Rencontre avec Francis Helgorsky

Intérieur © Francis Helgorsky
Intérieur © Francis Helgorsky

Le photographe Francis Helgorsky est connu dans la région de l’Orientale au Maroc. Depuis quelques années , il mène un travail documentaire autour des femmes de la région.

A travers cette interview, il retrace son parcours, nous présente sa démarche et sa rencontre avec les femmes de Genfouda.

Débuts

Parcours professionnel autodidacte. J’ai exercé différents métiers, essentiellement dans le domaine commercial (vente de piscines, responsable magasin photo).

Fin 1987, c’est en arrivant sur Grenoble que je décide d’être photographe. Depuis 1995, j’ai le statut de photographe/auteur. Depuis mon adolescence, la photographie a toujours été présente dans ma vie. Mon père était passionné et nous allions régulièrement au photo club de notre ville (banlieue parisienne fin des années 60). Très vite je me suis lassé des photos clubs et de leurs visions de la photographie. Pendant de nombreuses années je faisais de la photo simplement pour le plaisir.

En arrivant sur Grenoble, je photographie essentiellement la montagne sans projet précis, sinon de relier paysage et gens. (Première expo au musée dauphinois en 1994).

Au cours des années qui suivent je construit une démarche toujours axée autour du paysage, et c’est avec mon passage au numérique en 2003/2004 que ma démarche change : pour simplifier je dirais que je « descends de mes montagnes » et passe à la couleur, ce qui va me rapprocher des gens. C’est la montagne habitée qui va m’intéresser.

Actuellement je croise paroles des gens, photographies et vidéo. Pour information je travaille sur deux projets importants. Le premier s’inscrit dans le cadre des actions « Culture à l’hôpital » (DRAC, ARS, Europe, Conseil Général). Il s’agit de travailler sur une « mémoire des lieux » autour de 3 mots : vies, lieux, objets, en impliquant au sein de l’hôpital psychiatrique concerné les résidents et le personnel soignant. Le deuxième projet pour lequel j’ai constitué un collectif d’artistes (danse, musique, composition sonore et photo/vidéo), se déroulera sur deux quartiers « sensibles » de la ville de Moûtiers en Savoie. Là aussi, il s’agit de développer un projet artistique qui implique directement les habitants. Les axes de réflexion seront la montagne (quel sentiment de la montagne pour ces populations), les différentes cultures des communautés présentes (turque, maghrébine…), le travail… Le collectif avec les habitants proposera d’inventer une mémoire des quartiers reliés à d’autres espaces : la montagne et la ville.

Portraits © Francis Helgorsky
Portraits © Francis Helgorsky

Le Maroc, l’Oriental, les femmes de Guenfouda

En 2006, un ami écrivain m’a recommandé auprès d’Yves de la Croix (Institut Français de l’Oriental à Oujda) pour une résidence. Pour cette première résidence, j’avais pour objet d’animer des ateliers images en milieu scolaire et de réaliser un reportage dans les Beni Snassen.

L’année suivante, Yves de la Croix m’invite à nouveau, pour poursuivre le travail image dans la région. C’est au cours de cette deuxième résidence que je rencontre Anne-France Wittman à Guenfouda et les femmes de l’association El Amal. Ensemble nous créons un atelier images avec elles, dont le résultat sera exposé à Oujda à l’Institut en fin de résidence.

En 2009, c’est moi qui contacte Yves de la Croix. J’avais envie de retourner à Guenfouda et de commencer un travail avec les femmes de l’association. Anne-France est remplacée par Cassandre qui préparera de façon remarquable ma venue. Yves m’a invité une 3e fois en souhaitant que je vienne pour la journée de la femme en mars 2009. Et pour cette occasion il voulait que j’expose une série de portrait dans le cadre d’un colloque sur les droits de la femme à Oujda.

Portraits © Francis Helgorsky
Portraits © Francis Helgorsky

« Paysages, Visages, Intérieurs »

Pour ce second séjour à Guenfouda je n’avais pas envie de faire un 2e reportage, mais plutôt de construire un projet autour des 3 mots « paysages », « Visages », « Intérieurs ». J’avais des portraits à réaliser (demande d’Yves) et j’ai pensé les relier à des paysages, ceux du village où vivent les femmes, et à des intérieurs, auxquels je tenais beaucoup parce que je les devinais très féminins. J’ai souhaité porter, sur ce premier travail construit, un regard frontal plus proche du document que du reportage. Ne rien ajouter à ce que je pouvais avoir en face de mon viseur.

Conjointement à ce travail photographique, j’ai également filmé les femmes de l’association, leur village, quelques unes de leurs activités. J’ai également réalisé des mini-portraits vidéo d’enfants à partir de 3 questions simples. L’idée était mettre en écho la partie photographie documentaire et très plastique me semble t-il, silencieuse, avec un montage vidéo dynamique, mobile où la parole est restituée. Ainsi, pas de redondance, et nous avons pu vérifier lors d’une installation photo/vidéo au musée dauphinois que l’ensemble « fonctionnait » bien. J’ai également filmé une partie du colloque à Oujda sur la condition féminine (il apparaît dans le film). Concernant la partie vidéo, je précise que j’essaye d’éviter les montages narratifs pour proposer chaque film comme un carnet de route dont on tournerait les pages. Laisser au spectateur la possibilité mettre en mouvement sa pensée et de faire son propre film à l’intérieur du mien.

Intérieur © Francis Helgorsky
Intérieur © Francis Helgorsky

La deuxième association marocaine

Lors de ma première résidence à Oujda, l’association Aïn el Ghazal m’a contacté pour venir animer un atelier images avec un groupe de femmes maltraitées, hébergées et aidées par l’association. Les femmes, souvent très jeunes avec des bébés ou enceintes pour la plupart, ont participé avec beaucoup de conviction au projet.

Vu l’impact et le succès du premier atelier, nous avons mené cette expérience 3 années de suite. Pendant que l’unique appareil numérique passait de mains en mains avec comme seule consigne d’avoir une intention précise pour chaque image, je profitais du droit de regard qu’elles m’avaient accordé pour faire mes propres images. En fin d’atelier, je demandais à chaque jeune femme de présenter ses photos, d’en choisir une ou deux et de les commenter. Très belle expérience humaine et photographique pour nous tous.

Pour clore l’atelier je demandais la possibilité de faire un portrait en N et B de chaque participante. Demande à chaque fois accordée. Une partie de ce travail artistes/femmes de l’association a été présenté à l’Espace d’art contemporain des Teppes à Annecy fin 2008 dans le cadre d’un projet que j’avais proposé et intitulé : « D’une mère, l’autre ».

Paysage © Francis Helgorsky
Paysage © Francis Helgorsky

Impact auprès des autorités marocaines

Pour le projet avec les femmes de l’association El Amal (Guenfouda), j’étais soutenu par le président du village et le caïd. Mais ce projet est un projet en cours et il n’y a pas encore eu de présentation officielle, si ce n’est une série de portraits (17) présentés à Oujda dans le cadre d’un colloque sur la condition féminine au Maroc, auxquels j’avais ajouté une série réalisée avec les femmes de l’association Aïn el Ghazal (photos personnelles et photos des femmes accompagnées de leurs textes).

L’impact a été très fort auprès du public, et nombre de personnes (femmes mais aussi des hommes) m’ont demandé de continuer ce travail. Les portraits des femmes d’El Amal devaient être exposés à Guenfouda toujours dans le cadre de la journée de la femme, mais au dernier moment elles ont eu peur des réactions des maris et l’expo a été annulée. Par contre nous avons décidé d’offrir à l’association la série de portraits. Par ailleurs un petit opuscule sur le travail réalisé avec les femmes de l’association Aïn el Ghazal a été édité au Maroc. Malheureusement tous les regards féminins ont été censurés, ce qui amoindri considérablement l’impact de ce petit ouvrage. Mais ce qui est positif, c’est que l’association a quand même réussi à le faire éditer dans son pays, ce qui était très incertain au départ. Je sais que le village de Guenfouda et particulièrement l’association El Amal attend mon retour et est disposée à ce que je poursuive mon travail.

Photos et vidéo. Résultat final

Depuis quelques années la vidéo fait partie intégrante de mes projets, pour une raison essentielle : de plus en plus souvent je collecte la parole des gens. Et je trouve que la vidéo est le médium idéal pour concilier son et image. De plus j’ai découvert quelques cinéastes dont Johan van der Keuken qui m’a donné envie de travailler avec le médium vidéo. Comme je le disais plus haut, j’aime allier la rigueur et le silence d’une photographie et la mobilité de la vidéo. Je considère la partie montage comme un acte de création à part entière ou tout est possible (raccorder des temps et des espaces qui au départ n’ont aucun lien, donner du sens tout en essayant de ne pas être ni dans la narration ni dans l’ethnologie stricto sensu).

Le résultat final pourrait être une installation photos et vidéo (film de 35′ à 52’ ou découpage en plusieurs films courts) dont le sujet serait avant tout les femmes de Guenfouda (être femme au Maroc, agricultrice et impliquée dans la vie économique, sociale et culturelle de leur village) et de manière plus large montrer « un village qui se dit ». Il y aurait un troisième volet. Les femmes de l’association El Amal sont soutenues et aidées depuis 2002 par une association de femmes agricultrices françaises du sud-ouest de la France. Elles apprécient beaucoup mon travail réalisé à ce jour à Guenfouda. L’idée a germé de commencer un travail avec elles aussi (je les ai rencontrés en juillet dernier) et de mettre en écho femmes marocaines/femmes françaises, ruralité des deux pays, agriculture dans les deux pays, vie villageoise, la condition de la femme aujourd’hui dans les deux pays… Vaste programme. Le projet est en cours, un peu fragile parce qu’il faut trouver des aides, un réseau. Je compte retourner à Guenfouda en 2011 et les agricultrices françaises ont une réunion en octobre pour voir tous les possibles pour développer le projet France/Maroc. On envisage d’aller ensemble au Maroc.

Projets en cours

Je travaille sur deux projets importants. Le premier s’inscrit dans le cadre des actions « Culture à l’hôpital » (DRAC, ARS, Europe, Région, Département). Il s’agit de travailler sur une « mémoire des lieux » autour de 3 mots : vies, lieux, objets, en impliquant au sein de l’hôpital psychiatrique concerné les résidents et le personnel soignant. Projet à 3 artistes : photo/vidéo, danse et conte. Le deuxième projet pour lequel j’ai constitué un collectif d’artistes (danse, musique, composition sonore et photo/vidéo), se déroulera sur deux quartiers « sensibles » de la ville de Moûtiers en Savoie. Là aussi, il s’agit de développer un projet artistique qui implique directement les habitants. Les axes de réflexion seront la montagne (quel sentiment de la montagne pour ces populations ?), les différentes cultures des communautés présentes (turque, maghrébine…), le travail… Le collectif, avec les habitants inventera une mémoire des quartiers reliés à d’autres espaces, notamment la montagne et la ville. Ce projet intitulé « Mon quartier comme un village, mon village comme un quartier ? » aura une suite. Après deux quartiers urbains, la même démarche sera menée auprès des habitants d’un village de l’avant-pays savoyard. A terme, il s’agit de faire se rencontrer les populations éloignées d’un même département autour de : « Mémoires, Culture et Société ». Ces projets sont soutenus par les institutions régionales, départementales et locales. Je développe aussi des projets en lien avec le milieu scolaire : par exemple, je vais travailler avec une cinquantaine de jeunes d’un lycée à Romans sur le thème « Migrations » en lien avec les différentes communautés présentes dans la cité (italienne, arménienne, maghrébine). D’autres projets en lien avec l’enseignement agricole.