L’homme aux mille appareils ou la caverne d’Ali Baba de Bagadadji

Vendredi matin, nous devons retrouver Malick Sidibé à son studio pour l’interviewer. Il se prête volontiers à notre interview et aux poses photos. Un agréable moment avec un homme simple et plein d’anecdotes: un vrai témoin de l’histoire immédiate. On a souvent dit que Malick Sidibé avait été récupéré par des acheteurs ou promoteurs et il y a sûrement une part de vérité. Mais Malick est loin d’être naïf et comprend le jeu de l’argent dans lequel il est embarqué depuis que l’occident a ouvert les yeux sur la photo africaine. Pas de contrats ! Et pourtant tant de gens lui ont dit d’en signer mais il ne veut pas… Espérons qu’il ne se retrouvera jamais confronté à une situation similaire à celle de Keïta et aux procès dans lesquels des découvreurs occidentaux s’arrachent les droits d’un photographe africain.

Comment as-tu débuté le métier de photographe ?

Dans mon village, un commandant colonial m’a trouvé un talent de dessinateur. Il voulait m’aider financièrement pour que j’aille aux Beaux-Arts à Paris. En 1952, finalement le destin m’a amené à Bamako à L’ INA (anciennement appelé l’école des artisans soudanais). Quand un français est venu pour ouvrir son studio photo à Bamako, il a demandé à l’INA de lui conseiller un artiste pour décorer son studio. C’est ainsi que je suis devenu le premier employé de l’homme qu’on surnomme « Gégé la pellicule » en 1955. Je suis tout d’abord caissier dans cette boutique du centre ville : Photo service.

En 1956 avec mes premiers salaires, j’obtiens mon premier appareil un Brownie Flash alors que je continue à servir les clients. C’est comme cela que je me suis lancé dans la photographie. Peu à peu j’ai réalisé des photos dans les soirées de Bamako ou encore des photos d’identité.

Quand as-tu eu ton propre studio photo ?

J’ai ouvert le Studio Malick à Bagadadji en 1962. En 1960, j’avais racheté tout le matériel photo d’un militaire français à Kati. A cette époque là Seydou Keïta, Youssouf Traore et bien d’autres possédaient déjà leur propre studio à Bamako. Aujourd’hui chaque famille quasiment a son propre studio…

C’était une époque très prolifique pour la photographie. Les jeunes venaient se faire photographier avant d’aller en soirée. Je réalisais des reportages sur les jeunes dans des soirées. Je pouvais parfois en couvrir jusqu’à 6 par samedi ! C’était l’époque où la musique européenne était à la mode et les jeunes se libéraient par celle-ci. On pouvait danser en couple (chachacha…) comme les européens.

Quand ces jeunes gens pouvaient-ils récupérer leurs photos ?

Je développais les films le samedi dans la nuit afin que les photos puissent être affichées devant mon studio le mardi matin. Les gens venaient ainsi choisir leurs préférées pour les faire retirer en format carte postale.

© Malick Sidibé
© Malick Sidibé

Où et comment as-tu acquis toute cette panoplie d’appareils que l’on peut voir dans ton studio ?

Cela fait des années que je collectionne les appareils mais beaucoup ne m’appartiennent pas…

Au début j’envoyais mes appareils cassés à Paris afin de les faire réparer mais cela me coûtait trop cher. Je me suis mis petit à petit à les réparer. J’étais le seul dans la région, tout le monde faisait appel à moi pour diverses réparations. C’est ainsi que j’ai gardé des appareils que certaines personnes ne sont jamais venu récupérer. Puis il y a bien sûr tous mes anciens appareils…

Où et comment conserves-tu tes négatifs et images ?

« Gégé la pellicule » m’a beaucoup appris et notamment à archiver mes images dans des classeurs.

J’ai également appris à numéroter toutes mes archives au fur et à mesure afin de les conserver au mieux dans mon studio.

Et André Magnin conserve-t-il certaines de tes images ou négatifs ?

En effet Magnin possède quelques clichés et négatifs. Il les utilise lors d’expositions. Après les avoir fait tirer chez Picto à Paris, je viens les signer.

Comment l’as-tu rencontré ?

Vers 1991, Françoise Huguier mettait en place la première Biennale au même moment. André Magnin réalisait ses premières recherches sur la photo africaine. Un jour Magnin débarque dans mon studio avec une photo qu’il a récupéré à NY. Il cherche le photographe qui a réalisé cette image pour le promouvoir. Je reconnais le style du photographe et l’envoie au studio de Seydou Keïta. Magnin apprennant que je suis moi-même doué en photo de la bouche de Seydou Keïta, reviens dans mon studio et me propose d’être mon promoteur. Je refuse au début mais Seydou me conseille d’accepter. C’est encore le destin.

As-tu signé un contrat avec Magnin ?

Aucun contrat, je ne veux pas signer de contrat. Magnin a toujours été le plus offrant donc je suis toujours resté fidèle. Il n’y a donc pas de raison de signer de contrat. Magnin est mon promoteur depuis plus 10 ans et il me représente en Europe.

Que t’a apporté la Biennale ?

Le principal changement a été que j’ai pu faire beaucoup pour les gens. J’ai pu aider financièrement ma famille. Sinon pas grand-chose, je ne suis pas devenu orgueilleux.

Si vous êtes photographe, c’est que les gens vous apprécient, il ne faut donc pas être orgueilleux.

Pour moi la satisfaction du client et beaucoup plus importante que l’argent.

Aujourd’hui tu partages ta vie entre les voyages et Bamako, n’as-tu jamais souhaité aller t’installer en Occident ?

Ah non ! J’ai toujours voulu rester à Bamako car j’ai trop d’attaches ici.

Même qu’en je m’absente dix jours j’ai la nostalgie du pays.

Studio Malick Sidibé © Baptiste de Ville d'Avray
Studio Malick Sidibé © Baptiste de Ville d’Avray

Continues-tu à pratiquer la photo ?

Oui, je réalise depuis 1999 une série de portraits vus de dos. J’avais déjà pratiqué ce type de photo vers 1975. Mais je travaille désormais en 6×9 exclusivement.

Je réalise moi-même les tirages. Et je photographie les gens de passage dans mon studio, surtout les occidentaux. Ce sont mes fils qui réalisent les portraits en couleurs, moi je ne travaille qu’en noir et blanc.

Formes-tu des jeunes à la photographie ?

Mon studio est mon école. N’importe qui peut me demander et je lui explique. Mes enfants et neveux travaillent avec moi au studio et ont appris à mes côtés. Certains sont restés travailler avec moi et d’autres ont leurs propres studios.

Hier, tu as été au CFP, que penses-tu de cette école ?

C’est vraiment très bien et j’ai participé à un débat avec les élèves. Ils apprennent plein de choses et Youssouf Sogodogo est très méticuleux et sérieux. Je l’avais conseillé comme directeur à la structure Helvetas car je le connais depuis très longtemps.

On a appris que tu reprenais l’avion ce soir, où vas-tu ?

Je pars au Mozambique où je rejoins Magnin. Je vais à Maputo où l’on me rend un hommage.


André Magnin : Curateur et critique d’art indépendant. Depuis 1989, directeur artistique et conservateur de la Contemporary African Art Collection – The Pigozzi Collection, Genève, collection centrée sur l’art contemporain venu d’Afrique Noire.

Site : http://caacart.com/