Révéler le corps

Au regard du travail photographique d’ Antoine Tempé , nous restons contemplatifs. L’équilibre, la grâce, l’apesanteur des corps qu’il nous révèle à travers ses images est un instant d’une chorégraphie. Ses visages de la série « Visages d’Afrique » , sont sculptés de contrastes, définis par la lumière.

Un voyage en images dans le monde de la danse et de la culture africaine.

« Danse »

Merlin Nyakam, Ouagadougou, 2006 © antoine tempé
Merlin Nyakam, Ouagadougou, 2006 © antoine tempé
Antoine, d’où vient cet attrait pour le corps et les danseurs d’Afrique ?

J’ai toujours été attiré par la danse et par l’Afrique… c’est donc en fait une combinaison de deux passions. Lorsque j’ai commencé à faire de la photo, j’ai très tôt réalisé des portraits de danseurs; parce que je dansais il m’était facile de faire des photos de mes amis danseurs. J’ai aussi très vite travaillé plus particulièrement avec les compagnies afro-américaines. Ce qui m’attirait dans New York, c’était son côté cosmopolite, le fait qu’un grand nombre de cultures étaient représentées. Je trouvais plus intéressant de me concentrer sur ce qui n’était pas la culture dominante du monde occidental, celle dans laquelle j’avais été élevé, ou même celle de la culture dominante des Etats-Unis, blanche, WASP.

Comment choisis-tu les danseurs ou les compagnies que tu photographies ?

Par mon travail sur les festivals de danse, par mon intérêt pour la danse contemporaine (même en dehors de mon travail je vois un grand nombre de spectacles), je suis en contact avec de nombreuses compagnies de danse. 


Est-ce eux qui te sollicitent ou t’intéresses-tu à ces danseurs pour leurs manières d’utiliser leur corps?

Cela dépend. Pour mon travail personnel, le plus souvent c’est moi qui sollicite les modèles. Je choisis les compagnies dont les spectacles me captivent, ou les danseurs qui retiennent mon regard dans un spectacle ; que ce soit par un physique que je trouve intéressant, ou par une façon de bouger particulière. Cela est également vrai pour mes choix de modèles en portrait.

Depuis combien de temps réalises tu cette série de portraits ?

Cela fait environ 5 ans que je travaille sur ce projet. J’ai découvert la danse contemporaine africaine lors des Rencontres Internationales de la Danse Africaine Contemporaine à Madagascar en 2001. C’est là que j’ai vu mes premiers spectacles et que j’ai rencontré ces danseurs pour la première fois. Avant cela, j’avais déjà beaucoup entendu parler de ce mouvement, et j’avais lu de nombreux articles dans la presse européenne; l’Europe commençait déjà à s’intéresser à ce mouvement. Mais à l’époque je vivais à New York, et c’était une discipline très peu représentée sur le contient américain. J’ai profité d’un long voyage en Afrique pour aller à Madagascar au moment de cette biennale. Et là, cela a été une révélation; j’ai commencé à faire quelques portraits de danseurs et chorégraphes dans un studio improvisé en extérieur. Puis c’est en revoyant ces danseurs à Paris au printemps suivant – alors que les lauréats du concours de la biennale y étaient en tournée – que m’est venue l’idée de réaliser cette série de photos en studio.

Nelisiwe Xaba, Paris, 2005 © antoine tempé
Nelisiwe Xaba, Paris, 2005 © antoine tempé

Est-ce un travail sur le long terme comme la plupart de tes différentes séries d’ailleurs ?

Oui, c’est un travail sur le long terme… je ne sais pas s’il aura une fin d’ailleurs… je crois que j’aurai toujours envie de photographier des danseurs…

Dans ce travail qu’essaies-tu de capter ? Un moment, une attitude ?

Avant tout j’essaie de capter la personnalité, la particularité du modèle. Mais aussi, comme dans toute photo, j’essaie de capter quelque chose d’éphémère, un moment, une attitude, un instant qui est peut-être trop bref pour qu’on en soit vraiment conscient à l’œil nu, une fraction de seconde. J’essaie de capter un déséquilibre, un moment d’humour spontané, un instant d’abandon…

Ta façon de cadrer les corps est très particulière et originale, elle semble très décadrée. Les corps semblent être dans des cubes, dans des bulles carrées. Par exemple, l’image intitulée Michael Thomas, 1999 . Comment les réalises-tu ?

Passionné par la danse, je suis bien entendu intéressé par le mouvement et sa représentation dans l’espace. Pour moi, une image bien composée l’est par la forme du sujet lui-même, mais aussi par sa position par rapport au cadre de la photo. Cela est particulièrement important avec les fonds blancs que je choisis souvent, et encore plus avec le format carré qui est mon format de prédilection. Par exemple dans le cas de l’image Michael Thomas, 1999 , j’explique au danseur où se trouve le cadre de la photo et la façon dont je souhaite le positionner dans cet espace; ensuite je lui demande de traverser ce cadre de gauche à droite très rapidement. Dans ce cas bien particulier, le contexte, le cadrage et la position du danseur dans l’espace sont choisis par avance. Ce qui n’est pas prévu c’est la géométrie du corps du danseur, qui est figée par le flash en laissant sa chance au hasard.

Michael Thomas, 1999 © antoine tempé
Michael Thomas, 1999 © antoine tempé

Ici tu photographies des mouvements mais ils semblent figés, pas de flou. Il y a une réelle recherche de la précision ?

Non, je ne dirais pas qu’il y ait systématiquement une recherche de la précision… en tout cas pas dans l’image elle même Certaines de mes images sont floues… d’autres très nettes. Mais je suis très précis dans ce que je choisis de tirer au moment où je fais l’editing de mes planches contact.

Tu utilises souvent des fonds blancs; ces photographies sont-elles prises en studio ?

Dans ma série de danseurs, un peu plus de la moitié des images a été prise en studio, au flash… mais une bonne partie a été réalisée en Afrique, en lumière naturelle, en extérieur devant un mur de ton plus ou moins uni. Même certaines des photos sur fond blanc.

Ces fonds blancs nous focalisent sur le corps de ces danseurs. Est-ce volontaire de décontextualiser ces corps ? De les mettre en avant en dehors de leur chorégraphie ?

Je considère ces images comme des portraits de danseurs ; je tiens vraiment à les sortir du contexte de leur environnement scénique. Ce ne sont pas des photos de spectacle. Même dans les cas où je les réalise dans un environnement moins contrôlé qu’un studio (comme en plein air devant un mur, ou dans un coin de pièce) je m’efforce de relativiser l’importance de cet environnement; par exemple en le rendant flou par l’utilisation d’une faible profondeur de champ. Je veux vraiment mettre l’accent sur les danseurs, sur leur mouvement, sur leur émotion.

« Visages d’Afrique »

Dans ton travail « Visages d’Afrique » tu présentes les acteurs du milieu culturel africain. D’où est partie cette idée ?

Cette idée m’est venue au fur et à mesure des rencontres que je faisais en Afrique. J’ai commencé à photographier mes amis artistes, surtout des danseurs au départ, puis l’idée m’est venue de l’étendre à d’autres artistes et personnalités du monde culturel.

Sotigui Kouyaté, 2003 et Malick Sidibé, 2002 © antoine tempé
Sotigui Kouyaté, 2003 et Malick Sidibé, 2002 © antoine tempé

« Visages d’Afrique » est elle une histoire d’amitié avec les personnes photographiées, un hommage qui leur est rendu ?

Très souvent oui. Mais il m’arrive aussi d’approcher des artistes que je ne connais pas personnellement pour faire leur portrait. Et parfois la rencontre ne dure que les 10 ou 20 minutes que dure la prise de vue. D’autres fois, c’est cette rencontre qui crée de nouvelles amitiés. Oui, j’essaye de rendre hommage à tous ces hommes et femmes qui sont souvent encore trop méconnus en dehors de leur continent, ou même en dehors de leur pays.

Où réalises-tu cette série ? En Afrique ou en studio à New York ?

Cette série est réalisée, à quelques très rares exceptions près, en Afrique. On est en général plus à l’aise dans son propre environnement, plutôt que dans un studio qu’on ne connaît pas; on se laisse plus aller. Je pense trouver plus de vérité dans mes photos en photographiant les gens chez eux. Mais bien sûr si j’ai la possibilité de photographier un artiste parce qu’il est de passage à New York, je ne vais pas, par principe, laisser passer l’occasion.

Nous avons vu une sélection de cette série à Dakar. Sera-t-elle prochainement présentée en Europe, aux USA ou dans un autre pays du continent africain ?

En plus de Dakar, cette série a déjà été présentée dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest, dans le cadre d’une tournée dans les Centres Culturels Français. Une partie de cette série a été montrée à New York au mois d’avril – il s’agissait d’une série de portraits de personnalités du cinéma africain. Elle va également être présentée à Bamako lors des Rencontres Africaines de la Photographie en novembre. Ensuite, j’espère qu’elle pourra voyager dans d’autres parties du continent africain. Je prévois d’ailleurs de continuer ce travail dans d’autres régions d’Afrique où je n’ai pas encore eu l’occasion de travailler: l’Afrique équatoriale, l’Afrique centrale, l’Afrique australe…

Ces portraits sont-ils mis en scène par les acteurs ou par toi ?

Je ne dirais pas qu’il y ait réellement une mise en scène. Dans le cas de ces portraits, je cherche le lieu qui me convient pour la lumière et le fond, et je dirige peu les modèles. Je préfère les laisser être eux-mêmes, s’abandonner à leurs pensées, pour essayer de capter un aspect de leur personnalité qu’ils ne sont pas habitués à voir en photo. Il n’y a rien qui me fasse plus plaisir que quand un de mes modèles me dit avoir été surpris par son portrait, mais s’y reconnaître néanmoins.

Pour ces portraits, l’influence des studios africains est-elle importante ?

Oui, j’admire beaucoup le travail des photographes des studios africains des années 50 et 60, tels que Cornélius Yao August Azaglo (Côte d’Ivoire), ou Mama Casset (Sénégal); et également des photographes qui travaillent encore aujourd’hui tels que Malick Sidibé (Mali).

Ici tes portraits ne sont pas systématiquement sur fond blanc, est-ce volontaire ?

Oui, c’est volontaire. J’essaie dans la mesure du possible d’éviter les fonds blancs. Pour moi, l’Afrique est tellement dans les couleurs de terre et les textures riches que j’essaie presque toujours de trouver pour mes fonds des murs en terre battue, ou une vielle porte rouillée, ou encore des tissus un peu rugueux. Mais ensuite dans la photo, ce fond est en général rendu flou de façon à n’être que suggéré. 

« Journey »

Dans cette série, on voit que tu as traversé beaucoup de villes et de pays du continent africain ou d’ailleurs pour en saisir des moments symboliques, des personnes. Tu montres des moments de vie en mouvement en les associant en diptyque souvent. Comment se font ces associations ?

Ces associations se font soit par des associations d’idées, soit par des associations purement graphiques. Cela dépend.

anakao,madagascar, 2001 © antoine tempé
anakao,madagascar, 2001 © antoine tempé

Dans « journey » , tu décadres tes images en ne saisissant que des morceaux de scène, de corps. Pourquoi ce parti pris ?

J’aime bien m’attacher à des détails de la vie, des détails d’ objets, des détails de corps, des détails de mouvement. En sortant ces scènes de leur contexte évident, j’essaie de garder un côté de mystère, de poésie.

Cette série semble être réalisée en 24×36 à l’opposé des autres en 6×6. Pourquoi ce choix ?

La plupart de ces photos a été réalisée au cours d’un voyage d’un an pendant lequel, je traversais l’Afrique de l’ouest de part en part. Je me déplaçais en transports collectifs et je voulais avoir un équipement assez léger et peu encombrant, qui me permette de me fondre dans l’environnement. Il est plus facile de passer inaperçu avec un petit appareil de 35mm qu’avec un format 6x6cm. Mais aujourd’hui je continue cette série en moyen format.

Plus généralement…

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton actualité ? Seras-tu présent lors de la Biennale de Photographie de Bamako ?

Mes grands projets du moment sont la finalisation d’un livre de textes et photos sur la danse africaine contemporaine que je réalise avec le chorégraphe burkinabé Salia Sanou . Je prépare également une exposition de mon travail sur la danse et sur les portraits pour les « Contours » (c’est à dire le Off) de la Biennale de Bamako. Je suis également en train de préparer un voyage de deux mois en Afrique équatoriale (essentiellement le Congo Brazzavillle et la République Démocratique du Congo) où je souhaite continuer mon projet de portraits “Visages d’Afrique” .

En savoir plus :

Site web antoine tempé