Ode aux voyages avec Scarlett Coten

Couverture Still Alive © Scarlett Coten
Couverture Still Alive © Scarlett Coten
Still Alive , une série qui réchauffe par ce temps froid parisien. Une ode aux voyages, à l’errance et aux rencontres. Un coup de Cœur pour cette série découverte lors de Paris Photo. En images, retour sur le parcours de la photographe Scarlett Coten et détour par le Sinaï et le Maroc.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours dans ses grandes lignes ?

Ma première passion, adolescente, c’était le cinéma. A 18 ans j’ai eu l’occasion de filmer avec une caméra 16mm, et j’ai découvert le plaisir de cadrer. Un peu plus tard j’ai acheté mon premier appareil photo pour faire des images plus librement, sans attendre.

Ma grand-mère, Louise Coten, était une femme formidable et passionnée, en 1930 elle avait acquis un Kodak à soufflet et était devenue une  photographe « amateur ». J’ai souvent regardé avec elle lors de mes vacances bretonnes ses grands albums de famille. Elle en était fière. Lorsque je suis entrée à l’école d’Arles (Ecole Nationale Supérieure de la Photographie), j’ai redécouvert son magnifique travail photographique et réalisé d’où venait ma propre passion.

Aujourd’hui c’est une histoire de  famille, ma fille reprend le flambeau et nous sommes maintenant trois générations de femmes photographes.

A la fin de mes études, je suis partie vivre quelques années à Barcelone, puis retour à Arles, avant de m’installer à Paris en 1998. C’est là, que j’ai commencé ma « vraie » vie de photographe, le « Big Splash » !

Je voulais m’y consacrer entièrement, gagner ma vie grâce à elle et trouver aussi le moyen d’assouvir mon désir de création, j’étais motivée !

Le projet Still Alive débuté en 2000, n’est pas un travail décidé ou même imaginé à l’avance.

C’est mon besoin de voyager pour essayer de faire quelque chose qui m’a catapultée dans cette région du Sinaï en Egypte. Une opportunité… et le miracle de la rencontre a décidé du reste, le voyage a duré trois ans…

Ce travail m’a ensuite permis de démarcher la presse qui a commencé à m’envoyer sur des sujets « voyages » dans d’autres pays. De 2004 à 2008, celle-ci ne m’occupant pas suffisamment, je me suis associée au journaliste Stéphane Bréhier avec lequel on a produit et réalisé des reportages de notre choix à travers le monde, que l’on essayait de publier au retour.


De cette expérience, j’ai retiré deux séries personnelles, l’une sur les Bords de Mer(s), l’autre sur les lieux, Empty Spot , que je continue au gré de mes errances.

Depuis deux ans, je me consacre véritablement à mon travail personnel. Grâce au manque de commandes, j’ai pu prendre le temps nécessaire à la réalisation de mon livre Still Alive , paru chez Actes sud cet automne, et finaliser ou réaliser d’autres séries.

Still Alive avait été exposé en 2001, au retour de mon premier voyage, à Biarritz et à la Fnac des Halles à Paris, puis à PhotoEspana en 2002, mais ce travail n’avait pas été montré depuis, ni dans sa totalité, ni dans sa forme achevée.

Je suis très heureuse, car le livre ainsi que ma présence à Paris Photo cette année avec la Galerie 127 de Marrakech et la Empty Quarter Gallery de Dubaï, ont permis de faire connaître plus largement ces images.

Famille - série Still Alive © Scarlett Coten
Famille – série Still Alive © Scarlett Coten

Dans votre travail, on  découvre l’intimité des nomades dans différents pays, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Une vision assez décalée du nomadisme ?

Je ne photographie pas beaucoup dans mon quotidien, j’ai besoin d’ailleurs. J’aime travailler en état d’errance, cela peut paraître une contradiction, mais cependant je photographie ma vie, celle que je vis. En arrivant par hasard sur cette côte du Sinaï, j’ai tout de suite rencontré des bédouins. Ils étaient surpris de voir une femme voyager  seule et ils m’ont invité dans leur village dans le désert.

Ils m’ont présenté leurs femmes, l’histoire a commencé. Je suis tombée amoureuse. Des  bédouins et du désert. J’étais fascinée par ces gens. Ils me touchaient par leur gentillesse, leur curiosité, leur gaîté, ils vivaient dans un environnement totalement sauvage, totalement épuré.

J’ai pu réaliser ce travail parce que cette tribu  m’a invitée à rester. J’avais toujours mon appareil, ils me laissaient faire, on s’amusait beaucoup. Vivre avec eux m’a permis de les photographier, tout simplement.

Je ne sais pas si c’est une vision décalée, ce n’est pas un reportage dans le sens ou l’on peut l’entendre, sur une situation intrinsèque ou politique, c’est ma vision d’eux, totalement subjective. Je mets en scène, je dirige les prises de vues, entre leurs désirs et les miens, mais cela n’en est pas moins  un travail engagé. Je leur donne la parole, par le prisme de l’intime, en partageant leur quotidien. J’ai reçu cette aventure comme un cadeau.
La femme à la cigarette - série Still Alive © Scarlett Coten
La femme à la cigarette – série Still Alive © Scarlett Coten

La femme et la balançoire - série Still Alive © Scarlett Coten
La femme et la balançoire – série Still Alive © Scarlett Coten

Votre travail Still Alive est une errance photographique à travers le Sinaï, on retrouve cette démarche dans Empty Spot ou encore Moroccan cheap shots ?

Je suis une photographe du feeling, je ne planifie pas, le voyage peut vous offrir la magie des rencontres, des coups de cœur pour des gens, des lieux. La découverte de l’inconnu est mon moteur. On avance et parfois l’on s’arrête. Le désert du Sinaï est une part de ma vie, le « stop » a duré quelques années, l’alchimie a eu lieu. Une chance.

Avant cela, j’avais arpenté les plages de Camargue, photographié des constructions  provisoires et des cabanons éphémères, dressé le portrait d’un « nomadisme immobile », celui des caravanes, une expérience nomade saisonnière dans cette région, La vulnérabilité, les grands espaces, le fruit de l’imagination des hommes face à leur condition, la marque de leurs désirs, sont peut-être les thèmes récurrents de mon travail.

Empty Spot est une série de lieux vides, intérieurs ou extérieurs, hétéroclites, désertés. Cette absence momentanée révèle les architectures et les décors intimes, ce sont des images de l’empreinte de l’homme sur ses paysages, intérieurs et extérieurs, elle exprime une présence absente. Un voyage solitaire, une vision kaléidoscopique de notre condition  inhérente de nomades…

Je photographie également des tableaux de bord dans tous les pays. Cette série, Cocoon Cockpit, est une image du voyage perpétuel, absolu, quasi irréel.

Still Alive est à la fois une évasion photographique à la manière d’un road movie, donc sans contrainte, mais est aussi assez systématique (au niveau des cadrages de la couleur, etc.). Comment se sont construits ces diptyques ?

Associer des images est une façon de raconter des histoires, de multiplier les possibles.

J’ai souvent associé mes images par diptyques ou triptyques, une  influence Gibsonienne ou à la Duane Michals… La finalité d’un travail, c’est le livre, certaines expositions, j’aime l’idée d’aller jusqu’au bout de ce que j’ai envie de donner à voir, décider d’assembler certaines images c’est offrir une autre lecture. Ces associations se font a posteriori, au feeling… J’essaie de transmettre  mes propres émotions, mon vécu ; pour Still alive, les diptyques concentrent l’expérience de ce voyage, les trajets, les invitations à boire le thé, les rencontres…

La sortie du livre vous a permis d’exposer dans le Monde arabe ?

Les propositions sont arrivées juste avant la concrétisation de l’édition, mais c’était quasiment simultané. Le site lensculture.com a notamment contribué à la visibilité internationale de ce sujet.

En 2009, vous réalisez Moroccan Cheap Shots avec un Holga, que raconte ces instants ?

J’aime le format carré, et l’appareil Holga ou le Diana ont un côté jouet que j’affectionne et qui facilite le contact. J’aime aussi l’idée d’un rendu aléatoire. Cette série est un travail en cours, une sorte de carnet de voyage, dont la direction m’échappe encore, sinon que je m’attache aux côtes marocaines. Sans être dans le nomadisme direct, il y a toujours cette idée d’envie d’ailleurs, avec ces gens de dos, qui regardent la mer. Je mélange le n&b et la couleur, les formats également, J’essaie de trouver une forme à mes sentiments contradictoires, le bien-être ressenti dans ce pays, sa douceur de vivre et sa violence sous-jacente,  sa modernité affichée et la puissance des traditions…

Quels sont vos projets à venir ?

Ils sont assez vagues ! J’espère plonger à nouveau dans quelque chose qui me fascine totalement, mais je ne sais pas encore où je vais le trouver…Les pays du Golfe, grâce à mon exposition à Dubaï ? L’Amérique, parce que  j’y réfléchis depuis longtemps, à travers sa littérature, son cinéma, ses photographes… ?

Aujourd’hui j’essaie de me projeter jusqu’en Avril, voire jusqu’en Juillet, au- delà c’est le grand mystère…

Quelques dates prévues :

Brésil - série Empty Spot © Scarlett Coten
Brésil – série Empty Spot © Scarlett Coten

Moroccan cheap shots © Scarlett Coten
Moroccan cheap shots © Scarlett Coten