Chroniques Nomades 2007 : 11ème festival de la photographie de voyage et d’aventures à Honfleur
Fidèle à une certaine conception du voyage qui privilégie, par-delà le dépaysement, la mise en relation des cultures, cette onzième édition de Chroniques Nomades est majoritairement centrée sur le thème du « corps étranger ».
Après avoir consacré nos plus récentes éditions au portrait, siège de l’identité de l’autre que l’on tente de cerner par-delà sa différence, à son environnement, aux problèmes sociaux ou écologiques qui menacent la diversité de l’humain (quand ce n’est pas son existence même) dans un monde en voie d’uniformisation, c’est l’étrange corps de l’étranger, cet objet apparemment si évident, si universel, que nous avons voulu privilégier à travers des approches, comme toujours, d’une grande diversité. Programmation resserrée donc qui met en lumière combien ce corps, loin d’être une donnée naturelle objective, est une création largement culturelle, un lieu où s’exprime une conception du cosmos, de la place de l’homme dans la nature, de sa position sociale, de sa relation avec le divin. Façonné par l’ascèse, le corps des lutteurs indiens photographiés par Jérôme Thirriot à Bénarès devient l’instrument d’un perfectionnement moral et spirituel, tandis que ceux que Nicolas Quinette a « sondés » parmi la foule de cette même ville semblent travaillés par l’affrontement entre la mort et une irréductible énergie vitale. En Afrique de l’Ouest, c’est la représentation du double, référence au couple gémellaire originel, qui constitue la référence récurrente du portrait en studio. Angelo Micheli nous en propose un ensemble issu principalement de deux photographes : l’un malien, Tijani Shitou, l’autre burkinabé, Ibrahim Sory Sanlé. En Éthiopie, avec les peuples de la vallée de l’Omo qui pratiquent de manière très particulière la peinture corporelle, c’est d’un travail de création artistique, au sens le plus moderne, que Hans Silvester nous invite à être les spectateurs éblouis. Les danseurs contemporains africains photographiés par Antoine Tempé nous offrent eux aussi un exemple de mise en oeuvre artistique du corps, mais cette fois par le biais d’une gestuelle inspirée de celle de la vie de tous les jours. Mais ce corps est aussi une marchandise, objet de désir et de réprobation : les prostituées photographiées chez elles par Florian Ruiz au Pakistan, pays d’islam, travaillent « en famille » mais doivent affronter la colère des mollahs. À l’opposé, les très oniriques personnages entrevus par François Fontaine semblent issus de quelque ancien récit de voyage dans une Chine intemporelle. Intemporelle aussi mais bien enracinée dans la terre de son Yunnan natal, la campagne chinoise que nous présente Wu Jialin nous apparaît comme un monde à part où les animaux règnent en maîtres familiers. Nulle volonté d’exhaustivité dans cet ensemble, mais un parcours de corps en corps dont chaque étape nous confronte à une approche photographique différente, liée à une conception différente du moi. De toutes, pourtant, il ressort que ce corps, loin d’être une chose, une propriété individuelle, s’avère être d’abord une relation aux autres, un fragment du monde. À nous d’y trouver notre propre place.
Claude Geiss Directeur artistique du festival