Photosa 2023 – Interview d’Adrien Bitibaly

Adrien Bitibaly n’est pas un anonyme sur Afrique in visu. Depuis quelques années nous avons pu suivre l’évolution de son travail photographique. En 2021, Adrien Bitibaly a développé une première édition d’un festival intitulé Photosa. Retour à travers cette interview sur ce projet ambitieux, son évolution et son public à Ouagadougou.

J’aurais aimé commencer par une question d’ordre général sur pourquoi avoir monté un festival à Ouagadougou ? (état général de la photo dans ton pays, festivals, Formations, économie,…)
Au Burkina Faso, la photographie est omniprésente dans les cérémonies de la vie comme les mariages, les baptêmes, les funérailles. Ici, « on aime sortir la phase », c’est-à-dire prendre une position appropriée pour immortaliser l’instant. La photographie fait partie du quotidien. Pourtant, lorsqu’il s’agit de voir le pays à travers le regard d’un artiste, tous ces hommes et femmes qui adorent la photographie sont absents. Les expositions photographiques deviennent des lieux de « privilégiés », accessibles à peu de personnes (les personnes aisées, les occidentaux, les artistes…) : malgré la gratuité, le grand public ne s’y rend pas. Est-ce une question de culture ou un problème d’accès aux expositions photographiques ? Sans avoir nécessairement la réponse à cette question, j’ai souhaité faire quelque chose pour changer la donne.
La photographie ne fait pas partie des arts qui sont valorisés au Burkina Faso, au-delà des expositions qui sont parfois organisées par les structures telles que l’Institut Français ou le Goethe Institut. Elle reste avant tout un moyen de documenter les événements publics ou privés et n’est pas perçue comme un art.
Pourtant, Ouagadougou accueille de nombreux évènements culturels (le FESPACO, le SIAO, les Récréâtrales, le FITMO, les REMA…), mais la photographie ne connaissait pas d’évènement marquant dans la capitale burkinabè : nous l’avons donc créé, pour donner à cet art toute la place qu’il mérite.

As-tu été inspiré par un festival en particulier pour imaginer ce projet ou est-ce un mélange de plusieurs festivals et idées ?
Il s’agit avant tout d’une idée personnelle qui a germé depuis 2015. Je commençais à m’établir en tant que photographe, et mon objectif était de faire une exposition chaque année au Burkina Faso. J’ai effectivement réussi à mettre cela en place, mais je voyais que le public burkinabè n’était pas au rendez-vous lors des expositions dans les lieux habituels. A partir de 2017, je me suis alors dit qu’il fallait faire différemment, et j’ai imaginé les choses jusqu’à me lancer en 2021.
L’idée d’aller chez les gens est inspirée des Récréâtrales, le festival de théâtre de Ouagadougou qui se déroule dans les cours familiales. J’ai trouvé que c’était une manière intéressante de rendre la culture accessible, et c’était précisément l’objectif que je poursuivais.

Quels étaient les premiers objectifs en 2021 de Photosa ? Ceux-ci ont-ils évolué en 2023 ?
Les objectifs initiaux de PHOTOSA en 2021 étaient de :

  • Promouvoir la photographie d’art auprès du grand public et dans le milieu culturel du Burkina Faso en offrant un espace de médiation sur la culture visuelle.
  • Mettre la photographie au cœur des quartiers en impliquant directement les familles dans les expositions qui se tiendront dans leur cour d’habitation
  • Créer un cadre d’expression, de formation et de promotion pour les photographes burkinabè et internationaux

Pour 2023, les objectifs sont restés les mêmes, avec plus d’ambition, puisque le nombre de photographes invités était plus important, il y a également eu plus de formations et plus d’activités pendant le festival. Avec notamment une formation, initialement développée pour les photographes, pour des jeunes commissaires d’expositions.

La particularité de Photosa est qu’il ne se tient pas dans une institution muséale mais qu’il se déplace chez les gens. Peux-tu nous raconter cette idée et son déroulement sur le terrain ?
L’idée peut se résumer en une phrase : puisque les burkinabè ne vont pas dans les expositions, les expositions viendront à eux, jusque dans leur cour. J’ai choisi de lancer cela dans ma ville, Ouagadougou, et plus précisément dans le quartier de Wemtenga, qui est un quartier réputé pour sa vie nocturne et son animation.
Pour la première édition, j’ai dû faire un travail de démarchage auprès des familles pour les convaincre de nous laisser utiliser leur cour. Ils étaient sceptiques au début, ils ne savaient pas ce qui allait se passer, et ce n’est pas forcément facile d’accepter de laisser entrer des étrangers chez soi. L’ambiance lors du festival était telle qu’ils étaient finalement fiers et enchantés de cette expérience. Certains propriétaires de cours sont devenus guides de «leur» exposition. Une attention toute particulière fut donc portée à la médiation auprès de ces personnes afin d’accompagner leur rôle de «transmetteurs». La plupart ont bien voulu nous accueillir de nouveau cette année.
Une partie des expositions se tient également dans l’espace public, autour et dans une salle de cinéma, qui se trouve au centre de la place principale du quartier. On trouve autour des bars, des commerces…C’est le cœur de la vie du quartier, ainsi les gens de passage voient forcément les expositions.
Il était prévu pour cette édition de compléter le festival par une exposition au Musée National du Burkina Faso, car la photographie n’est pas représentée dans ce musée. Malheureusement, cela n’a pas été possible de réaliser cela cette année faute de financement.
Il faut aussi préciser que Photosa, ce n’est pas que des expositions : c’est aussi des formations, un défilé photographique une caravane dans la ville, des soirées de projections et débats, une mise en valeur du mentorat, des lectures de portfolios, des événements dont nous parlerons plus loin.

Quel est le public visé ?
Le public visé est avant tout celui qui ne va pas dans les expositions, c’est-à-dire ceux qui peuvent avoir tendance à penser que la culture est réservée aux élites. L’idée est aussi de faire se rencontrer les différents types de publics dans un lieu inhabituel et de montrer que la photographie rassemble. Lors de l’édition 2021, la Première Dame était venue par surprise, ce fût une grande émotion pour les gens du quartier !

Pour cette deuxième édition, 16 auteurs sont exposés, peux- tu nous dire comment a été opérée cette sélection et nous dire quelques mots sur chaque participant et la série exposée ?
L’édition 2023 rend hommage au photographe américain David Pace (1951-2020). David Pace portait le Burkina Faso dans son cœur et a soutenu et encouragé des jeunes photographes burkinabè. Il a consacré dix ans à un projet documentant la vie dans un village du Burkina Faso : Bereba (Province du Tuy, département de Houndé.). En plus de participer à un workshop qu’il a animé, j’ai été son assistant pendant 1 mois lors d’un de ses nombreux séjours à Bereba. Outre l’hommage personnel à un photographe qui a contribué à faire connaître le Burkina Faso dans le monde entier, il s’agit également de montrer la pérennité de l’œuvre photographique. Lorsque le photographe disparaît, sa carrière continue : ses images peuvent continuer à inspirer les gens qui les regardent, même si l’artiste n’est plus là pour les présenter et que d’autres prennent le relais afin de le célébrer. Trois séries de David ont été présentées : Friday Night, Sur la route, et Karaba Quarry. J’aime son travail car il montre la réalité de la vie au Burkina Faso, ce qui est assez rare chez les étrangers qui ont tendance à mettre l’accent sur la misère. Il a choisi de célébrer la vie sous toutes formes. Je suis très reconnaissant à sa famille d’avoir accepté que nous exposions ses photos.
Ce qui a guidé le choix des artistes, je dirai que c’est le rapport au monde, tout en croisant une programmation d’artistes internationaux et d’artistes burkinabè. Le monde est en proie à de multiples interrogations durant ces dernières décennies. Ces interrogations qui ne laissent personne indifférent, touchent en grande partie la pollution, l’écologie, la question des droits de la femme et la culture dans tous ses aspects. Cette année, lors de la seconde édition de la biennale photographique Photosa, les artistes photographes portent un regard assez particulier de l’homme sur son environnement (Philippe et Jacques, Gaëlle Delort, Nicolas Derné, Massow Ka), de l’identité culturelle à travers les rituels et la spiritualité (Adrien Bitibaly), les scarifications faciales (Boureima Regtoumba), l’éducation de la jeune femme sous le regard des religions importées (Eveline Soum Bonkoungou, Kani Sissoko), sur les icônes et personnalités du septième art (Antoine Tempé) mais aussi la culture vestimentaire (Delphine Blast) ou l’appartenance identitaire (Chiara Wettmann). D’autres regards sont dirigés sur les liens de parenté (Julia Gat), l’amour sentimental (Nyaba Léon Ouedraogo), l’amour pour le métier de forge (Issa Zoné), de l’artisanat. Cet ensemble nous propose un regard photographique sur notre monde actuel, avec 6 photographes burkinabè et 10 photographes d’autres nationalités. L’ambition est d’avoir un impact social à travers les thèmes abordés qui, je l’espère, ont touché le public. Nous avons pris soin de sélectionner des œuvres qui restaient accessibles pour un public non initié.
Photosa est une ouverture au monde. L’idée est d’une part, de permettre aux photographes burkinabè de découvrir différentes pratiques photographiques et d’autre part de permettre au public burkinabè de découvrir le monde, car rares sont ceux qui ont l’opportunité de voyager. L’intérêt est de croiser des artistes internationaux avec des artistes burkinabè : lors du festival, les rencontres et les discussions font la richesse pour tous. Ce croisement est bénéfique aux artistes burkinabè pour qu’ils progressent sur leurs projets. En plus des photographes burkinabè présents sur place, nous avons pu faire venir Chiara Wettmann (Allemagne), Kani Sissoko (Mali), Antoine Tempé (Sénégal) et Gaëlle Delort (France). Leur présence a permis d’enrichir les échanges aussi bien avec les artistes locaux qu’avec le public, durant de nombreuses visites guidées.

La thématique récurrente pour Photosa est aussi une interrogation par rapport au contexte burkinabè : quelle place donner à la photographie artistique au Burkina Faso ?

Je crois que ce festival s’accompagne aussi de formations, peux tu nous en dire plus ?
Il n’y a pas au Burkina Faso de formation professionnalisante en photographie. C’est très difficile pour une personne qui souhaite devenir artiste-auteur de trouver comment se former sur place. Il y a quelques workshops avec des photographes étrangers, c’est comme cela que j’ai commencé à me former moi-même. De plus, la profession de photographe est longtemps restée dévalorisée et était très précaire. Cela évolue un peu pour les photographes d’évènementiel, mais être artiste-auteur, c’est encore différent.
3 formations ont été faites lors de cette édition 2023 : un programme de mentorat, une formation sur l’art du portrait et une formation en commissariat d’exposition.
Le Programme de mentorat, que j’ai animé, a permis d’offrir cette année à 7 jeunes aspirants photographes burkinabè l’opportunité d’avoir un parcours artistique sur une durée d’un an. Ce programme se déroule en quatre temps :

  • Deux semaines de formation en présentiel (une semaine de théorie et une semaine de pratique) qui s’est déroulée du 20 février au 3 mars
  • Un accompagnement par un comité de professionnels de la photographie sur la réalisation de leur projet de création et de professionnalisation (échanges sur les réalisations, les difficultés rencontrées…)
  • Une nouvelle rencontre en présentiel d’une semaine en fin de parcours (début 2024)
  • Une exposition collective des œuvres réalisées grâce à cet accompagnement courant 2024 (sous réserve de financements) et une présentation-projection durant les Rencontres d’Arles lors d’un événement à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz
    La nouveauté pour cette nouvelle édition du programme de mentorat est que je vais mettre à contribution d’autres photographes pour l’accompagnement en ligne et aussi associer le regard d’un commissaire d’exposition.
    La formation sur « l’art du portrait » a été animée par le photographe Antoine Tempé et a été suivie par 6 personnes.
    La formation en commissariat d’exposition a été animée par Florent Basiletti, directeur de la Fondation Manuel Rivera-Ortiz. Cette formation a été très concrète pour la jeune fille qui en a bénéficié puisqu’ils ont pu travailler conjointement à la curation des expositions du festival, de la sélection, scénographie jusqu’au montage et support textuel. Florent a également proposé des lectures de portfolio pendant les 4 jours de festival pour les artistes qui le souhaitent ou pour les jeunes qui avaient suivi les formations et mentorat.

La formation se fait aussi par l’intermédiaire des conférences et projections qui ont pu avoir lieu en soirée : une soirée de présentation avec projections et discussions par les artistes de la seconde édition, une soirée hommage à David Pace avec la présentation de 8 séries photographiques sur le Burkina Faso et une table-ronde autour du thème « quelle place donner à la photographie artistique au Burkina Faso aujourd’hui ? ». Les échanges ont ainsi pu se faire entre les photographes burkinabè et les photographes invités, et avec le public qui rassemblait des habitants du quartier et des personnes venues spécifiquement pour l’occasion. Les échanges informels qui ont pu avoir lieu entre les photographes tout au long du festival sont aussi l’opportunité pour chacun d’interroger et d’améliorer sa pratique.

Enfin, les visites guidées des expositions par les photographes et par Ingrid, assistante commissaire d’exposition, sont des opportunités de formation pour les participants. Il y a eu la présence d’étudiants en lettres modernes questionnant le langage critique d’une image, lors de visites guidées ils ont pu exercer des questions critiques aux artistes.

Comment est soutenu et financé ce projet ? Et quels sont les engagements au niveau des politiques culturelles au Burkina Faso ?
Le projet est soutenu financièrement par l’Institut Français via son programme « Appui à la création, à la diffusion et aux opérateurs de la société civile en Afrique », le Goethe Institut de Ouagadougou, la SAIF-Copie Privée, Jean-François Dubos (Président de la Maison Européenne de la photographie) et l’association Douni’Art qui a lancé une collecte en ligne. La collecte participative menée en France est la contribution la plus élevée dans notre budget. On peut dire en quelque sorte que la solidarité est notre premier financeur, et j’en profite pour remercier tous ceux qui nous ont apporté leur soutien par cet intermédiaire, soit plus d’une cinquantaine de personnes.
Il faut également rajouter à cela des fonds personnels et les contributions en nature des bénévoles (renoncement au remboursement des frais engagés) car nous n’avons malheureusement pas obtenu toutes les subventions que nous espérions.
Du côté du Burkina Faso, il est malheureusement très difficile d’obtenir un soutien financier des institutions. Nous avons cependant eu la chance de bénéficier d’une audience auprès du Directeur de cabinet Ministre de la Culture et de la Communication, ce qui nous a permis d’avoir la présence de la télévision nationale qui a fait un reportage. Cela nous a beaucoup aidé pour la visibilité de nos activités.
Pour les partenaires qui apportent d’autres types de soutien nous comptons la Fondation Manuel Rivera Ortiz, Diana Photo, la Villa Yiri Suma, Permis de faire et bien sûr Afrique in Visu!
Il faut également souligner le soutien des bénévoles et des artistes impliqués qui ont donné de leur temps sans compter et sans qui le festival n’aurait pas pu avoir lieu, ainsi que les nombreux habitants du quartier qui se sont investis (montage et démontage des expositions, maintenance de la propreté du site)

Quels sont les développements prévus pour PhotoSa dans les prochaines années ? (cela peut être sur plusieurs éditions)
La prochaine édition est prévue en 2025. La transmission est quelque chose de très important pour moi. J’espère vraiment pouvoir développer cet aspect, en proposant des formations plus nombreuses et plus longues. Mon rêve est de pouvoir ouvrir un jour une école de photographie au Burkina Faso. J’aimerai vraiment réussir à mettre en place un programme d’échange avec l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, en faisant venir des élèves de l’école pour le festival, et en proposant des résidences à l’ENSP pour les photographes burkinabè, et aussi développer des ateliers pédagogiques avec les enfants et les jeunes publics.
Concernant les expositions, l’idée de départ était de changer de quartier à chaque édition. Cependant, l’accueil a été tel à Wemtenga que Photosa est pour moi devenu associé au quartier ! J’aimerai donc pouvoir faire une biennale itinérante, qui débuterait à Wemtenga et se déplacerait ensuite dans d’autres quartiers, voire dans d’autres villes pourquoi pas.
Je garde également l’idée de proposer, dans le cadre de la biennale, des expositions au Musée National, afin que la photographie artistique soit reconnue par les institutions nationales. Tout dépendra des financements que nous réussirons à obtenir.
Enfin, concernant David Pace, il me semble très important qu’il obtienne une reconnaissance par nos institutions du travail qu’il a accompli pour le Burkina Faso. C’est un hommage national qu’il mérite, par l’intégration de ces œuvres dans les archives nationales mais aussi la présentation, je l’espère, au Musée National.

Il est possible d’adhérer à l’association Douni’Art pour soutenir la prochaine édition de Photosa : https://www.helloasso.com/associations/douni-art/adhesions/adhesion-2022-2023