Kisumu, Kenya, January 16th 2008. Police stops ODM supporters on their way to central Kisumu for their party political rally. © Photo by Christophe Calais for The New York Times.
Kisumu, Kenya, January 16th 2008. Police stops ODM supporters on their way to central Kisumu for their party political rally. © Photo by Christophe Calais for The New York Times.

Interview de Christophe Calais

Kisumu, Kenya, January 16th 2008. Police stops ODM supporters on their way to central Kisumu for their party political rally. © Photo by Christophe Calais for The New York Times.
Kisumu, Kenya, January 16th 2008. Police stops ODM supporters on their way to central Kisumu for their party political rally. © Photo by Christophe Calais for The New York Times.
Il y a un mois, nous découvrions le travail du reporter Christophe Calais. Un photographe qui depuis les années 90 s’intéresse au continent africain. Après avoir publié deux livres sur le Rwanda et les conséquences du génocide de 1994, il se focalise actuellement sur la réinstallation de familles africaines réfugiées aux Etats-Unis. De Somalie en Arizona,  du Burundi à Houston, Comment vit-on cette nouvelle vie ?

C’est à travers un travail de longue haleine mené depuis 2003, que Christophe Calais pose la question de la réinstallation de ces réfugiés. Des image presque à lire, qui racontent mieux que des mots une histoire actuelle: celle de dizaines de milliers de personnes se confrontant à l’ American way of life .

Pouvez-vous nous parler de votre parcours de photographe dans ses grandes lignes ?

Autodidacte, j’ai commencé la photographie dans les années 90 comme stagiaire, puis comme pigiste  au journal France Soir . En 1991, j’ai effectué mon service militaire en tant que reporter-photographe au sein de la rédaction de Terre-Magazine , le magazine de  l’armée de terre.

En sortant de mon service militaire, je suis entré comme photographe salarié du magazine VSD. J’y suis resté pendant six ans à couvrir l’actualité française et internationale.

Depuis 10 ans maintenant, je suis photographe indépendant, mes photographies sont publiées dans la presse internationale et j’ai réalisé deux livres sur le Rwanda.


May 11, 2003 KAKUMA KENYA --- La famille Lamungu s'apprête a quitter le camp de réfugiés de Kakuma emportant tous les biens qu'elle  possède . De gauche à droite : le père Hassan (42 ans), la mère Nurto ( 38 ans ), elle porte dans ses bras Abdul wahad (2ans), Amina (6ans), Shamsi ( 4ans), Mohamed (9ans), Halima ( 16 ans), la grand mère Khadija ( 61 ans ), Arbai ( 14 ans) © Photo by Christophe Calais.
May 11, 2003 KAKUMA KENYA — La famille Lamungu s’apprête a quitter le camp de réfugiés de Kakuma emportant tous les biens qu’elle possède . De gauche à droite : le père Hassan (42 ans), la mère Nurto ( 38 ans ), elle porte dans ses bras Abdul wahad (2ans), Amina (6ans), Shamsi ( 4ans), Mohamed (9ans), Halima ( 16 ans), la grand mère Khadija ( 61 ans ), Arbai ( 14 ans) © Photo by Christophe Calais.
Comment avez-vous commencé à couvrir le continent africain et comment travaillez-vous ?

Mon premier voyage en Afrique date de 1992. Le magazine VSD m’avait alors envoyé à Bangui  pour réaliser un reportage finalement publié sous le titre : «l’Afrique se meurt à Bangui». C’était mon tout premier contact avec l’Afrique. Je me souviens avoir photographié des infrastructures déjà en déliquescence,  notamment les hôpitaux, ainsi que les restes du trône de Bokassa qui pourrissaient sous le stade de Bangui. De l’aigle recouvert d’or, il ne restait que l’armature rouillée. Une  image symbolique.

Puis il y a eu plusieurs coups d’état en Afrique qui ont conduit à l’intervention de l’armée française. Je les couvrais pour VSD.

En juin 1994, il y a eu le premier contact avec le Rwanda. Cela a été le vrai début de mon lien avec l’Afrique. D’abord envoyé pour couvrir le déploiement de l’Opération Turquoise au mois de Juin à Cyangugu, j’ai ensuite photographié l’exode des Hutus vers l’ex-Zaïre et l’épidémie de choléra qui a suivi, puis l’offensive des Troupes de l’Alliance de Laurent-Désiré Kabila qui commence en 1996 à Goma jusqu’à la chute de Mobutu à Kinshasa en mai 1997.

Après cette période, mon travail en Afrique s’est plus inscrit dans une démarche personnelle sur les conséquences du Génocide au Rwanda. Je me suis d’abord intéressé aux rescapés puis à la mise en place du processus judiciaire avec les Gacaca au Rwanda et le Tribunal Pénal International à Arusha en Tanzanie. J’ai ensuite enregistré le travail de Mémoire qui était réalisé sur place, puis j’ai essayé de comprendre si une réconciliation entre bourreaux et victimes était possible…

Pour ce qui est de ma méthode de travail,  je passe environ 3 heures chaque jour à éplucher les journaux français et à explorer internet à la recherche d’idées de reportages. C’est une véritable discipline.

Au mois d’août 2002, je lis une brève dans Libération sur les campagnes d’excision dans les camps de réfugiés en Afrique. Dans cette brève, on mentionne que 12 000 réfugiés somaliens bantous doivent être relocalisés aux Etats-Unis. C’est à partir de cette information que j’ai commencé mes recherches sur les Bantous de Somalie.

Cette histoire de tout un peuple que l’on allait déplacer d’Afrique aux Etats-Unis était tellement énorme que personne n’y croyait. Seul le Monde 2 a bien voulu participer à mes frais de reportage.

C’est en février 2003 que je me rends au Kenya alors que l’OIM est en train de préparer les somali-bantous à la nouvelle vie qui les attend  aux USA. Les Somali-bantous n’étaient familiers ni de l’eau courante, ni de l’électricité ni de quoi que ce soit relatif au confort moderne, et ils allaient être propulsés dans des villes américaines du 21ème siècle

J’ai donc réalisé une série d’images sur leur formation. De retour, ce sujet a été publié dans le Monde 2 et Géo Allemagne. J’ai alors proposé à ces deux magazines de repartir au Kenya et de suivre l’itinéraire d’une famille de son départ d’Afrique à son installation aux USA.

En 2003, vous avez suivi la famille d’Hassan Lamungu qui a été rélocalisée en Arizona aux Etats-Unis comme l’ensemble des douze mille Bantous de Somalie. Vous les avez suivi pendant leur formation, avant le départ, jusqu’à leur installation à Phoenix en Arizona. Comment ce travail documentaire s’est-il réalisé ? Comment s’est fait le choix de cette famille de migrants que vous avez suivie et photographiée jusqu’au Etats-Unis ?

En revenant, j’ai rencontré plusieurs familles avec la volonté de les suivre sur le long terme .Je souhaitais suivre une famille qui rassemblait plusieurs générations, des grands-parents aux petits-enfants. C’est comme ça que j’ai rencontré la famille d’Hassan Lamungu. J’ai commencé à les photographier le jour de leur départ du camp de Kakuma au Kenya, puis en transit à Nairobi et dans l’avion jusqu’aux USA. Je suis resté avec eux à leur arrivée sur le sol américain et j’ai assisté à toutes les démarches administratives de leur nouvelle vie. Puis, à Phoenix, en Arizona, la rentrée des enfants à l’école, le premier job d’Hassan, etc. Depuis 2003, je leur rends visite au moins une fois par an et je photographie leur vie.

May 27, 2003 PHOENIX USA  --- La famille Lamungu découvre les gratte-ciels du centre ville de Phoenix © Photo by Christophe Calais.
May 27, 2003 PHOENIX USA — La famille Lamungu découvre les gratte-ciels du centre ville de Phoenix © Photo by Christophe Calais.
De quel programme font partie  les réfugiés pour avoir pu être réinstallés aux Etats-Unis ? Comment cela se déroule-t-il ?

Le Haut-commissariat des Nations-Unies  pour les Réfugiés (HCR) identifie les populations de réfugiés qui subissent de fortes persécutions. Il s’agit de populations qui ont fui leur pays en guerre et qui se sont réfugiées dans un pays voisin. Seulement, même réfugiés dans ce pays voisin, ils continuent à subir des pressions liées à leur appartenance ethnique ou politique. Leur vie en est souvent menacée. Ils ne peuvent donc pas rester là où ils sont réfugiés, ni rentrer dans leur pays. La seule solution est de les réinstaller dans un pays tiers. Les tentatives de réinstallation dans les pays africains aboutissent rarement et c’est plutôt vers les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et les pays nordiques (Suède, Danemark, Norvège) que ces groupes de réfugiés vulnérables sont orientés.

Pour ce qui est des USA, depuis la fin de la guerre du Vietnam, les Etats-Unis accueillent chaque année des quotas de réfugiés. Je précise : il s’agit bien de réfugiés dont la vie est en danger là où ils sont. Ce ne sont pas des « migrants économiques ». Ils entrent sur le sol américain déjà avec ce statut de réfugié. Un statut qui leur donne droit à un permis de travail , une couverture sociale et une aide de quatre mois financée par le gouvernement américain et relayée par des associations locales. Au bout de quatre mois, les réfugiés doivent voler de leurs propres ailes.

Votre travail sur le thème de la réinstallation des réfugiés aux Etats-Unis, un projet soutenu par l’ONG Américaine Mapendo, comment se passe cette collaboration ?

Sasha Chanoff a créé Mapendo en 2005. Cette ONG américaine travaille avec tous les réfugiés qui passent entre les mailles du filet humanitaire des grosses organisations. Nous nous sommes rencontrés en 2003 alors qu’il travaillait pour l’OIM. Depuis nous sommes devenus amis et lorsque Mapendo travaille avec des populations particulièrement menacées, Sasha me fait part de son action et j’essaye d’intéresser les magazines avec lesquels je travaille régulièrement afin qu’ils publient un reportage sur le cas en question. C’est ainsi que pour le magazine ELLE, j’ai réalisé un reportage avec Mapendo sur « les réfugiés urbains », ces réfugiés qui ont décidé d’eux-mêmes de quitter un camp de réfugiés et de renoncer à leur statut. Ils se retrouvent alors seuls dans des grandes villes africaines, sans assistance et sans existence légale. Il s’agit souvent de femmes qui fuient les risques de viols ou de mariages forcés à l’intérieur des camps.

Gatumba survivors, Burundi, March 2007. Shakondo Gaturuturu, survivant du massacre de Gatumba © Photo by Christophe Calais.
Gatumba survivors, Burundi, March 2007. Shakondo Gaturuturu, survivant du massacre de Gatumba © Photo by Christophe Calais.
Vous avez des contacts réguliers avec les réfugiés ?

C’est avant tout un échange qui se passe entre nous. Je peux prendre car ils me donnent. Sans ce préalable, je ne pourrais pas réaliser sur la durée ce type de reportage. Ils ont compris l’intérêt de laisser une trace et que la photographie enregistre et conserve la mémoire de leur famille, de leur peuple, de leur terre.

Votre portfolio dans le monde 2 propose deux volets sur les Etats-Unis, terre d’asile. Dans un premier temps en 2007 où nous voyons la vie dans le camp Bujumbura des réfugiés Banyamulenges qui ont fui le sud Kivu puis nous les revoyons un an après aux Etats-Unis (2008). De quelle manière travaillez-vous ?

Avec les survivants de Gatumba, plutôt que de suivre chaque étape de la nouvelle vie des réfugiés, comme je le fais avec les Somali-bantous, j’ai essayé de montrer le parcours accompli au travers de deux images. J’ai photographié chaque famille réfugiée au Burundi avant son départ  pour les USA, puis je les ai photographiées de nouveau un an après leur arrivée aux Etats-Unis. J’avais remarqué auparavant que les réfugiés changeaient beaucoup physiquement après leur départ d’Afrique. Je trouvais même que certains rajeunissaient ! Cela est lié entre autres à l’alimentation, à de meilleurs soins et de nouveaux modes vestimentaires. C’est ce que j’ai voulu traduire dans cette démarche de photo avant/après.

Mais vous vous reconnaissez avant tout comme un photojournaliste ?

Oui, je suis reporter-photographe, photographe de presse dans le sens où depuis mes débuts 100 % de mes revenus sont issus de la publication de mes photographies dans la presse.

Aujourd’hui cela est en train de changer car la presse est en crise et elle consacre de moins en moins d’argent au financement de reportages ou à l’achat de sujets déjà réalisés.

Maintenant le thème des luttes ethniques et de ses conséquences tel que la relocalisation des peuples est au centre de votre travail depuis un certain nombre d’années. Continuez-vous à faire du Hot News en parallèle ?

Oui, dès que je peux, c’est à dire dès que j’en ai les moyens. Car couvrir le news coûte cher. En 2008, j’ai pu couvrir la crise post-électorale au Kenya pendant plus d’un mois pour le New York Times, je suis allé à mes frais au Kosovo couvrir l’indépendance du pays mais je n’ai pas pu aller, manque de moyens, dans le Kivu au moment des affrontements entre le CNDP de Laurent Nkunda et l’Armée Congolaise. C’est pourtant un sujet qui me tient à cœur…

Dans le futur, pensez-vous explorer la thématique de la relocalisation d’autres communautés sur un autre continent ?

J’ai suivi 4 communautés qui sont parties aux Etats-Unis : les Somaliens, les Hmong du Laos, les Meskhètes de Russie, et les Congolais de Gatumba.. Le point commun entre tous ces réfugiés est qu’ils vont tous devenir des citoyens américains.  De plus en plus d’américains auront un passé de réfugiés. C’est à l’image du nombre de conflits qui secoue la planète et qui engendre tous ces mouvements de population. Nous sommes contemporains de ce phénomène. C’est pour moi une évidence que de continuer à le documenter photographiquement.

Vos projets futurs ?

J’aimerais retourner au Rwanda en 2009 ou 2010.

Pourvoir l’ensemble des reportages de Christophe Calais, rendez-vous sur son site: www.christophecalais.com

Gatumba survivors, Burundi, March 2007 © Photo by Christophe Calais.
Gatumba survivors, Burundi, March 2007 © Photo by Christophe Calais.