L’univers solaire d’Henry Roy

C’est cette lumière si naturelle, son univers solaire et onirique qui est la marque de fabrique du photographe Henry Roy. Dans cette interview, on parle de rêves, d’Haïti, de Dakar, de rêve, de vaudou, de couleur et de …. lumière.

Pouvez-vous nous raconter comment vous en êtes venus à la photographie ?

Ma découverte de la photographie a été un pur hasard.

Un de mes amis de lycée, qui s’était pris de passion pour cette pratique, m’a invité un jour à assister à une session de tirage, dans son labo amateur noir et blanc. C’est en voyant, pour la première fois, apparaitre une image dans un bac de révélateur, que le choc originel s’est produit. Je ne saurais dire ce qui s’est passé en moi, mais j’ai instantanément décidé que j’allais vivre de cette « alchimie ».

Vous collaborez depuis plus de vingt ans avec différents magazines, comment travaillez-vous ?

Je suis connu pour proposer une photographie « naturelle », baignée de lumière du jour (souvent solaire). J’ai une nette prédilection pour le portrait, mais pratique, plus largement, le lifestyle. Autrement dit la photographie de voyage, d’intérieur ou même d’architecture.
J’interviens peu sur ce que je perçois. Mon guide est la lumière. C’est en fonction d’elle que je m’oriente dans le réel. Je m’intéresse, bien sûr, depuis toujours, à ce qui émane des êtres et des choses.
Il s’agit d’une « captation », qui peut être extrêmement rapide, de ce que je ressens dans une situation, et à un instant donné.
Un peu comme si chaque prise de vue était destinée à intégrer un journal fantasmé de ma vie. J’ai, bien entendu, conscience des contraintes propres à chaque commande, et respecte le contexte de publication de mes images.
Mais à l’intérieur de ce cadre, j’essaie de rester, autant que possible, moi-même. J’évite donc soigneusement les clichés conventionnels.
Cette forte identité me limite aux magazines indépendants et aux médias « pointus » (souvent liés à l’univers du luxe).

En parallèle vous menez un travail personnel, pourriez-vous nous en parler (en particulier votre travail « Superstition ») ?

Mon livre Superstition n’est que l’extrait d’un vaste corpus entamé il y a plusieurs décennies. Je profite, notamment, de mes voyages professionnels pour développer ce projet. Il s’agit de définir un univers représentatif de ma sensibilité franco haïtienne; un espace poétique et onirique, emprunt d’une forte influence animiste.
Je suis persuadé que les images nous en disent bien plus que ce qu’elles nous montrent.
Je leur accorde même le pouvoir de façonner le réel, une dimension magique. Mon travail développe cette idée et conduit mes pas vers les lieux me permettant d’affiner cette recherche.
C’est un processus intuitif, qui réclame une grande liberté de mouvement, ainsi qu’une réelle autonomie vis à vis des figures imposées de la photographie (notamment la notion de sujet).

Deux mots reviennent pour décrire votre travail, la lumière et la couleur.
Parlez nous des lumières que vous captez dans vos images ?


Lumière et couleur sont, en effet, l’essence même de mon expression.
– Comme je le disais plus haut, la lumière est mon guide. Celle qu’irradie l’astre solaire, qui donne ses couleurs à la vie, conditionne mes images. Je suis très conscient, quand je travaille, de cette dépendance.

Quant à la couleur, elle a toujours été – de tout temps et en tout lieu – le véhicule de symboles puissants. Il se trouve que je viens d’un pays, une culture, coloristes. Je ne peux me passer des couleurs, des plus subtiles aux plus vives.
Dans mes livres, elles fonctionnent comme les notes d’une polyphonie visuelle.
Je dirais, pour conclure, que lumière et couleur composent l’alphabet avec lequel je façonne mon cheminement intérieur.

Ombres chinoises, hommes et femmes qui dorment. Il y a comme une certaine latence dans vos images comme si tout n’était qu’attente dans la vie…

Dans la vie, ou dans les rêves!
J’évolue en effet dans un espace indécis, entre deux temporalités et dimensions. Il s’agit d’une volonté de tenir à distance la sacro sainte notion de réel.
Non, à mon avis, une photographie n’est pas réelle, et ne peut l’être en aucun cas. Elle n’est que le fruit d’un choix, une coupe, plus ou moins signifiante, dans l’espace temps.
Je suis beaucoup plus intéressé par le langage flottant du rêve.
Ces personnages qui dorment, dans mon travail, nous invitent à imaginer le monde invisible de leurs songes, tout en nous interrogeant sur la validité de nos propres perceptions.
Il en est de même pour les ombres projetées, qui dupliquent les formes et les prolongent avec mystère (un peu comme dans un tableau de Giorgio De Chirico).

La question qui m’obsède est la suivante : Rêve t’on en état de veille ou en sommeil ? C’est une question métaphysique.

Les récentes découvertes des neurosciences et de la physique quantique mettent sérieusement à mal l’idée que nous nous faisons du monde, de la conscience et du réel.
Ce que nous percevons ne serait qu’une interprétation cérébrale de ce qui est. Il y a donc une (voir des) réalité (s), imperceptible (s) par nos sens, derrière la notre, qui ne serait, en quelque sorte, qu’une illusion.
Cette découverte rejoint les savoirs promus par les spiritualités millénaires.
C’est un sujet qui me passionne. D’autant que je suis issu d’une culture vodouisante. Disons que mon travail rend compte, sans artifice, de la part d’irréalité qui nous entoure.

Pourriez-vous nous décrire cette image en particulier ? Celle de la femme qui à la tête en arrière ?

La jeune femme représentée sur cette photo s’appelle Aminata. Elle a été photographiée à son insu, lors de mon dernier voyage à Dakar.
Son visage renversé, photographié dans un angle inhabituel, pour un portrait, accentue l’étrangeté de l’image.
Cette position, où elle s’abandonne, vulnérable, à la merci du regardeur, lui confère un aspect à la fois morbide, sensuel et passionné ; tandis que la lumière donne à son visage la symbolique d’un masque.
Le bois, sur lequel elle prend appuie, et le tissu aux motifs géométriques qui orne l’arrière plan, suggèrent l’Afrique traditionnelle.
Pourtant, le tissage de ses cheveux et son vêtement nous indiquent l’époque actuelle.

© Henry Roy
© Henry Roy

C’est une image, que je qualifierais d’« ouverte ». C’est à dire qu’elle laisse l’espace à chacun d’ y projeter son propre imaginaire.

Comment a été pensé le livre « Superstition » chez Études Books ?

C’est tout simple. J’ai été contacté par Nicolas Poillot (fondateur et directeur de création d’Etudes Studio), qui m’a dit admirer beaucoup mon travail. Il suivait mes photos depuis de nombreuses années dans des revues indépendantes de renommée internationale telles que Purple.
Il m’a proposé de me consacrer un livre de son édition Blue Books, dont le format et la pagination sont standardisés.
J’ai accepté car j’apprécie le soin et la qualité qu’il applique à tout ce qu’il produit.
Nous avons ensuite coopéré sur la sélection des images. Après plusieurs aller retour, nous nous sommes mis d’accord pour un editing.
J’ai moi-même proposé le titre et écrit le texte d’introduction.
Il ne restait qu’à mettre en page les photos. S’est alors posée la question de l’association de visuels disparates dans un même objet. Ce à quoi Etudes a su répondre avec brio en imaginant un système d’amorce conçue comme un rappel de l’image précédente se perpétuant d’une double page à l’autre.

C’est une ébauche pour un livre futur, n’est-ce pas ? comment l’imaginez-vous ?

Superstition est mon cinquième livre. Tous s’inscrivent dans une même dynamique éditoriale, que je voudrais pousser jusqu’à son paroxysme.
Grâce à une articulation narrative innovante, l’introduction de textes et un volume de travail plus important que ce qui a pu être présenté jusqu’à présent, je souhaite exprimer toute la force de mon univers et la pertinence de ma démarche (évoquée plus haut) dans le champ de la photographie contemporaine.
Je l’imagine donc comme un ouvrage conséquent, inventif et hybride, d’une grande puissance poétique.

Quels sont vos projets dans les prochaines années ?

D’abord, je termine Portfolio, le livre que j’écris actuellement. Il s’agit d’une auto fiction qui se nourrit de la matière de mon travail photographique.

Ensuite j’ai un projet de film, court métrage.

J’ai plusieurs expositions prévues, notamment à Paris et dans les Alpes.

Ainsi qu’une résidence au château de Chaumont. Je suis aussi à la recherche de financements pour un projet (photo et texte) sur le Rwanda actuel.

Enfin, j’ai plusieurs projets de participation à divers Festival d’art et de cinéma en Haïti. Formidables occasions de m’impliquer dans la culture de ce pays (où j’ai déjà enseigné), tout en y poursuivant mes recherches.

A découvrir en septembre, quelques images de Henry Roy à Paris :

Exposition à la Librairie Galerie OFR

du 6 au 14 Septembre

20, rue Dupetit-Thouars 75003 Paris

M° Temple, République ou Filles du Calvaire.

Exposition à la Galerie Patricia Dorfmann

du 14 au 22 Septembre

61, rue de la Verrerie 75004 Paris

M° Hôtel de Ville

http://www.patriciadorfmann.com/

Pour suivre Henry Roy sur instagram, cliquez ici.

© Henry Roy
© Henry Roy

© Henry Roy
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© Henry Roy
© Henry Roy

© Henry Roy
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© Henry Roy
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© Henry Roy
© Henry Roy

© Henry Roy
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