Direction artistique : Françoise Huguier
Scénographie : Patrick Jouin
LE BRUIT DU MONDE
Richard Avedon disait du portrait : « le moment où une émotion est transformée en une photographie ce n’est plus une émotion mais une opinion. Toute photographie est exacte, aucune d’elle n’est la vérité. »
Cette citation peut s’appliquer à toute œuvre photographique. Aussi pour cette 3e biennale de PHOTOQUAI j’ai voulu montrer des vérités et non pas une vérité.
Je propose un voyage à travers les obsessions, les fantasmes des photographes et leurs visions de la société.
Le photographe a une distanciation par rapport au sujet qu’il traite, ce qui fait que son regard ne manque pas d’ironie ou de dérision. Heinrich Wöl fflin écrivait : « A
voir autrement, on voit autre chose »*.
Certains s’expriment par une photographie du réel, d’autres le mettent en scène, d’autres encore le conceptualisent. Ces visions transversales de la photographie contemporaine vont nous rapprocher de mondes qui vont à l’encontre de la globalisation, explicites dans leurs différences et leur possible étrangeté.
PHOTOQUAI est aussi un voyage nourri du regard des photographes sur leur société et sur une autre culture que la leur. Ils sont pour nous des veilleurs, des gardiens, nous empêchant de nous endormir.
Il était important pour moi que la recherche des oeuvres se fasse en étroite collaboration avec les commissaires pour donner à voir d’une part des artistes émergents, d’autre part des artistes n’ayant pas l’opportunité d’être diffusés. Bien sûr il y avait la possibilité offerte par internet mais rien ne vaut une recherche plus profonde dans différents pays pour en sonder le subconscient. La rencontre des photographes chez eux, dans leur contexte, permet de dépasser notre confort intellectuel d’Occidental qui nous empêche
trop souvent d’aller regarder ailleurs.
Cette curiosité active nous force à comprendre l’inspiration et les conditions de réalisation de l’œuvre d’un photographe, et comment celui-ci se situe dans les problématiques de son environnement.
Ainsi Khee Teik Pang en Malaisie met en scène dans son œuvre la censure de l’homosexualité, et Charles Lim, transgresse les codes rigides de la société singapourienne.
La recherche in situ à Cuba nous montre le renouveau photographique d’une société en questionnement et en pleine mutation, ancrée dans une politique culturelle héritée de la révolution.
Le Marocain Hassan Hajjaj se joue avec humour des références et des stéréotypes orientalistes pour questionner et confronter, derrière le voile du superficiel, les codes et les usages de la société de consommation occidentale.
A Bahreïn, pendant que la révolution gronde, la « promenade » de Camille Zakharia donne à voir le déclin d’une civilisation de la mer balayée par un urbanisme sans retenue.
Parfois deux artistes aux antipodes géographiques et culturels se rencontrent autour de la souffrance d’une jeunesse victime d’une société où elle n’a pas le droit de s’exprimer : reportage sur l’automutilation des jeunes filles au Japon par Kosuke Okahara et mise en scène du suicide d’un adolescent en Afrique du Sud par Mack Magagane.
- © Christian Tundula © musée du quai Branly, Photoquai 2011
Cette recherche au contact des artistes nous permet aussi de connaître leurs conditions de travail et de diffusion de leur œuvre. Bien que certains restent attachés à l’argentique, l’arrivée du numérique n’a pas tari l’envie de s’exprimer, au contraire. Cette dualité touche tous les photographes de près. Je me suis refusée à
prendre parti dans ce débat pour me concentrer sur la créativité et son résultat.
Malgré la censure, l’autocensure ou le manque de moyens, j’ai été moi-même étonnée en allant à la rencontre des artistes dans différents pays, de voir tant de vitalité, d’inventivité et de profusion photographique. Une des idées fortes de cette 3e biennale était d’insister sur des régions du monde peu prospectées et peu vues : Cuba, Asie du Sud-Est, Afrique de l’Est...
En Tanzanie, pays à l’écart des circuits photographiques, j’ai découvert une effervescence créative à Daar Es Salaam, avec notamment Mwanzo Millinga et Sameer Kermalli ; en Inde nous avons pris le parti d’une photographie très éloignée de l’influence occidentale et pour la Russie, à l’image du cinéma d’Alexei German, une inspiration photographique allant de la poésie à la violence.
Pour faire rupture avec les deux premières biennales, la troisième investit les jardins du musée, qui sera un parcours initiatique plus intime où la multiplicité des regards invite à la découverte de l’autre comme un autre soi-même. Sur les quais nous avons réduit le nombre d’artistes exposés, de façon à donner plus de
visibilité à leur œuvre, avec un système d’accrochage en modules, comme les pages d’un grand livre d’images.
Comme l’ont espéré ses fondateurs, PHOTOQUAI 2011 se fait l’écho de la créativité, non pas de la « sono mondiale », mais de la « photo mondiale ».
Françoise Huguier, Directrice artistique de PHOTOQUAI 2011