Raconter l’exil

En 2016, nous découvrions le collectif 220. Très vite nous suivions de près plusieurs de ses membres grâce à instagram comme Fethi Sarhaoui et Awel Haouati.
Abdo Shanan, c’est avec sa série Diary : Exile que nous avons plongé dans son univers. Un plongeon puissant dans cette histoire si personnelle. Ici son exil raconté en noir et blanc comme une séquence de cinéma. Il nous livre une série d’une grande force, captant des moments intimes du quotidien, des morceaux de vie…
Cette série est à découvrir jusqu’au 4 novembre 2017 à la Cité Internationale des Arts à Paris dans le cadre de la deuxième biennale des photographes du Monde Arabe Contemporain

Avant de revenir sur ton travail et ton parcours, nous aimerions que tu nous parles du collectif 220 que tu a créé en Algérie. Pourquoi cette envie ?

Il faut comprendre le contexte de la photographie en Algérie. Il n’y a que peu voire pas d’endroit où on peut étudier la photo et il n’y a pas de média algérien qui utilise la photo comme un moyen d’information. Ce n’est pas non plus complètement considéré comme un art, et il n’existe pas de vrais critiques professionnels.

Travailler dans un groupe, un collectif, cela permet d’avoir d’autres photographes algériens qui peuvent s’entraider, partager des avis, faire des critiques. Chaque photographe peut être l’éditeur photo d’un autre membre du collectif.

Le groupe nous donne une force. Le collectif est actif depuis 2016. Au fil des publications, des expositions, le nom du collectif est cité et associé aux noms des photographes comme Youcef Krache ou Fethi Saharaoui. Cela a aidé à donner une visibilité à tous les membres du collectif. Et avec le travail d’autres photographes algériens sur le terrain, ça a participé à donner une visibilité à la photographie algérienne en général.

On parle beaucoup de vous en ce moment, vous êtes plusieurs membres à avoir de belles actualités; Biennale des photographes arabes, Biennale de Bamako. On peut parler d’un renouveau de la photographie en Algérie ces 3 dernières années ?

Je pense que oui. Différents types de photo se développent, comme la photographie de paysage, de portrait, la street photography… C’est une bonne chose parce qu’on peut ainsi donner une vision de l’Algérie plus large. Je ne sais pas pourquoi il y a un renouveau maintenant, mais peut-être que cela a un lien avec le développement des réseaux sociaux, et la facilité avec laquelle on peut faire des photos. Fethi Saharaoui par exemple prend 90% de ses photos avec un téléphone portable. Il y a 10 ans, en Algérie, avoir un appareil photo, était un problème.

Aujourd’hui, les photographes font aussi un travail de recherche. Plusieurs photographes tentent de développer leur propre “oeil”, ils réfléchissent à comment ils voient l’Algérie, comment ils veulent que les autres la voient. Développer notre propre vision de la photo, c’est important parce que nous voulons aussi nous inscrire dans le monde d’aujourd’hui et nous voulons aussi le photographier en donnant notre propre vision sur ce qu’il s’y passe. Pouvoir confronter notre expérience et notre regard, nous, Algériens, Africains, aux visions de photographes étrangers, c’est une des magies de la photographie. Il ne s’agit pas juste d’images, mais aussi d’avis, d’opinions, sur le monde.

© Abdo Shanan / Collective 220
© Abdo Shanan / Collective 220

© Abdo Shanan / Collective 220
© Abdo Shanan / Collective 220

Tu travailles essentiellement en Noir et Blanc très contrasté comme nombre de tes confrères du Collectif 220. Peux-tu nous dire pourquoi ce choix de ton côté ? Et si c’est aussi une marque esthétique de ta génération en Algérie ?

Je ne peux pas dire pourquoi les autres membres du Collectif travaillent en noir et blanc, mais en ce qui me concerne, c’est une manière de me révolter. Utiliser le flash et le contraste permet d’imposer mes idées, de montrer ce que je ressens à propos de moi-même comme à propos du monde qui m’entoure. Mais désormais, je travaille également en couleur dans mon nouveau projet, parce que j’ai constaté que le choix esthétique de la couleur convenait à une certaine partie de ce nouveau projet.

Pour moi, le noir et blanc n’est pas le seul choix que j’ai. Mais à l’époque de Diary : Exile, c’était la manière dont je voulais m’exprimer.

Je ne pense pas que le noir est blanc soit un marqueur esthétique, parce qu’il y a des photographes qui travaillent en couleur et d’autres en noir et blanc moins contrasté. Est-ce un choix esthétique de ma génération, je ne le sais pas. Je ne pense pas que ce soit à moi de le dire.

Le portrait est un élément phare de ton travail, parfois décalé, coupé, de dos, caché. Comment en es-tu venu à cette pratique ?

Quand je fais un portrait, je le fais de manière instinctive. En faisant un portrait classique, j’avais le sentiment de ne pas m’exprimer. Cette manière de faire un portrait est une manière d’expliquer quelle est ma relation aux personnes sur le portrait. A cette période de ma vie, à chaque fois que je parlais avec des gens, j’avais l’impression qu’il y avait un manque dans la relation humaine. Je n’aimais pas comment les gens me faisaient me sentir, comment je me sentais près d’eux, parce que je sentais que je devrais être quelqu’un d’autre, que je devais cacher qui j’étais vraiment, j’avais l’impression que je devais porter un masque. J’évitais le contact visuel, j’évitais d’organiser des scènes.
Je pensais que seules les premières secondes de nos réactions étaient complètement honnêtes. Donc, je voulais faire des portraits de manière aussi honnête que possible, sans organiser de pose pour le portrait.

© Abdo Shanan / Collective 220
© Abdo Shanan / Collective 220

© Abdo Shanan / Collective 220
© Abdo Shanan / Collective 220

Ton histoire comme tes origines sont des éléments importants dans ta démarches de photographe comme on peut le voir dans ta série Diary : Exile. Peux-tu nous raconter comment cela nourrit cette série ?

Le sujet même de la série est justement mon histoire, mes origines. C’était un vrai journal et un vrai exil. La seule manière de laisser des traces de cet exil, pour moi, était de le photographier, de le construire. Ce n’était pas vraiment un exil physique, mais un exil émotionnel. La photographie était le medium le plus fort pour m’exprimer. Si j’étais un bon écrivain, j’aurais fait un roman. La photo me permet de présenter mes points de vue.
Sans la photo, sans ce projet, je ne sais pas qui je serai aujourd’hui, comment je me sentirais.
“Diary : Exile” était une façon de me comprendre moi-même, une sorte de thérapie.

Cette série est très forte visuellement, sera-t-elle uniquement en noir et blanc ? Et Comment l’imagines -tu vivre ? Sous forme de livre ? D’installation ?

Oui, la série sera intégralement en noir et blanc. Cela reflète ce que je ressentais.

La série sera exposée à Paris, du 11 septembre au 13 novembre, puis il y aura d’autres exposition. Diary : Exile fera partie d’un livre qui intègrera trois autres séries que je vais réaliser dans les deux, trois prochaines années. Ce livre sera pour moi mon identité, mon passeport, il montrera ce que je suis.

Tu as réalisé une série dans un train très poétique comme une sorte de journal mêlant fiction et réalité, peux-tu nous parler de cette série ? Ce qu’elle évoque et en particulier le lien au texte qui est très important ?

Cette série n’a jamais été terminée. Je n’ai fait que quelques photos. C’était une sorte d’expérimentation pour moi. D’une certaine manière, c’était une introduction à Diary : Exile. Parce que c’était la première fois que j’essayais de raconter une histoire personnelle, de travailler sur ce que ressent la personne qui voit la photo, plus que sur ce qu’elle voit.
Dans cette série, j’imaginais la vie des gens qui voyagent souvent, et leur relation avec la terre, avec leur foyer. Je prenais le train de Oran à Alger souvent, et je projetais ce que je ressentais moi-même, l’absence de sentiment d’attachement à une terre précise.

L’utilisation des textes étaient une sorte de journal, c’était une manière d’essayer de travailler sur la manière dont un texte et une photo peuvent se répondre.

Je voulais aussi utiliser les textes pour Diary : Exile , mais ça me semblait surcharger les images. Sans ce projet Train of thoughts, je n’aurais jamais fait Diary : Exile, je n’aurais jamais pensé à faire de la photo de la manière dont je le fais aujourd’hui. Le projet m’a aidé à repousser les limites de ce que je pouvais faire avec la photo, et ça m’a aidé à expérimenter l’importance des possibilités qu’offre la photographie.

© Abdo Shanan/ Collective 220
© Abdo Shanan/ Collective 220

Quels sont tes prochains projets et actualités ?

Expositions à venir

  • Paris : Iqbal, du 11 septembre au 13 novembre 2017 (dans le cadre de la Biennale de la photo du monde arabe). Cité internationale des Arts.
  • Lyon : Docks Art Fair, du 16 au 20 septembre 2017.
  • Barcelone : Swab Art Fair, Exposition du Collective 220, du 28 septembre au 1er octobre 2017

Et ton projet photographique actuel, la série Dry?

Je travaille désormais sur une série appelée Dry, dans laquelle j’interroge la relation entre l’individu et son environnement. Que ce soit un individu étranger à l’environnement, comme les migrants par exemple, comme les individus qui font partie de l’environnement mais qui ne se sentent pas y appartenir.

Dans cette série, il y a des portraits, posés, en couleur, et des photos de l’environnement, en noir et blanc, contrastées, avec flash. Je veux garder cette dernière technique, issue de Diary : Exile, parce que Dry est également un projet personnel, où je veux avoir des réponses aux questions : D’où suis-je ? Qui suis-je ? A quoi est -ce que j’appartiens ?

Les personnes que je rencontre, que j’interviewe et que je prends en photo, m’aide à répondre à ces questions. Ce sont des personnes que j’admire, de par leur force, parce qu’ils n’ont pas de problème à assumer leur différence. Leur vision de leur environnement, l’endroit où ils vivent, leur perception de ce qu’est un “foyer” est très mature, et cela m’a permis de comprendre ma propre relation avec mon environnement, et mon sentiment de ne pas être relié à l’endroit d’où je viens, à l’endroit où je vis.

Toutes les photos © Abdo Shanan/ Collective 220

© Abdo Shanan / Collective 220