« Je suis un piéton, rien de plus »

Dans l’univers poétique du photographe Thierry Chantegret , pas besoin d’aller loin pour voyager. Paris ou Charleville-Mézière deviennent des villes lointaines, pleines de douceur et d’humour. Ce photographe vous balade dans ces rues, vous fait rencontrer ses habitants. Une photographie où les portraits et les ateliers réalisés avec les adolescents sont des moments de poésie et d’écoute. Regardez d’un nouvel oeil ce qui vous entoure.

Parcours et durée

Autoportrait © Thierry Chantegret
Autoportrait © Thierry Chantegret
Tu as un parcours professionnel atypique dans la photographie, peux-tu nous l’expliquer brièvement ?

Mon goût pour la photographie est venu, je crois, de mon père qui a toujours pratiqué la photo. Il faisait ses propres tirages. J’ai donc mis mes mains dans les bacs de développement pour l’aider et y ai pris goût. Mais ma première fascination pour la photo est venue grâce à un oncle, qui au début des années 70 avait fait un voyage en Inde. Il en était revenu avec des petits bouts de carton sur lesquels était marqué « kodachrome », j’ai gardé une certaine attirance pour les diapositives, un certain goût depuis.


J’ai été formé à l’ETPA, école de photo à Toulouse et mes week-ends étaient consacrés à la photographie de sport, en particulier le rugby. Cela a été une bonne école pour moi, apprendre à maitriser le cadrage dans l’action. J’habitais Perpignan, c’est là que j’ai réalisé ma première exposition en 1983, Visa pour l’image n’existait pas encore.

Après mon service militaire, un ami que j’avais connu à l’ETPA, me proposa de le remplacer pour devenir assistant d’un photographe de mode à Paris. J’ai ensuite travaillé avec d’autres photographes ainsi que dans des studios comme Pin-Up et Rouchon. Ce milieu ne me plaisait pas vraiment mais cela m’a permis de beaucoup voyager et de prendre goût à une photographie qui me correspondait.

Charlevilles-Mézières © Thierry Chantegret
Charlevilles-Mézières © Thierry Chantegret
Charlevilles-Mézières © Thierry Chantegret
Charlevilles-Mézières © Thierry Chantegret
Je voulais devenir photographe, mais pour gagner ma vie, j’ai commencé à travailler pour des laboratoires, entre autres les ateliers Janjac pour lesquels j’ai commencé à avoir des responsabilités et petit à petit je ne faisais plus de photos par manque de temps.

J’ai travaillé ensuite 2 ans dans une agence de communication, FKGB, dans laquelle j’avais mis en place le service de photogravure numérique. Travailler 15 heures par jour, parfois les week-ends, m’a fait « péter les plombs » et je suis parti en Argentine. Ce fut une période déterminante dans ma vie. J’y ai rejoint un ami, Gabriel Novella, qui possédait un laboratoire à Buenos Aires. Je l’avais connu à Paris lorsqu’il travaillait chez Iconolab, l’unique laboratoire à l’époque à développer l’E6 à la main. Gabriel m’avait fait une proposition comme il en arrive peu dans une vie, il me proposait le gîte et le couvert et la possibilité de recommencer à faire de la photographie. Alors que je ne faisais que du noir et blanc, c’est comme cela que j’en suis venu à utiliser la couleur et plus particulièrement la diapositive. C’est très certainement en Argentine que j’ai vu les plus belles lumières.

Il y a eu deux moments très forts en Argentine : J’ai travaillé pendant un mois en Patagonie dans un parc national avec un photographe argentin de faune et de flore, Claudio Suter . J’ai beaucoup appris à ses côtés, sur la lumière et la patience… J’ai aussi assisté Paula Luttringer une photographe argentine qui avait été séquestrée durant la dictature. Je l’ai accompagnée sur différents lieux de détention. Son travail, « El lamento de los muros », a fait l’objet de nombreux prix. Je garde des souvenirs émouvants de cette rencontre.

Je suis rentré à Paris un an plus tard et le lendemain de mon retour j’étais embauché chez Picto où je suis resté 7 ans. J’ai demandé à pouvoir travailler tôt pour être libre l’après-midi ainsi je pouvais aller me promener pour faire de la photo. Je n’avais plus d’argent en rentrant d’Argentine, mon travail sur Paris est alors né de cette idée : j’allais être un touriste dans ma ville, j’allais la redécouvrir et la faire voir autrement.

Avoir 17 ans © Thierry Chantegret
Avoir 17 ans © Thierry Chantegret
Puis lorsque financièrement je l’ai pu, j’ai recommencé à voyager. Je suis parti en Inde. Encore un moment important pour moi. J’ai exposé mon travail sur l’Inde en 2004 lors du festival des Chroniques Nomades à Honfleur. J’y ai rencontré Jacqueline Salmon qui a souhaité voir d’autres de mes travaux. Elle était commissaire d’exposition pour la Biennale Urbi et Orbi de Sedan. Elle a aimé mon travail sur Paris et l’a présenté en mai 2006. C’est un peu par hasard qu’elle avait présenté mon travail au conservateur du Musée de l’Ardenne à Charleville-Mézières, qui cherchait un photographe, pour réaliser un portrait de cette ville pour son 400ème anniversaire. J’ai eu le privilège qu’il me choisisse pour devenir à cette occasion le premier à bénéficier d’une résidence à la « Maison des Ailleurs » , maison dans laquelle Arthur Rimbaud a vécu et écrit.

Il était devenu évident pour moi de me consacrer alors à plein temps à mon travail d’auteur. Un photographe qui m’a marqué et pour qui il m’arrivait de faire des tirages, Luc Delahaye , m’avait aussi aidé à prendre conscience de certaines voies à prendre.

Tes travaux s’étendent sur plusieurs années, est-ce qu’ils se construisent au fur et à mesure du temps ou bien ton sujet est déjà prédéfini au départ ?

Tous mes travaux sont intimement liés à ma vie personnelle et parfois même à ma vie amoureuse.

Quand je suis arrivé à Paris, en 1985, j’étais suffisamment timide pour ne pas rentrer seul dans un bar. C’est surement pour cela que je faisais des photos de sport à cette époque là, cela me rassurait. J’ai décidé de suivre des ateliers de théâtre et de clown, cela m’a beaucoup aidé dans mon approche de la photographie et en particulier pour photographier des inconnus dans la rue. Je crois que mes errances photographiques ont toujours été liées à une envie de communiquer. Je sais que la photographie m’a beaucoup apporté pour cela.

J’ai de plus en plus envie d’aller vers le portrait. Je viens de terminer une résidence au Lycée Chanzy de Charleville-Mézières grâce à la DRAC Champagne-Ardenne ou j’ai pu expérimenter différentes voies du portrait. Cela avait commencé il y a un an en réalisant une série avec des Lycéens de 17 ans. Je suis parti du célèbre portrait d’Arthur Rimbaud âgé de 17 ans, réalisé par Carjac en 1871. Chaque portrait réalisé dans la maison où il a vécu, est accompagné d’un texte écrit par les lycéens. Ils y évoquent leur avenir. Cela m’a paru doublement intéressant, d’une part parce que A.Rimbaud a fui cette ville à plusieurs reprises, d’autre part parce que Charleville est une des villes de France qui perd le plus ses jeunes chaque année.

Résidence

Avoir 17 ans © Thierry Chantegret
Avoir 17 ans © Thierry Chantegret
Tu te professionnalises dans le domaine de la photo au moment de ta résidence à la « Maison des Ailleurs ». Ce travail t’a permis de rebondir sur d’autres projets, notamment en Ethiopie à Harar, comment as-tu fait le lien ?

Comme je l’évoquais, c’était un privilège pour moi d’être le premier à bénéficier de cette résidence. D’autant plus que je connaissais peu de choses sur la vie de Rimbaud. J’ai vite appris que Rimbaud avait passé dix ans en Ethiopie à Harar. Mais le plus intéressant pour moi fut d’apprendre que les deux villes, Charleville-Mézières et Harar, allaient signer des accord de coopération le jour du 400ème anniversaire de Charleville. J’ai démarré la résidence à Charleville en août 2005 et en février 2006 j’étais à Harar pour réaliser un regard croisé entre les deux villes dans lesquelles Rimbaud avait vécu le plus durablement.

Ce travail est présenté à partir du 11 juillet 2007 à La Maison Rimbaud à Harar pour le millième anniversaire de cette ville qui a été classée l’an passé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Un projet d’édition est également prévu avec les éditions Textuel mais nous n’avons pas, pour le moment, de financement nécessaire de la ville.

Poésie

Avoir 17 ans © Thierry Chantegret
Avoir 17 ans © Thierry Chantegret
Ton travail sur Charleville et Harar est très poétique. Les écrits sur cette ville t’ont-ils influencé?

Les écrits de Rimbaud sur Harare étaient principalement des lettres qu’il écrivait à sa famille. Je les ai lues mais cela ne m’a pas influencé. Il y a seulement une phrase que j’ai retenue, « je suis un piéton, rien de plus » que j’aime beaucoup et dans laquelle je me reconnais. Elle est très proche du petit texte, « Je ne fais que passer » , que j’ai écrit sur l’Inde…

Tu as une démarche particulière, tes photographies mêlent instant figé, humour et poésie, peux-tu nous en dire en peu plus ?

J’aime figer ces instants que l’on ne prend d’habitude pas le temps de regarder, ces instants qui mêlent à la fois ironie, onirisme et poésie. Ces instants de la réalité qui une fois juxtaposés, racontent quelque chose d’original, invisible avant.

Décor et musique

Harar © Thierry Chanyegret
Harar © Thierry Chanyegret
Harar © Thierry Chanyegret
Harar © Thierry Chanyegret
Il y a un aspect très humaniste dans tes photos. Dans ton travail sur Charleville-Mézières comme sur Harare ou sur l’Inde, on voit la ville comme un décor. Les personnages semblent être très importants pour toi. Qu’est-ce qui t’intéresse ?

La ville m’intéresse. Je m’intéresse à la place de l’être humain dans l’espace urbain. Je joue beaucoup sur les traces laissées par l’Homme sur le décor, les éléments urbains. L’aspect graphique est aussi important que la présence humaine.

La musique est présente et semble importante dans ton travail. De quelle manière l’intègres-tu à ton travail ?

C’est un ami qui a composé la musique sur mon site, j’ai souvent imaginé que je ferais une exposition avec du son. En Ethiopie, j’avais enregistré des sons dans la rue, car j’avais envie de rendre vivant ce travail. Je prends beaucoup de plaisir à présenter des travaux sous forme de diaporama depuis que j’ai découvert le slam. Comme dans le slam, que je pratique depuis environ un an, l’échange et le partage y est tout à coup différent. Les sensations sont différentes. Je travaille aussi avec des slameurs. J’ai par exemple fait venir Luciole, qui a été championne de France de slam, à Charleville-Mézières. Elle est venue animer un atelier d’écriture sur mes images réalisées lors de ma résidence. Des textes ont été produits autour de mes images avec des étudiants en théâtre. Après l’atelier d’écriture, on a fait une lecture de ces textes dans la cour de « La Maison des Ailleurs ». Je travaille en ce moment à mettre en page ces textes avec mes photos. J’ai créé une association « Ici voir(e ) ailleurs ». Cette association a pour but d’utiliser l’image comme vecteur positif de projets. Le premier atelier que j’ai animé dans un centre social, permettait de créer un lien plutôt que de séparer les gens. J’aimerais à terme travailler avec des personnes en difficulté, pour montrer que l’image peut servir de thérapie, parfois même d’exutoire.. Je le fais déjà en milieu scolaire (CLIS) ou comme au Cambodge lors du Photofestival d’Angkor où j’avais encadré des enfants des rues.

Atelier et Portrait

Oujda © Thierry Chantegret
Oujda © Thierry Chantegret
Comment s’est déroulée ta dernière résidence à Oujda au Maroc ? tu as travaillé sur la notion de portait et d’autoportrait. Comment as-tu défini et articulé ce travail ?

La région Champagne-Ardenne développe des accords de coopération décentralisée avec la région de l’Orientale au Maroc. C’est comme ça que je suis arrivé à Oujda, grâce à l’ORCCA (Office régional Culturel Champagne-Ardenne). J’ai réalisé des portraits de Lycéens dans le Lycée Omar, qui est le plus ancien lycée français du Maroc. Je suis assez satisfait du résultat, compte tenu de la part d’improvisation. Au départ je voulais travailler avec des lycéennes autour de la problématique de la représentation dans un pays musulman. A-t-on le droit de photographier son ombre ou son reflet ? Comment peut-on transgresser cela ? J’ai très envie de poursuivre cette réflexion en France avec des femmes musulmanes.. Les lycéens ont aussi réalisé des autoportraits et écrit sur ce qu’ils étaient et ce qu’ils pensaient. J’aime beaucoup mêler les mots aux images. Le travail a été projeté à l’Institut Français.
Oujda © Thierry Chantegret
Oujda © Thierry Chantegret

Tu apprécies de faire des ateliers en milieu scolaire, en Seine-St-Denis, à Charleville Mézières, au Maroc mais aussi au festival d’Angkor. Qu’aimes-tu dans ces ateliers et comment définis-tu les sujets que tu vas explorer ?

Cela fait deux ans que j’anime des ateliers, et je pense que cela va continuer à se développer. Je pars sans doute à la fin de l’année dans un orphelinat au Ghana. Je vais rejoindre une amie qui fait du bénévolat depuis deux ans là-bas. Je pars souvent du portrait et et de l’autoportrait, et quand je travaille avec des adultes ou des enfants en difficulté, je travaille sur l’estime de soi. Dans ces ateliers je ne fais pas de travail personnel, je suis là pour les assister, leur permettre de trouver quelque chose…

Indian Colorised Portraits – collection T.C

Tu constitues un fonds d’anciens portraits indiens, pourquoi ce choix ? Et comptes-tu en exposer une sélection dans le futur ?

J’ai déjà exposé ce travail au Cambodge lors du Photofestival d’Angkor . Je l’ai présenté conjointement avec un photographe écossais qui vit à Lahore au Pakistan et qui collectionne des portraits noir et blanc réalisés par des photographes Pakistanais.

J’ai acquis ce fond chez des photographes, dans des boutiques de vieux objets.

J’ai un fonds de 24 images actuellement. Je ne cherche que des portraits individuels en noir et blanc recolorisé ensuite à la main. Je suis fasciné par ces images. Je ne sais pas pour l’instant ce que je ferais de cette collection, peut-être des petits coffrets rassemblant toutes les images reproduites, comme des objets de collections.

Indian Colorised Portraits © Collection T.C
Indian Colorised Portraits © Collection T.C
“C’est à l’occasion de mon premier voyage en Inde, à Jodhpur, que je suis tombé en fascination devant la finesse d’un portrait photo colorisé. Cette femme, assise, me faisait penser à Frida Kahlo. Il me rappelait aussi sa grande beauté. Frida Kahlo dont le travail de peintre était essentiellement consacré à l’autoportrait et à sa propre réalité, souvent tragique. Sans savoir alors que cela deviendrait une « obsession »… Je fis l’acquisition de ce portrait.

A chacun de mes voyages en Inde, je pars maintenant fouiller au fin fond de certaines boutiques, à la découverte d’une image… et de l’émotion ressentie à la vue de « mon » premier portrait colorisé trouvé.

Qui sont-ils, que font-ils…sont-ils toujours en vie ? Autant de questions que je me pose.

Dans la grande tradition du portrait indien, ces portrait m’étonnent. Ils m’étonnent parce que dans une société ou les hommes et les femmes ne vivent pas dans le paraître, tout à coup leur représentation n’est plus la réalité mais une représentation inventée de la réalité.

C’est là précisément ce que les studios photo indiens, en perpétuant une tradition, ont toujours eu à offrir. Les clients paient pour une ressemblance. Alors que certains semblent rêver de percer à Bollywood, tout cela n’est qu’une illusion. L’espace d’un moment photographique, l’existence de ces personnes sera maitrisée. Ils rejoindront le répertoire des immortels. Devenus alors inoubliables.”

En savoir plus :

– Site www.thierrychantegret.com