Rencontres de Bamako 2011 – édition du 2 novembre

Bannière Journal BKO Afrique in visu
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edito
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par Olivia Marsaud

Pourvu que ça dure

Il y a d’abord l’affiche de cette neuvième édition. Une photographie de Lien Botha (Afrique du Sud), quelque chose qui se situerait entre une pose de studio à ciel ouvert et un shooting de mode into the wild. Cette photo, c’est la figure d’un nouvel Eden, c’est la nature qu’il faut préserver et c’est le postulat de cette édition qui porte le thème « pour un monde durable ». Alors bien sûr, il est question d’environnement, d’écologie, de catastrophes humaines et naturelles dans le travail des photographes exposés à Bamako, notamment au sein de l’exposition panafricaine.

Comme chez Charles Okereke et ses Canal People : ses habitants des eaux polluées que sont les bidons vides, les sandales en plastiques et autres détritus. Et qui flottent dans les images du Nigérian, entre deux réalités, entre deux eaux. Son compatriote Akintunde Akinleye a choisi de montrer les ravages de l’exploitation pétrolière dans le delta du Niger et Kiripi Katembo ceux de l’exploitation minière dans son pays, la RDC. On nage en pleine violence, comme dans les images choc de Nana Kofi Acquah (Ghana) sur les abattoirs ou en pleine poésie, comme chez Khalil Nemmaoui (Maroc), avec sa série d’arbres solitaires et isolés. Et la situation écologique du monde actuel n’empêche pas les traits d’humour, comme chez Omar Victor Diop (Sénégal) qui s’imagine en 2112 et s’interroge : Que ferons nous demain de ce que nous ne sommes plus en mesure de jeter ? Le Beau ne le sera-t-il pas que s’il a vécu ?

Ainsi, les artistes ont su prendre ce terme de « durable » et de durabilité dans tous les sens, se libérant de la connotation écolo. On touche alors à l’universel, à l’humain. A l’éternel recommencement, comme dans cette vidéo d’Emkal (Cameroun), avec son personnage obstiné, pédalant dans le vide sur son vélo. Vanité des vanités… et, au bout, la poussière qui retourne à la poussière. Dimitri Fagbohoun (Bénin), dans sa vidéo Black Brain questionne le rapport humain aux ressources naturelles et les déséquilibres nord-sud. Mais il n’est pas interdit d’y voir aussi un écho de la finitude humaine.

Une humanité que l’on retrouve, bizarrement, dans le regard si perturbants des animaux de Daniel Naudé (Afrique du Sud). Comment ne pas réfléchir à notre condition humaine, alors qu’en face, lui répondent les enfants aux masques d’animaux, en noir et blanc, de Fatoumata Diabaté (Mali) ? Que laissons-nous à nos enfants ? La guerre et la paix. Le lourd héritage, comme le montre Fabrice Monteiro (Bénin) avec les enfants burundais rescapés du génocide. Dans sa série, il y a cette petite fille au bord de la piscine, toute en rondeurs dans son maillot et qui s’apprête à sauter. Dans l’eau, l’inconnu et l’avenir.

Quelles traces laisse-t-on ? Quelle est la part de nous qui va durer ? Ce qui dure, ce sont ces vestiges d’un trousseau de mariée comme chez Ymane Fakhir (Maroc) qui, avec une précision chirurgicale, décortique en quelques clichés la condition féminine. Ce qui dure, ce sont les traces de la mémoire, comme dans les paysages-cicatrices de François-Xavier Gbré (Côte d’Ivoire). Ce qui reste, ce sont les tombes illustrées et fantomatiques de Michael Tsegaye (Ethiopie).

Ce qui dure, c’est aussi et avant tout la photographie, plaide Samuel Sidibé, le directeur du Musée national du Mali, qui a lancé un projet pilote de numérisation des archives photographiques du pays. Ce qui dure, c’est la création, c’est le don des artistes, leur créativité, leurs envies. C’est la curiosité pour tous les langages photographiques. Et pourvu que ça dure !

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par Julie Crenn

Enfer Contemporain. Photographies de Nyaba Léon Ouedraogo.

Monographie exposée au Musée du District

Au départ, rien ne prédestinait Nyaba Léon Ouedraogo à la photographie. Ancien athlète de haut niveau, il se préparait aux stades olympiques, une blessure en a décidé autrement. Il a quitté le Burkina Faso où il est né en 1978 et s’est installé à Paris. Sa relation avec la photographie débute en tant que modèle, rapidement il passe derrière l’objectif et entame un travail de photojournalisme.

L'enfer du cuivre © Leon Nyaba Ouedraogo / Courtesy la galerie particuliere
L’enfer du cuivre © Leon Nyaba Ouedraogo / Courtesy la galerie particuliere
Depuis 2008, il sillonne le continent africain à la recherche de sujets cruciaux auxquels il tient. Des sujets ayant une portée politique, économique, sociologique et écologique : collecteurs de cuivre, de sable, casseurs de pierre etc. Les Rencontres de Bamako dédient cette année une exposition monographique au photographe burkinabé. Il y présente la série Dans l’Enfer du Cuivre (2008) qui a valu d’être sélectionné pour le Prix Pictet en 2010.

Dans l’Enfer du Cuivre

En 2008, Nyaba Léon Ouedraogo part au Ghana pour y faire un reportage sur la Coupe des Nations. Pourtant, une fois sur place, son attention et sa curiosité vont se porter sur un tout autre sujet : la plus grande décharge de déchets électroniques au monde, Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra[[La décharge s’étend sur plus de 10 kilomètres.]]. Une décharge qu’il découvre une première fois de nuit. Il est alors marqué par les odeurs, la fumée et le caractère post-apocalyptique du lieu. Le lendemain, il revient sur les lieux, « j’ai commencé à discuter avec les gens qui travaillaient là-bas, je n’ai pas pris de photographies, je cherchais plutôt à comprendre »[[NUR GONI, Marian. « Entretien avec Nyaba Ouedraogo » in Africultures, juillet 2011. En ligne : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10322&texte_recherche=ouedraogo.]]. Nyaba Ouedraogo se retrouve au centre d’une immense décharge à ciel ouvert, le sol est recouvert de carcasses d’ordinateurs, de composants électroniques, de câbles, de boues. Dans cette forêt métallique, des gens trient pour survivre[[Les collecteurs (âgés de 10 à 25 ans) gagnent, au mieux, un euro par jour.]]. Ce sont en majorité des enfants qui, sans aucune protection, dissèquent et brûle les ordinateurs, tous venus d’Europe et des Etats-Unis, pour y collecter des métaux revendables. Le cuivre est le plus recherché, soit il est exporté vers le Nord, soit il est retransformé au Ghana ou au Nigéria pour la fabrication d’objets artisanaux comme les bracelets revendus en Europe.

Après une semaine de questionnements, de discussions et de recherches sur place, Nyaba Ouedraogo quitte le Ghana. Il y revient rapidement et poursuit ses investigations pendant un mois et demi. Là, il entreprend Dans l’Enfer du Cuivre, une série photographique témoignant d’une situation catastrophique sur les plans humains, économiques et écologiques. Il parle d’un « phénomène d’ampleur mondiale »[[NUR GONI, Marian (2011).]]. Entre temps, le photographique a pris contact avec Greenpeace, qui a dépêché une équipe d’experts afin de mener des analyses de l’air et des sols. Le rapport de Greenpeace est édifiant : les collecteurs sont exposés à des doses de plomb, de mercure ou de phtalates jusqu’à cent fois supérieures aux normes admises. Des doses qui affectent de manière irréversible le système reproducteur des enfants, le développement du cerveau et sur le système nerveux[[Voir : http://blog.greenpeace.fr/toxiques/ghana-la-dechets-de-la-honte. ]]. À cela s’ajoutent les problèmes respiratoires, cardio-vasculaires et dermatologiques constatés. Chaque jour, ils sont exposés à des doses dangereusement irréversibles, voire mortelles[[Le photographe confie : « Après ma première journée passée dans la décharge, j’ai éternué toute la nuit, mon nez coulait. Des enfants m’ont raconté qu’ils crachent du sang ou ont des maux de tête violents après avoir respiré la fumée noire qui flotte au-dessus de la décharge. » Voir : http://archive.photographie.com/?pubid=105483 ]].

L'enfer du cuivre © Leon Nyaba Ouedraogo / Courtesy la galerie particuliere
L’enfer du cuivre © Leon Nyaba Ouedraogo / Courtesy la galerie particuliere

Le but était de témoigner du présent, car je privilégie le goût du réel, le documentaire.
Dans mes images, j’ai recherché une attitude non pas neutre, mais naturelle, dans le but d’éviter que les sujets cherchent à contrôler leur image, qu’ils posent devant l’objectif. Je les ai photographiés dans leurs lieux de travail, avec une liberté de cadrage qui m’est propre. J’ai voulu ainsi donner une vision synthétique du phénomène[[OUEDRAOGO, Nyaba Léon. « Dealers of Copper ». Aglogbloshie, Accra, Ghana. En ligne : http://www.topicsplatform.net/no/ghana/index.htm ]].

Conscient de toutes ces données, le photographe se fait le témoin des conditions de travail de ces travailleurs, victimes d’une mondialisation dévorante et impitoyable. Il rend compte de la dureté des manipulations répétées, de la déshumanisation d’un système économique injuste, de l’exploitation des hommes qui risquent leurs vies chaque jour dans ces amas d’ordinateurs périmés. Une déshumanisation contre laquelle Ouedraogo se bat. Il réalise de nombreux portraits des travailleurs qu’il a rencontrés et avec qui il a discuté. Des hommes et des enfants aux visages blessés et désenchantés par ce système. Ils évoluent dans un paysage formé de métaux et de plastiques, de boues et de fumées toxiques. Le photographe montre comment la vie s’est instituée dans cette décharge infernale : Le bétail venant brouter parmi les ordinateurs, les mouettes qui rodent dans les airs, les ponts de fortune construits au dessus des déchets, les villages formés autour, le marché aux légumes et les parties de football en fin de journée. Malgré tout, la vie s’impose. Une vie en suspend, mise en péril par un système économique déséquilibré. Un système présent dans cette drôle de relation qui s’est tissée entre les hommes et les machines. Les images traduisent parfaitement cette relation, à la fois sensorielle (le toucher, l’odorat, la vue, l’ouïe) et essentielle à leur survie. Il s’agit alors de trier et de brûler pour survivre.

L'enfer du cuivre © Leon Nyaba Ouedraogo / Courtesy la galerie particuliere
L’enfer du cuivre © Leon Nyaba Ouedraogo / Courtesy la galerie particuliere

Dans l’Enfer du Cuivre est un appel à une prise de conscience internationale des conséquences néfastes sur la santé des populations déconsidérées, oubliées. Mais aussi sur l’environnement puisque l’eau, les sols et l’air sont intoxiqués. Le Ghana, comme d’autres pays africains, est considéré comme un terrain-poubelle de l’Occident. Une situation insupportable et illégale que le photographe dénonce avec une colère présente dans chacun de ses clichés. Un travail documentaire de fond qu’il a poursuivi avec Erreur Humaine, une série présentée au sein de l’exposition collective de la photographie panafricaine. Réalisée dans la décharge publique d’Akouédo à Abidjan (Côte d’Ivoire) en 2010, Erreur Humaine traite de l’inconscience des pouvoirs publics et de l’économie souterraine due à la revente des métaux et autres matériaux de valeur. Une économie qui loin d’être une solution pour les populations concernées, puisqu’elle accentue les problèmes mis en lumière par le photographe. Les reportages de Nyaba Ouedraogo pointent du doigt les rapports faussés instaurés entre le Nord et l’Afrique, où le continent noir est toujours envisagé comme une terre à exploiter avec le plus grand mépris.

Arret sur Images
Arret sur Images

par Seydou Camara, Sophia Baraket et Sébastien Rieussec
La veille de l'ouverture de la biennale, les caisses de l'exposition panafricaine © Sophia Baraket
La veille de l’ouverture de la biennale, les caisses de l’exposition panafricaine © Sophia Baraket

Des oeuvres encore sous bâches la veille des Rencontres © Sophia Baraket
Des oeuvres encore sous bâches la veille des Rencontres © Sophia Baraket

Photographie de Raymond Dakoua exposée au Musée National. © Seydou Camara
Photographie de Raymond Dakoua exposée au Musée National. © Seydou Camara

Vernissage des 9emes Rencontres de Bamako au Musée National du Mali © Sébastien Rieussec
Vernissage des 9emes Rencontres de Bamako au Musée National du Mali © Sébastien Rieussec

Frédéric Mittérand (au centre) et Samuel Sidibé (à droite) © Sébastien Rieussec
Frédéric Mittérand (au centre) et Samuel Sidibé (à droite) © Sébastien Rieussec

Les élèves du CFP © Seydou Camara
Les élèves du CFP © Seydou Camara

Discours lors du vernissage des 9èmes Rencontres de Bamako © Sébastien Rieussec
Discours lors du vernissage des 9èmes Rencontres de Bamako © Sébastien Rieussec

Ymane Fakhir devant sa série de photographies
Ymane Fakhir devant sa série de photographies

A gauche Francis nii Obodai (exposé dans les Monographies) © Sébastien Rieussec   (à droite) Fatoumata Diabaté (exposée dans la Panafricaine) © Seydou Camara
A gauche Francis nii Obodai (exposé dans les Monographies) © Sébastien Rieussec (à droite) Fatoumata Diabaté (exposée dans la Panafricaine) © Seydou Camara

Mamadou Konate photographe malien devant ses images au Master Class © Seydou Camara
Mamadou Konate photographe malien devant ses images au Master Class © Seydou Camara

Homage à l'artiste camerounais, Goddy Leye, au memorial Modibo Keita © Seydou Camara
Homage à l’artiste camerounais, Goddy Leye, au memorial Modibo Keita © Seydou Camara

Les Badges des 9èmes Rencontres de Bamako pour les invités, exposants et journalistes © Sébastien Rieussec
Les Badges des 9èmes Rencontres de Bamako pour les invités, exposants et journalistes © Sébastien Rieussec

invite
invite

Omar Victor Diop

Mes impressions…

…sont à la fois prévisibles et inattendues. Il y a bien entendu le sentiment de satisfaction et de fierté d’avoir été invité par cette Société de l’Image africaine pour venir montrer mon travail et découvrir celui de mes pairs. Ensuite il y a un autre sentiment auquel je ne m’attendais pas du tout, et qui m’a pris un peu à la dérobée… celui d’être des deux cotés de la fenêtre, comme si j’avais un pied dans la photo et un autre sur l’herbe de ce splendide Parc du Musée National du Mali. Je suis photographe et visiteur, acteur et témoin d’un instant privilégié, où seule l’image est reine, et où nous sommes tous des enfants rêveurs…

Cette photo résume un peu cette situation inédite pour moi: alors que je découvrais ce splendide portrait d’un Zèbre, tiré de la collection du Sud-Africain Daniel Naudé « Animal Farm (2009-2010) », je vois un autre photographe endosser lui aussi le rôle du visiteur, me tirant tout de suite de ma contemplation, pour raviver mon besoin de témoigner de ce que je vis, en capturant le temps dans mon réflex numérique, par une mise en abîme tout à fait fortuite.

J’ai décidé de l’intituler « Le jeu de Jambes »

© Omar Viktor Diop
© Omar Viktor Diop

Omar Victor Diop, ou VIKTOR, est un photographe autodidacte dakarois qui se plaît à mêler diverses formes d’art à la photographie, notamment le design et l’écriture.

www.omarviktor.com