Le Comité pour la protection des journalistes

Le 12 mars, jour de la cyber censure, le très bon réseau Global Voices, réunissant plus de 500 blogueurs et traducteurs dans le monde, proposait une interview de Mohamed Keita, coordonnateur du Plaidoyer pour l’Afrique du CPJ (Comité pour la protection des journalistes) par Abdoulaye Bah.

Cette interview nous a permis de découvrir ce comité et les actions qu’il met en pratique pour défendre et protéger les photographes face aux divers problèmes qu’ils rencontrent sur le terrain.

Aujourd’hui, nous vous proposons une interview de Mohamed Keita du CPJ. Nous avons aussi invité Sylvio Combey, journaliste au Togo à revenir sur les conditions de travail des journalistes dans son pays et sur les problèmes auxquels il a été confronté en juillet 2011 lorsqu’il couvrait une manifestation.

MOHAMED KEITA, COORDONATEUR AFRIQUE DU CPJ

Pouvez-vous nous présenter le CPJ ? Comment et de qui est-il constitué ?

cpj-low-res_logo.jpgLe Comité pour la protection des journalistes (CPJ) est une organisation indépendante à but non lucratif basée à New York dont la mission principale est de venir au secours et de plaider en faveur de tous ceux qui sont brimés, persécutés, emprisonnés ou contraints à l’exil en raison de leur tentative de rapporter l’actualité. Nous documentons et dénonçons les violations de la liberté de la presse partout dans le monde et nous engageons des démarches avec les plus hauts responsables de gouvernements pour faire sortir de prison des reporters et des photographes, mais aussi les blogueurs et rédacteurs de sites d’informations. Le CPJ a été fondé en 1981 par un groupe d’éminents journalistes américains, y compris Dan Rather et feu Walter Cronkite, pour soutenir des collègues enlevés ou assassinés lors de la couverture des conflits au Liban et en Amérique latine. Notre indépendance nous est chère, c’est pourquoi nous n’acceptons aucune forme de contribution de gouvernements ou états. Aujourd’hui, le Comité a un conseil d’administration de 40 membres qui comprend entre autres des icônes du journalisme international tel que Christiane Amanpour de CNN et le présentateur de la chaîne Al-Jazeera Mohamed Krichen. Le Comité a une équipe d’experts régionaux, de chercheurs et de consultants déployés sur les cinq continents.

Pouvez-vous nous faire un état des lieux des pressions et violations subies par les journalistes et photojournalistes dans le monde aujourd’hui  ?

La presse est en état de siège ces jours-ci et la censure de l’information locale prend une ampleur mondiale. En effet, des gouvernements répressifs, des groupes militants, et des bandes criminelles à travers le monde usent de tactiques aussi bien nouvelles que traditionnelles pour contrôler l’information, en vue de cacher leurs exactions, museler les voix indépendantes et priver les citoyens de leurs droits. Les tactiques vont de l’interdiction d’accès à un territoire comme en Syrie ; le blocage de l’accès à l’Internet comme sous le régime de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, le piratage des sites d’informations comme en Iran et en Chine, la persécution judiciaire comme en Équateur et en Turquie ou la violence meurtrière contre les journalistes comme au Mexique et en Somalie. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, nous avons noté une hausse continue dans l’emprisonnement des journalistes à travers le monde et plus de la moitié de ces journalistes publient sur Internet. De plus, les pays de la Corne de l’Afrique ont poussé le plus grand nombre de journalistes à partir en exil . L’intimidation a un effet dissuasif et de nouvelles menaces se profilent toujours à l’horizon. La liberté de la presse n’est jamais acquise, même dans les vieilles démocraties comme les États-Unis et la France ou les jeunes états démocratiques comme l’Afrique du Sud, elle doit être toujours défendue et c’est notre combat.

Comment le Comité repère-t-il les journalistes et photojournalistes sur place en Afrique qui sont en difficultés ? À travers un réseau ? Des missions sur le terrain ? Des témoignages ?

Chaque jour, nous recevons des informations sur des agressions, des arrestations, des kidnappings et même des meurtres de journalistes dans l’exercice de leurs fonctions. Nous sommes connectés à un vaste réseau de journalistes, d’acteurs de la société civile, d’associations de presse et autres institutions locales, régionales et internationales qui nous alertent sur des cas en cours. Nous menons nos propres enquêtes en recueillant des témoignages de victimes, d’observateurs et d’autorités sur place. Nous effectuons également des missions d’enquête et de plaidoyer sur le terrain.

Existe-t-il un bureau sur place en Afrique qui dépend du CPJ ou l’essentiel se fait à distance depuis New York ? Qui sont vos partenaires sur place en Afrique ? Des associations, des ONG, ou des centres de formations de journalisme ?

Notre quartier général est à New York et nous avons une équipe de consultants déployés à travers le monde, dans des villes comme São Paulo, Mexicó, Nairobi, Abuja, Londres, Bruxelles, Hong Kong, et New Delhi.

Peut-on dire que les photojournalistes sont plus exposés que les journalistes aujourd’hui ou les répressions sont similaires ?

Comme l’ont démontré les révoltes du Printemps arabe, les journalistes qui couvrent les troubles ou les manifestations de rue sont les plus vulnérables, en particulier les preneurs d’images comme les photographes. Ils sont constamment malmenés, agressés, et voient leur matériel confisqué ou détruit par les forces de l’ordre en tenue civile qui veulent supprimer des images montrant leur brutalité. En Afrique, ce sont des scènes qui se passent chaque jour de Kampala à Kinshasa en passant par Lomé, au Togo, malgré les formations aux droits de l’homme que reçoivent les services de sécurité dans ces pays. Certains pays comme le Zimbabwe ont même des lois très draconiennes sur la sécurité publique qui restreignent même les prises de vue d’édifices publics sans autorisation.
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Peut-on dire que la situation s’est dégradée en Afrique au niveau des répressions subies par les photojournalistes et si oui dans quels pays en particuliers et pour quelles raisons ?

Les dangers menaçant les photojournalistes sont constants : les forces de sécurité . La nouvelle donne est l’arrivée sur le terrain de journalistes citoyens qui filment et prennent des images avec leur téléphone cellulaire et publient instantanément sur les réseaux sociaux ou Youtube. Ces journalistes citoyens n’ont pas de formation professionnelle mais, très souvent, devancent la presse professionnelle sur le terrain. Leurs images sont inédites et de plus en plus de médias recherchent leurs images comme nous le voyons dans le cas de la Syrie ou même durant le coup d’état au Mali.

Pouvez-nous détailler quelques exemples de problèmes récents qu’ont eus des photojournalistes sur le continent ?

En 2010, un officier de coopération militaire français a menacé verbalement le photographe togolais Didier Ledoux qui avait pris des images de l’officier en train de donner des ordres à des gendarmes togolais lors de la dispersion d’une manifestation de l’opposition. Un collègue du journaliste a filmé la scène où l’officier intimait au journaliste d’effacer toutes les photos. Plus récemment, des gendarmes ont agressé le photographe Koffi Djidonou Frédéric Attipou pour avoir pris des images d’officiers en train de confisquer une moto à un manifestant durant une marche contre le gouvernement.
En Ouganda, les photojournalistes qui suivent les manifestations de l’opposant Kizza Besyegie sont constamment agressés ou intimidés par les forces de l’ordre. En 2011, le président Yoweri Museveni a pratiquement insulter  les journalistes diffusant des images de la répression policière contre les manifestants considérés comme des traîtres qui ternissent l’image du pays. Le photographe Isaac Kasamani a même failli perdre sa vie quand des agents de sécurité en tenue civile ont soudainement tiré une balle vers lui alors qu’il prenait une photo d’une grenade lacrymogène qui avait explosé près de lui.

En Guinée Équatoriale, les photographes internationaux qui se déplacent sur le terrain opèrent sous l’étroite surveillance d’agents de sécurité et sont constamment empêchés de prendre des images de pauvreté. En 2010, les autorités ont supprimé des images de bidonvilles prises par une équipe de télévision allemande.

Quels sont les types d’actions que vous mettez en place pour aider ces photographes et journalistes ?

Couverture du livre Attacks on the press in 2011 édité par le CPJ
Couverture du livre Attacks on the press in 2011 édité par le CPJ
Nous dénonçons d’abord les agressions, nous demandons des enquêtes officielles pour éviter toute impunité. Nous fournissons aussi de l’argent à des photographes pour les aider à évacuer des zones dangereuses à la suite de menaces. Nous avons aussi aidé, à travers notre réseau, le photojournaliste primé Andrison Shadreck Manyere à obtenir du matériel pour remplacer sa caméra qui avait été confisquée par la police zimbabwéenne après son arrestation en 2008.

Avez-vous déjà organisé des journées d’actions de prévention auprès des journalistes et photojournalistes et des états africains ? Et avez-vous prévu d’en faire en 2012-2013 ?

Non. La formation n’est pas dans notre champ d’action.

Si vous avez des événements médiatiques en 2012 ou 2013 autour de vos actions pouvez-vous nous en parler pour conclure (expositions, conférences, publications…) ?

Nous avons publié le mois dernier, notre rapport annuel sur la liberté de la presse en 2011 intitulé « Attaques contre la presse en 2011 ». C’est une évaluation annuelle de l’état de la liberté de la presse dans le monde entier qui présente des essais analytiques réalisés par des experts du CPJ ainsi qu’un aperçu sur les conditions des médias dans plus de 100 pays et des données régionales sur les violations contre la presse. Ce rapport documente également des cas individuels et fournit un bilan sur les journalistes tués (46) et emprisonnés (179) en 2011.

Chaque année, le CPJ décerne un prix international pour la liberté de la presse à des journalistes reconnus pour leur bravoure et leur engagement à rapporter l’actualité malgré d’énormes difficultés. En novembre dernier, nous avons reconnu des journalistes du Mexique, de Biélorussie, de Bahreïn et du Pakistan.

Le CPJ prochainement va lancer un guide pour la sécurité des journalistes qui comportera tout un chapitre sur la sécurité numérique.

SYLVIO COMBEY, JOURNALISTE TOGOLAIS

Pouvez-vous vous présenter  ainsi que votre métier ?

Je réponds au nom de plume Sylvio Combey. Journaliste bilingue (anglais-français) de formation, j’ai fait ma preuve au Togo à travers plusieurs médias notamment Radio Nostalgie-Lomé (aujourd’hui Légende FM), Radio X-Solaire (où j’ai servi en tant que rédacteur en chef en 2011). J’ai laissé ma plume dans des journaux de la place comme Nouvelle Ere, Infos Sud, L’Indépendant Express et Crocodile News. Mais bien avant le Togo, je suis passé par The bihebdomadaire The Insight et Top Radio au Ghana.

Ma passion pour le journalisme m’a toujours fait préférer les reportages de terrain aux travaux de bureau. Cela n’est pas aussi facile surtout que je couvre les manifestations politiques souvent réprimées de l’opposition, des étudiants ou encore des acteurs de la société civile. Le Togo n’étant pas un pays d’une véritable culture démocratique, les journalistes comme moi, en font et continuent par faire les frais.

Depuis 2010, je m’investis beaucoup plus dans le multimédia. Avec ma petite caméra amateur, je fais quelques séquences vidéo, ajoutée aux nombreuses photos que je prends sur les lieux. Ces réalisations audionumériques sont certaines publiées sur mon blog et d’autres sur des réseaux sociaux.

Actuellement je suis beaucoup plus indépendant surtout que le journalisme ne paie plus son homme en travaillant pour les médias togolais.

Pouvez-vous nous parler de la liberté de la presse au Togo ? Et dans la sous-région ?

Sylvio Combey en train de se faire menacer par les forces de l'ordre le 1er juillet 2011 © Olivier Adja
Sylvio Combey en train de se faire menacer par les forces de l’ordre le 1er juillet 2011 © Olivier Adja
Nombreux sont ceux qui parlent d’une avancée notoire en matière de liberté de presse au Togo mais c’est relatif. Certes, nous disposons au Togo de textes moins contraignants comparativement à ceux de la sous-région, avec surtout la dépénalisation de délit de presse. Mais je n’ose pas parler d’une liberté gagnée dans la mesure où certains journaux sont traduits devant les tribunaux et condamnés à payer de lourdes amendes dès que le pouvoir se sent égratigné ou dénoncé sur des faits sensibles.

Comme exemple, Les journaux Liberté et L’Alternative ont été condamnés solidairement à 20 millions de Francs CFA dans une affaire qui impliquait la ministre des postes et télécommunications alors que la plaignante réclamait 400 millions de Francs CFA. L’hebdomadaire L’Indépendant Express a été condamné à 430.000 dollars pour avoir écrit un article sur un riz dit toxique qu’aurait importée une dame supposée proche du pouvoir.

Je ne parlerai pas liberté de presse tant que le premier responsable du pays en l’occurrence le président Faure Gnassingbé lui-même est en justice des journaux.

Quand il faut faire une comparaison, je me tourne très vite au Ghana qui m’a formé. Et chaque fois, je ne vois aucune ressemblance en matière de liberté de presse. Les journaux écrivent des articles et révèlent les dessous des partis politiques sans pour autant être traduits en justice. Des radios animent des émissions où des leaders d’opinions font des commentaires ou tiennent des propos virulents mais jamais on n’a fermé ces radios. Au Togo, c’est le contraire à tel enseigne qu’on semble noter une certaine auto censure si non des radios locales ne seraient pas mises sous scellées.

En juillet 2011, vous avez été harcelés par les forces de l’ordre dans votre pays, le Togo, lors de manifestations à Lomé que vous filmiez. Comment cela s’est-il déroulé ?

C’était un vendredi 1er Juillet 2011, je m’en rappelle encore comme si c’était hier. J’étais avec d’autres journalistes pour couvrir un mouvement de colère des étudiants de l’université de Lomé qui manifestaient pour exiger la réintégration du président d’un mouvement estudiantin. Malgré l’intervention du ministre de la sécurité le Col. Dokessime Gnama Latta, les étudiants ont manifesté peu après son départ. Au-delà du caractère sauvage qui a marqué la répression, les policiers s’en sont pris à nous journalistes qui filmions la scène. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est le passage à tabac d’un jeune étudiant devant une maison par un corps habillé avec une branche d’arbre. Un autre policier qui m’a surpris en train de filmer la scène s’est jeté sur moi non seulement pour m’arracher ma camera mais aussi proférant des menaces à mon endroit.

Plus d’une fois, les policiers n’ont pas été tendres avec nous journalistes qui couvrons des manifestations et contestations de rue. Certaines d’entre eux se contentent de vous menacer à ne pas filmer quand d’autres font recours à leurs grenades lacrymogènes qu’ils lancent vers vous comme si vous étiez de vulgaires manifestants. Le 30 Octobre 2010, lors d’une manifestation réprimée des Organisations de défense des droits de l’homme (ODDH) par des forces de l’ordre, l’un d’entre eux, m’a sommé de ne pas les prendre en photo alors qu’ils embarquaient des motos des manifestants. Il m’a menacé de retirer mon appareil photo si je continuais.

J’ai d’ailleurs eu la vie sauve un jour lors d’une manifestation d’un parti politique de l’opposition quand un policier se préparait à tirer sur moi une grenade lacrymogène, n’eut été l’intervention des confrères qui étaient aussi sur les lieux et qui ont dû crier « c’est un journaliste ! ». La réplique de ce policier m’a surpris beaucoup plus quand celui-ci va lancer plus tard « et puis après ? ».
De nos jours encore ces actes continuent même si ce n’est plus moi. Je ne donnerai pour exemple que le cas du reporter photographe Fréderic Attipou.

ODDH © Sylvio Combey
ODDH © Sylvio Combey

Ce mois-ci encore le CPJ appelle les autorités togolaises à enquêter sur l’agression présumée de l’un de vos confrères photographe. Les conditions de travail et les pressions faites aux journalistes et photographes n’ont donc pas évolué aujourd’hui au Togo depuis vos problèmes en 2011 ? Les autorités togolaises ont –elles mis en place des éléments qui laissent penser qu’elles vont condamner ce type de violence et défendre le métier de journaliste et photojournaliste ?

Jusqu’à la dernière bavure policière sur le confrère, je croyais que ces policiers se sont « convertis » mais je me rends compte que j’étais dans des nues. Il était devenu dangereux de s’afficher avec un appareil photo ou une camera lors de certaines manifestations qui sont sauvagement réprimées, sans aucune considération pour la personne humaine.
Personnellement, j’ai eu à plusieurs reprises à saisir de façon informelle certains des organisations de défense des droits de journalistes au plan international comme le CPJ. Ces derniers ne tardent pas à réagir à travers des déclarations de presse.
Le drame, tout le monde devra le constater, ne fait qu’agrandir le gap qui existe depuis belle lurette entre les corps habillés et la population civile.
Et pourtant, à plusieurs reprises, des corps habillés ont participé à des ateliers d’information et de formation avec des journalistes sur la collaboration qui doit exister entre ces deux corps mais à ce jour, la situation ne semble pas s’améliorer d’un cran.
Jusqu’alors, les autorités togolaises n’ont donné aucune garantie que ces genres d’acte ou attitude portant atteinte à la liberté de presse, seront condamnés.

N’existe-t-il pas des réseaux ou associations de protections des journalistes au Togo ou dans la sous-région ?

Au Togo, la protection des journalistes par des associations n’est pas aussi spontanée. Nombreux sont les journalistes qui ne se retrouvent plus au sein de l’Union des journalistes indépendants du Togo (UJIT). Cette association sensée défendre les journalistes a observé un mutisme coupable sur plus d’une affaire dans lesquelles des journalistes ont eu des ennuis. Cela a entrainé la création d’autres associations comme SOS Journalistes en danger en septembre 2010. Et depuis lors, cette association est à l’avant-garde des actions de défense et de protection des journalistes. De façon unanime le Réseau africain des journalistes sur la sécurité humaine et la paix (RAJOSEP) que je préside et le Syndicat national des journalistes indépendants du Togo (SYNJIT) ne cessent de s’associer à la lutte pour dénoncer les bavures perpétrées sur les journalistes et défendre leurs droits.

Le Blog de Sylvio Combey : http://sylviocombey.wordpress.com