La boîte noire de Fabrice Monteiro

Il y a des séries de photographies qui vous saisissent par leur beauté… La série « Marrons » du photographe Fabrice Monteiro est l’une d’entre elles.
Jouant des regards profonds de ces personnages et les accentuant par une mise en scène, accompagnée d’un clair-obscur très maitrisé, le photographe nous plonge au coeur du Bénin contemporain et de son histoire tout en proposant une vision très personnelle du portrait.

série « School is out » © Fabrice Monteiro
série « School is out » © Fabrice Monteiro

**Pouvez-vous nous raconter votre parcours et comment vous en êtes venu à la photographie ?

J’ai grandi au Bénin, terre natale de mon père, jusqu’à l’âge de 17 ans. Ma mère étant d’origine flamande, j’ai choisi de poursuivre mes études supérieures en Belgique et de cultiver ainsi ma double culture.

Mon éducation me prédestinait plutôt à un métier conventionnel mais je portais en moi cette soif de créer, j’avais des images dans la tête, je voulais leur donner vie. J’ai donc choisi des études d’ingénieur industriel qui permettaient d’apporter une dimension technique au dessin.

A 22 ans, j’ai été abordé par un photographe désirant faire un test photo avec moi. Tout est allé très vite, j’ai commencé à parcourir le monde devant l’objectif de multiples photographes de mode. L’observation de leurs techniques attisait ma curiosité, mais je n’envisageais pas encore de passer derrière l’objectif, mon besoin créatif s’exprimant davantage dans le graphisme.

En 2003, avec 4 amis d’enfance du Benin, nous avons lancé une marque de vêtement GAIA ROOTS UNLTD. Nous voulions, à partir de nos compétences respectives (stylisme, graphisme, gestion et webmaster) créer un projet portant un message d’universalité et de solidarité.
Et puis un jour, au fil de mes voyages, j’ai croisé le chemin d’Alphonse Pagano, auteur du livre DREADS, une de mes premières sources d’inspiration dans le graphisme. Ce photographe new-yorkais est très vite devenu un ami puis mon mentor. Tout en poursuivant mon travail de mannequin, je me suis installé à NYC où j’assistais Alphonse et m’exerçais aux techniques photographiques dans son studio.

Je me suis tout de suite senti à l’aise derrière l’objectif tant d’un point de vue technique que créatif. Mes idées prenaient vie en mettant en pratique les techniques que j’avais pu observer au cours de ma carrière de modèle et d’assistant photographe. Mon identité photographique a commencé à prendre forme.

**Vous partagez votre temps entre l’Europe et l’Afrique, comment travaillez-vous et pouvez-vous nous présenter votre démarche photographique ?

Je suis métis, un pied et le coeur sur chaque continent, je dirais que mon univers est « transculturel » pour reprendre l’expression de Claude Grunitsky.

Cette double culture a toujours été le point de départ de toutes mes réalisations graphiques et photographiques. Mon expérience de l’image de mode associée à ma propre histoire me porte naturellement à traiter, de manière esthétique et technique, des sujets qui touchent ma sensibilité. Je dirais que mon identité se trouve quelque part entre deux univers photographiques bien distincts, le photoreportage et la photo de mode.

série « Marrons » © Fabrice Monteiro
série « Marrons » © Fabrice Monteiro

**Votre travail s’articule énormément autour de portraits mis en scène en particulier la série Marrons. Comment est née l’idée de ce projet ? Pourquoi avoir pris le parti d’une mise en scène et de quelle manière de travailler ?

Effectivement, mon identité photographique se dessine principalement autour du portrait. Je suis particulièrement sensible au regard, je le crois reflet de l’âme et sa mise en lumière donne tout son sens et sa force à la photographie. Que serait la célèbre photo de la jeune afghane de Steve Mc Curry sans ce regard ?

Au cours de mon enfance au Bénin, j’ai été marqué par la lecture des premiers tomes de la BD « Les Passagers du vent » de François Bourgeon, dont une partie de l’aventure se déroule à Ouidah, au Bénin, village d’origine de ma famille paternelle. J’étais stupéfait par le réalisme des images, je reconnaissais les lieux, les visages qui y étaient dessinés m’étaient familiers. C’est dans ces pages que je découvris, pour la première fois, ces colliers étranges portés par certains esclaves.

Récemment, mon père m’a raconté l’histoire de ma famille et la raison pour laquelle nous portons un nom portugais comme tant d’autres béninois. Mon ancêtre s’appelait Ayedabo Adagoun Odo et était originaire du Nigéria. Il fut mis en esclavage par les portugais et envoyé au Brésil. Il est revenu au Bénin quelques années après, affranchi sous le nom de Pedro Monteiro.
Sensible à la question de la traite des esclaves et sur le rôle joué par ce petit village de la côte du Bénin dont ma famille est originaire, j’ai eu envie d’explorer photographiquement ce sujet.

J’avais toujours ces images de colliers à l’esprit. Après une recherche documentaire sur les entraves utilisées pour punir ou dissuader de toute tentative de fuite les esclaves, j’ai reconstitué en 3D cinq modèles d’entraves. J’ai pu ainsi obtenir des plans détaillés des pièces et faire reproduire celles-ci par deux jeunes forgerons béninois .

Je voulais traiter le sujet de manière presque anthropologique en référence aux lithographies et rares photos originales d’esclaves tout en proposant une approche beaucoup plus moderne par le traitement de la lumière. Il me fallait obtenir une lumière très contrastée, presque fantomatique. J’ai donc conçu un studio mobile, une sorte de boîte noire pour pouvoir aller à la rencontre des modèles.

série « Marrons » © Fabrice Monteiro
série « Marrons » © Fabrice Monteiro

**Dans la série «  School is out », vous montrez l’image de jeunes en Afrique dans des villages reculés en train d’apprendre. Où a été prise cette série et quel est votre message ?

J’ai eu l’occasion d’accompagner une mission des services de coopération de l’Ambassade de France au Bénin à travers l’ensemble du pays. Cette mission de suivi des projets portés par des ONG locales m’a permis d’accéder à une partie du Bénin que je connaissais très peu, le monde rural et ses difficultés.

J’ai été frappé par la soif d’apprendre de ces enfants habitant des villages reculés du Bénin. Celui que l’on retrouve seul à l’école un dimanche, révisant son cours d’anatomie sur le tableau noir, leur curiosité à l’ouverture d’un livre leur dévoilant un monde qu’ils ne connaissent pas mais auquel ils aspirent. L’Afrique n’est pas que famine et guerres, il existe une jeunesse qui veut s’élever par l’éducation

**Quels sont vos actualités et vos projets dans le futur ?

J’ai toujours des projets dans la tête, mais pour le moment j’ai envie d’explorer cette thématique de l’esclavage. J’aimerais pouvoir travailler sur des reconstitutions en extérieur, mais un projet de grande envergure demande des moyens logistiques et financiers dont je ne dispose pas actuellement. Je compte sur cette première série Marrons pour trouver des partenaires.