« Outre-mer, des Mémoires Coloniales »

Nous vous parlons depuis quelques semaines de l’un de nos coups de coeur de l’année 2008: le projet « Outre-mer, des  Mémoires Coloniales » de Marie Guéret et Yo-Yo Gonthier . Une exposition dont on ne sort pas  indemne et qui soulève mille questionnements autour de la thématique lourde de passé :  » la Mémoire coloniale et ses traces »… Si vous ne vous y êtes pas encore allez, rendez-vous à l’espace Khiasma pour voir cette exposition ou pour découvrir les soirées de projections ou de rencontres… Maintenant, focus sur l’interview du photographe réunionnais, Yo-Yo Gonthier, à lui la parole.

Les masques, 2008 © Yo-Yo Gonthier
Les masques, 2008 © Yo-Yo Gonthier
Peux tu te présenter et nous expliquer brièvement ton parcours avant ton dernier projet « Outre Mer, mémoires  coloniales » ?

Je suis né à Niamey, au Niger, en 1974. Mes parents coopérants français réunionnais, nous ont habitué très tôt, ma soeur et moi, aux voyages, aux déplacements et par conséquent aux déracinements. A dix ans je pars vivre à la Réunion, avant de venir faire des études d’arts plastiques “en métropole“, en banlieue parisienne. Depuis une Maîtrise de Sciences et Techniques en Photographie, à Paris 8, en1997, je travaille comme photographe plasticien indépendant. Ma démarche plastique s’articule généralement autour de l’hypothèse d’un surgissement du merveilleux à travers une recherche particulière sur la lumière et sur le clair-obscur. Les sujets que  j’aborde questionnent l’exploration, la curiosité et notre faculté de projection dans le temps et dans l’imagination. J’essaie d’interroger l’effacement de la mémoire dans une societé occidentale où la vitesse, le progrès et la technologie semblent être les valeurs essentielles. Des investigations nocturnes ont déjà  fait l’objet de plusieurs parutions et notamment dans l’ouvrage intitulé Les lanternes sourdes en 2004. Aujourd’hui, et c’est une première, pour moi qui suis plutôt solitaire, d’avoir mener à deux ce projet sur la colonisation, avec Marie Guéret, la coordinatrice essentielle de ce projet complexe et ambitieux. Ce travail n’aurait certainement jamais existé sans elle. Je ne la remercierai jamai assez pour cette belle colaboration…

Le projet “Outre Mer” commence en 2003. Comment est né ce projet et quel en a été le déclencheur ?

En fait le déclencheur a été l’effacement  et le délabrement des architectures coloniales dans le Jardin d’agronomie tropicale à Nogent-sur-Marne, où s’est tenue l’exposition coloniale de 1907.  J’avais envie de développer un regard quasi archéologique sur cette histoire qui était aussi la mienne. Mon grand-père paternel était militaire dans l’armée coloniale en Indochine où il rencontra ma grand-mère… Je n’ai pas de souvenirs et il y a peu de traces et d’objets sur lesquels je pourrais m’appuyer  pour que cette histoire me parvienne. J’avais envie de trouver le moyen de déclencher les mémoires et les imaginaires autour de ce passé colonial….


Assez vite l’idée des monuments, des bâtiments délabrés, et des plaques commémoratives me semblaient un bon support pour questionner ces pans plus ou moins effacés de l’Histoire française. C’était pour moi une évidence, en tant que photographe, de faire remonter les choses.

Au départ c’était très sensible, on avançait à tâtons, et au fur et à mesure on a construit les grands axes du projet. Plus on creusait, plus on observait que l’arbre cachait une forêt. Le projet a souvent été arrêté, car il était trop  lourd à mettre en forme. Trop d’énergie à déployer. Il fallait que le projet mûrisse.

A force de discussions, nous avons posé de nouvelles hypothèses et nous avons cherché des partenaires pour accompagner le boulot. L’espace Khiasma est devenu rapidement une évidence car il y a peu de lieux qui travaillent sur ce type des sujets et avec un réel engagement. Le projet leur a été présenté il y a deux ans, ils y ont tout de suite adhéré.

Dès lors, on s’est rendu sur les grands lieux de batailles et de passages des troupes coloniales. C’est sur ces lieux que sont les monuments commémoratifs.

Nous avions envie de confronter les mémoires mais aussi de repenser l’idée que les écrits gravés sur la pierre nous racontent une vérité absolue alors qu’ils nous révèlent la difficulté à concevoir une mémoire et une histoire commune.

0Scènes, Petit colon, Verdun, 2006 © Yo-Yo Gonthier
0Scènes, Petit colon, Verdun, 2006 © Yo-Yo Gonthier

Comment s’est déroulée la collaboration avec les historiens et écrivains ? Et quel a été leur part dans l’histoire de cette exposition et dans sa réalisation ?

On s’est d’abord appuyé sur des travaux historiques, et puis on a contacté des gens conjointement avec Khiasma. Il y avait l’idée de confronter les points de vue et d’avoir des intervenants et des artistes qui ne posaient pas tous le même regard sur l’histoire coloniale.

Nous avons fait des recherches iconographiques et sur l’impact de la colonisation à travers l’image. Autour du travail d’ Eric Deroo , Pascal Blanchard , Sandrine Lemaire , Françoise Vergès , Benjamin Stora , et d’autres. Puis évidement on a souhaité les inviter à intervenir pendant les soirées programmées pendant l’exposition.

Bien sûr, il y a une collaboration très particulière, dont nous sommes très fiers, avec l’écrivaine Sophie Maurer , qui est venue nous rejoindre en cours de route, en travaillant sur une commande de textes autour du travail photographique, qui à ce moment là, partait vraiment dans tous les sens !

Marie Guéret et toi semblez vouloir faire plus qu’un état des lieux par exemple en associant les 13 récits de l’écrivaine Sophie Maurer inspirés de tes photographies et ainsi lier l’histoire à l’imaginaire. Vous semblez vouloir à la fois intriguer le public et l’amener à se questionner ?

Effectivement ce n’est pas uniquement une démarche de synthèse scientifique et historique, le contexte documentaire devait être assez large pour qu’une forme artistique puisse apparaître. Nous voulions développer à la fois un regard critique et esthétique sur cette histoire.

Le moteur de ce projet a été le déclenchement de la mémoire liée à l’imaginaire. Dès lors, l’idée de travailler sur des récits littéraires, incarnant ainsi des personnages, était de créer des passerelles et des discussions entre différentes démarches artistiques et appuyer l’idée que nous sommes toujours dans une interprétation de la réalité et que nous proposons ici des pistes à emprunter et si des regards s’affinent et des questionnements ou des discussions apparaissent sur la question coloniale, ce sera déjà beaucoup.

Cette exposition a été conçue à partir de textes, bandes sonores, photographie, projections et documents d’archives. Finalement ce travail relève plus de l’installation que de la photographie, est ce vers cela que ton travail d’auteur s’oriente aujourd’hui ?

Mon attitude dépend des projets et des lieux. Il y a vraiment l’idée que chaque projet doit être conçu selon son contexte. Je suis au départ plasticien, j’ai l’image d’Épinal de l’artiste japonais du 19e siècle, travaillant plusieurs pratiques : poésie, calligraphie, peinture, danse, art martiaux, contemplation, etc… Je prends vraiment du plaisir à explorer d’autres univers artistiques, d’autres pratiques, en les faisant se croiser, quand cela apporte quelque chose au travail, un nouvel angle… Le dessin et la musique font partie de mon univers, ils reviendront sûrement tôt ou tard dans mes travaux, quand cela sera nécessaire.

Tes photographies de plaques commémoratives, n’auraient elles pas pu être présentées seules ? N’étaient elles pas suffisamment parlantes ?

Elles sont autonomes et constituent une installation à part entière, mais il y avait l’envie de mêler différents regards, qui ne soit pas uniquement le mien… Un projet avec d’autres artistes est souvent passionnant. Cela se fera certainement à nouveau à l’avenir.

Triptyque Soldats coloniaux, Jardin colonial, Nogent-Marne, 2003 © Yo-Yo Gonthier
Triptyque Soldats coloniaux, Jardin colonial, Nogent-Marne, 2003 © Yo-Yo Gonthier

Ton travail photographique s’est articulé autour de monuments et de plaques commémoratives, pourquoi avoir choisi cet axe-là plutôt que par exemple de réaliser les portraits d’anciens combattants (images récurrentes de la colonisation) ?

C’est un peu récurrent pour moi de travailler sur l’architecture et sur les objets. C’est la valeur symbolique des choses qui m’intéresse et non le témoignage. Cela m’intéresse moins de travailler sur des récits que sur des traces. Je fais très peu de portraits pour l’instant car je n’arrive à vivre une vraie relation durable avec ce type de photographie, à part peut être avec les photos d’identité. J’ai l’impression que les objets, les architectures et les paysages m’aident mieux à me projeter et me transportent plus tout en en me nourrissant intellectuellement. C’est ce que je recherche en ce moment je crois.

Comment s’est fait le choix des lieux ? Et où sont-ils situés ?

Toutes les photos ont été prises sur le territoire français car il y avait l’idée de questionner le point de vue français. Outre une image prise à Bamako, représentant un monument qui est une copie de celui de Reims, dédié à l’armée noire, et qui fut détruit par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale, la plupart des images ont été prises sur le ou plutôt les territoires français actuels.

Que signifie ce titre «  Outre Mer, des mémoires coloniales »?

« Outre-Mer » est un terme qu’on utilisait autrefois pour nommer l’empire colonial. Aujourd’hui encore on parle des départements d’Outre-Mer, qui sont en sont issus. Ce terme montre donc que c’est une histoire à la fois très ancienne mais aussi très actuelle.

Ce titre laisse deviner certains questionnements mais ne donne pas de réponses ni de vérité absolue. Pour le sous-titre, « des mémoires coloniales », il y avait l’idée que l’on questionne ici la colonisation et non pas les départements d’Outre-Mer.

Pour cette exposition tu as travaillé avec l’espace Khiasma, lieu associatif plutôt indépendant. Tu a pensé à présenter et à élargir ce projet dans des institutions publiques telles que Le mémorial de la France d’outre-mer à Marseille ou encore la cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris ?

Oui, on envisage des suites, Khiasma a permis de rendre concrète cette première forme. On souhaite évidemment pouvoir le représenter et le faire évoluer ailleurs.

Un film et un projet mêlant d’autres artistes sont en projet… C’est toujours la même idée  : créer la possibilité du dialogue, des discussions et des échanges. C’est exactement ce que fait à l’espace Khiasma sur des problématiques communes avec les soirées et les rencontres organisées avec des musiciens, des comédiens, des plasticiens, des photographes, des chercheurs en tout genre, afin de participer à la réflexion et à l’action…L’histoire continue.