspective que l’Occident a de ces symboles que j’aimerais tester.
Je vais y rester 5 mois pendant lesquels je vais énormément voyager à travers le pays.
Quelles sont vos prochaines actualités (expositions, résidence, conférences, publications) ?
– Conférences:
8 novembre : EAA / school of art, La Chaux-de-Fonds (CH)
29 novembre à 14h30 .: INSPIRATIONS- Rendez-vous avec la création artistique- Centre International de Deauville
– Expositions:
Lagos Photo festival ,Namsa Leuba du 26 Octobre au 16 Novembre
« ECAL Photography »
Une exposition et un livre de travaux d’étudiants de l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne, du 15 novembre au 15 décembre 2013, tous les jours de 10h à 19h à la Galerie Azzedine Alaïa, 18 rue de la Verrerie à Paris.