Percevoir et recevoir le monde, une interview de Ange-Frédéric Koffi

C’est à l’occasion de la foire parisienne AKAA que nous avons eu l’occasion de rencontrer Ange-Frédéric Koffi. Depuis la dernière biennale de Bamako où nous avions aperçu son travail, ce plasticien nomade n’a cessé de ré-inventer sa pratique pour percevoir et recevoir le monde qui l’entoure. Dans cette interview, il revient sur ses derniers projets et son approche. Expositions, recherches, curations , Ange-Frédéric Koffi n’a de cesse de tenter de comprendre les mécanismes de perception et de construction l’humain a créé .

Cher Ange-Frédéric Koffi, pour commencer cette discussion avec toi, peux-tu te présenter.
Je m’appelle Ange, Ange-Frédéric Koffi. Je suis plasticien, et la photographie est un de mes médiums de prédilection.

Nous aimerions que tu nous racontes comment tu en es venu à t’intéresser à la photographie.
Mon rapport à la photographie, et plus spécifiquement à l’image a commencé quand j’étais jeune et que je partais en colonie de vacances. L’image était pour moi un moyen de pouvoir immortaliser des souvenirs, des personnes, des lumières, des événements… Je me suis vraiment intéressé à la photographie sur recommandation d’un ami de ma mère, Jean-Luc Monterosso. Jean-Luc m’a fortement poussé à cultiver ma pratique photographique quand j’étais encore lycéen. C’est lui qui m’a réellement fait prendre conscience du potentiel que pouvait être ce médium. Petit à petit, je me suis formé a la photographie, et il est vrai que ma formation classique (argentique) que m’a donnée Anne Immelé, a de manière inévitable influencée ma pratique.

Aujourd’hui comment divises – tu ton temps entre le commissariat et ton travail d’artiste visuel ? Et ces deux casquettes que tu portes se croisent -elles parfois ?
Mon emploi du temps est millimétré et demande une certaine orchestration afin de pouvoir pratiquer le commissariat et avoir en même temps une pratique artistique personnelle. J’ai depuis 2 ans à présent décidé de ne plus avoir de maison. Ne pas voir cette charge, me permet d’être en mouvement perpétuel afin d’embrasser le plus possible ce style de vie (nomadisme) qui me nourrit tant.
Pour moi, il s’agit d’une seule et même pratique, car mon processus curatorial est le fruit de façon indéniable avec ma pratique artistique. Il ne s’agit donc pas de deux casquettes. Mon emploi du temps va être régi par ma géographie. Lorsque je me trouve sur le continent africain, ma pratique va être surtout celle d’un photographe. Lorsque je me trouve en dehors du continent africain, ma pratique va alors se délaisser la prise de photo pure et continuer une recherche de matérialité diverse. Cette recherche est vague et englobe différents domaines de production.

Revenons sur tes projets en tant qu’artiste :
Peux-tu nous raconter ce qui t’anime et quelle est ton approche ?

En tant qu’artiste, ou en tant que commissaire d’exposition, ce qui m’anime, c’est la façon dont nous pouvons percevoir et recevoir le monde et ce qui nous entoure. Je suis fasciné de comprendre les mécanismes de perception et de construction que nous, humains, avons créés et développés. Mes recherches sont par conséquent orientées sur la déconstruction et la création de système de représentation. La Matérialisation des images ainsi que la réception des formes qui en découlent vont être le cœur de mon approche.

En 2022, tu es nominé pour le prix Foam avec ton travail «  Le Grand Voyage – Version Courte », qu’évoque ce travail ?
Depuis 2015, je traverse l’Afrique de l’Ouest. De la Mauritanie au Niger, en passant du Mali à la Côte d’Ivoire, je me promène dans cet espace en me questionnant sur la relation que nous entretenons avec la route. Je marche dans les rues, attentif au monde qui m’entoure, aux passants, aux voitures, aux ambiances et tente de capter des moments significatifs, intuitivement pensés dans l’instant photographique. Mes déplacements se veulent multiples et prennent différentes formes. Les moyens varient et les temps diffèrent. Il va naître de toutes ces bribes quelque chose de tangible qui traduit une société en plein changement. Les images que je prends s’imbriquent les unes dans les autres. Ces fragments forment des découpes dans le mouvement et font entrevoir la fugacité de cette société ouest- africaine en bouillonnement perpétuel. Le moyen 
de transport n’est plus seulement un objet de l’image, il devient une forme figurée et allégorique du dynamisme. L’enjeu de ma fragmentation photographique n’est pas tant une représentation de l’image que l’agencement des photographies en tant qu’ensemble. La fragmentation photographique rompt l’illusion d’une réalité connue, visible et signifiante.

Azimut, 2015
Série Market, 2015
Le Grand Voyage – Version courte, Partie IV, I WAS HERE – I SAW HERE, La Filature, 2020 @Ange-Frederic Koffi
Foam Talent, 2022 Foam Photo- Christian van der Kooy

En 2023, ton exposition personnelle « Territoire des perceptions Sérénade des formes », s’est tenue en Côte d’ivoire pays dont tu es originaire, peux- tu nous parler de cette exposition et de l’écho qu’elle a eu sur place ?
Depuis 2017, j’ai déjà eu l’occasion de pratiquer l’exercice que peut-être celui d’un solo show. Abidjan n’était donc pas mon premier galop d’essai ! Cependant, cette exposition s’inscrivait dans la dynamique de mes précédentes expositions. 
Pouvoir montrer mon travail à Abidjan dans une forme globale était pour moi extrêmement important, car je pouvais enfin présenter l’ensemble de mes recherches et pensées chez moi… Pouvoir appliquer ses théories à ‘la maison’(sur la maison) était extrêmement stimulant, car d’une part il y avait un challenge esthétique (présenter à des personnes concernées un travail qui parle en partie d’eux) et d’autre part une joie immense de pouvoir être chez sois. 
La réception sur place à je crois été très bonne. Être à la Galerie Cécile Fakhoury (rare espace de monstration de production contemporaine a Abidjan.) m’offrait une visibilité certaine. Les visiteurs on été sensibles, je crois à l’immersion que je leur proposais, et ceux qui était touchants pour ma part, c’était ceux qui venaient me voir et me disant que l’exposition les faisait prendre conscience du monde qui les entoure ; des détails qui maintenant allaient les animer.

Territoire des perceptions Sérénade des formes, Galerie Cécile Fakourhy, 2023 -2 @Issam Zejly
Territoire des perceptions Sérénade des formes, Galerie Cécile Fakourhy, 2023 -2 @Issam Zejly
Territoire des perceptions Sérénade des formes, Galerie Cécile Fakourhy, 2023 -2 @Issam Zejly

Cet automne, on a pu voir ton travail dans une très belle exposition bruxelloise ‘at the limit of dream’ (Aux confins du rêve), où tes recherches visuelles croisent des références textuelles, peux – tu nous parler de ce projet ?
At the limit of the dream s’inscrit également dans la traduction de mes recherches dans une forme autres que l’écrit. Toujours universitaire, une grande partie de mes cherches se traduisent naturellement par des essais que je réalise. Cette nouvelle exposition m’a permis donc de développer formellement mon intérêt pour le territoire et de questionner les perceptions que nous avons de ce territoire (qui est certes lier à la terre, et a son aménagement, mais également a l’habitat, la maison, au chez sois, au corps, …). Dans cette nouvelle exposition, je fais réapparaître des formes (écrites) qui étaient déjà présent dans mon exposition Le Grand Voyage – Version Courte que j’ai présenté à Bamako en 2017.
 Dans son essai Towards a Philosophy of Photography qui sort pour la première fois en 1983, Vilèm Flusser nous démontre qu’une image est constituée de plusieurs couches invisibles. Plusieurs niveaux d’abstraction viennent construire l’image, passant par le dessin, l’écriture, l’écriture scientifique, avant de devenir les images scientifiques que sont les photographies que nous produisons aujourd’hui. Ma série First proposition – word image & myth (2023) s’inscrit dans une volonté de crée une tension entre les différentes couches qui composent une image. Parce que les images sont des surfaces significatives, elles font appel à l’imagination, car elles nécessitent un décodage. Ce décollage ici ce construit en tension entre les mots et les images, entre les transparences et les superpositions.

Ange-Frédéric Koffi, First proposition – word, image & myth i, 2023
Ange-Frédéric Koffi, First proposition – word, image & myth i, 2023
at the limit of dream, Nosbaum Reding / Bruxelles, Belgique, 2023 @ Audray Jonchères
at the limit of dream, Nosbaum Reding / Bruxelles, Belgique, 2023 @ Audray Jonchères

En tant que commissaire, on a vu dernièrement ton exposition lors de la foire AKAA autour de l’oeuvre d’Adama Sylla, comment as-tu découvert son œuvre et pourquoi t’a t-elle intéressé ?
J’ai la première fois découvert le travail d’Adama Sylla dans l’ouvrage Anthologie de la Photographie Africain – De l’océan indien et de la Diaspora, paru en 1998 par Revue Noire. J’ai par la suite rencontré son travail physiquement lors d’une exposition à Lyon, où Adama Sylla exposait aux côtés d’Eva Diallo, une amie. Lorsque Marc Monsallier (ancien directeur de l’institut Français de Saint-Louis, Sénégal) me contacte durant l’été 2022 pour organiser une exposition, j’accepte directement. L’exposition qui était présentée à la foire Akaa n’était pas un de mes commissariats, mais elle s’inspirait de l’exposition Mécanique Poétique qui s’est tenue en mars dernier conjointement à la galerie Talmart et à la Galerie Lalalande.
L’œuvre de Sylla (89 ans) me fascinait, car en plus d’être passé sous les radars, elle regorge de richesses. Poursuivant une entreprise d’archivage, il est attentif aux corps, aux regards, aux lignes et aux détails qui viennent composer ces images, Adama Sylla n’est pas dans un rapport esthétique. Il capte les histoires personnelles qui l’entourent. Par sa pratique acharnée, il développe une écriture propre à lui et surtout, il révèle les vérités et les formes universelles qui nous unissent. Il dépasse la technique et se focalise sur l’acte de capter une collection d’instants.

Quels sont tes projets en 2024 et 2023 (résidence, expo, commissariat, écrits) ?
2023 a été marqué par 2 solos show, 1 commande publique, 1 groupe show, 2 symposiums, 2 résidences et une publication scientifique. C’est une année qui a été expérimentale et chronophage !
J’entame 2024 avec la Black Rock Residency a Dakar, et enchaîne avec un voyage d’études. Quelques expositions sont programmées, mais j’attends avec impatience la confirmation d’une exposition pour le mois de juin. Cela promet déjà d’être une année encore sur les chapeaux de roue.