Sur cette terre rouge – Interview de Shiraz Bayjoo

Actuellement exposé à Paris à la Fondation H, Shiraz Bayjoo nous raconte à travers cette interview la génèse de l’exposition « Sur cette terre rouge ». A travers une exposition pluridisciplinaire liée à une relecture et réécriture de l’iconographie coloniale, il livre un témoignage fort et singulier sur l’hybridité culturelle de l’océan indien. Comme l’explique la commissaire associée de l’exposition Ilaria Conti : « Opérant un détournement sur des matériaux d’archives coloniales, le projet génère une « poétique disruptive », qui met en lumière des histoires de résilience intergénérationnelle et pluriverselle. Conçue comme une polyphonie d’œuvres qui résonnent entre elles afin de transmettre et honorer l’expérience complexe des colonisé·e·s, l’exposition déploie la recherche et la pratique multidimensionnelle de Shiraz Bayjoo, dans lesquelles divers médiums sont employés comme stratégies distinctes de penser et de faire.

Depuis des années, votre corpus d’œuvres interroge l’histoire coloniale sans omettre aucune trace et aucun lien, comme le commerce, la géographie, la politique ou la sociologie mais aussi diverses temporalités : le passé et le présent. Peux-tu nous dire comment tu t’es intéressé à ce sujet pour en faire ta vocation artistique ?
Comme de nombreux artistes qui ont étudié en Europe, mes premiers travaux ont exploré les expériences des communautés de la diaspora. Cependant, pour moi, la prédominance des discours transatlantiques ne rendait pas compte de la complexité de l’identité et de l’hybridité culturelle de l’océan Indien, ne reconnaissant pas un monde plus complexe de créolisation, de l’Afrique de l’Est et de l’océan Indien occidental. Les îles Mascareignes présentent des strates /couches très importantes pour comprendre le mécanisme de l’impérialisme européen et leurs héritages dans la formation de nos relations avec les gens, la terre et les ressources.

La présence d’archives est au cœur de votre pratique artistique. Pouvez-vous nous parler de votre processus de travail autour de cela ?
Mon travail implique de multiples formes de recherche, commençant souvent au sein de récits communautaires où la narration d’histoires vernaculaires et le partage des connaissances sont placés au cœur des écrits historiques et sociologiques plus formels. Il est important pour moi de résister aux hiérarchies dans la fabrication des connaissances et comprendre à travers quelle lentille les récits historiques et nationaux sont formés est crucial pour visualiser des couches plus complexes qui sont à la fois nuancées mais aussi révélatrices de modèles plus larges. Une grande partie de cela m’amène aux archives et aux collections détenues publiquement et en privé à la fois en Europe et dans la région autour de l’Ile Maurice. Ce travail est souvent développé autour de projets basés sur des images en mouvement, qui ont été les points de départ de plusieurs projets au fil des ans. Les œuvres cinématographiques présentent souvent des paysages de discussion plus larges ou plus larges, permettant à d’autres formes de création telles que la peinture, la photographie ou la sculpture de présenter des réflexions plus nuancées et intimes. C’est ainsi que mes installations évoluent, contenant de multiples éléments qui deviennent une constellation d’objets, d’idées et de recadrages émotionnels.

© Shiraz Bayjoo
Politique des Races 4 – parts 1-14
Acrylic and resin on wood, 14 panels at 18 x 15cm x 1.5cm
© Shiraz Bayjoo
Riverstone
Woven panama, dye sublima & on ink, Sapele wood, brass
200×175 cm

Lo Sa La Ter Ruz [Sur cette terre rouge] est le titre de votre nouvelle exposition à la Fondation H à Paris, que signifie ce titre ?
Madagascar est souvent connue localement comme l’île rouge, et avec cela une sensibilité patrimoniale, d’origine, d’appartenance. A l’Ile Maurice notre terre est d’un rouge profond, et souvent comprise pour le sang versé en faisant le paysage des plantations, pour la misère infligée à ceux qui y ont été contraints à l’esclavage. Notre identité créole est née de cette terre, et notre langue est née de la résistance et de la survie. Il contient de nombreuses ambiguïtés dans sa nature en tant que langue d’origine esclave. Le titre Lo Sa La Ter Ruz parle de cette ambiguïté, se référant à la fois à cette terre rouge et à cette terre rouge, sites d’origine et de patrimoine, et sites de déplacements et de traumatismes. Mais de là vient la renaissance, la survie, la force et la créole.

Dans cette exposition, les liens se tissent, de votre île natale « Maurice » à d’autres régions voisines, comme Madagascar. Comment sont nées vos recherches et ce choix géographique et historique ?
Ce travail a débuté en 2014, à cette époque il était important pour moi d’explorer les conditions des indépendances en Afrique de l’Est et la marche vers la décolonisation. Cette œuvre ne pouvait pas être déballée à l’Ile Maurice, elle devait l’être dans un espace qui a des revendications d’origine beaucoup plus longues et plus profondes, et donc d’indigénité. Dans l’Ile Maurice, l’ensemble des travaux antérieurs d’Ile de France présentait le paysage de la première colonie, dans laquelle des îles telles que les Mascareignes sont importantes pour comprendre comment la colonisation a façonné les identités afro-indo. Mais ici, je voulais exposer le cycle de l’indépendance contre le syndicalisme, et donc notre île sœur de Madagascar a joué un rôle central dans la présentation de cette complexité. C’est ainsi que je construis et recherche mes projets, il est important de penser à l’interdépendance de la région, à la façon dont chaque île reflète les histoires de ses voisins.

Différentes formes artistiques et matériaux sont explorés, la photographie et les archives bien sûr mais aussi le textile, la céramique et la peinture. Comment sont structurés ces corpus ?
J’utilise différentes formes de fabrication pour amener le public dans différentes proximités avec le récit et les idées ; différentes formes de fabrication pour différentes formes de narration. A titre d’exemple, les œuvres photographiques présentent des sites historiques, souvent réalisés au cours de recherches de films, et revisités pour capter sur pellicule. Ils présentent des sites historiques, souvent marginalisés dans les récits officiels de l’État, mais importants pour comprendre des lectures plus complexes et nuancées. Ces ouvrages offrent un positionnement quasi archéologique, où l’on peut prendre le temps de lire la langue de ce paysage, et considérer l’énormité de ce qui s’est passé là-bas à travers les indices et les cicatrices qui ont été laissés. Dans des œuvres sculpturales telles que la série de céramiques Coral Island exposée à la Fondation H, la matérialité de l’argile est importante pour faire référence à la terre et aux traumatismes dont elle est témoin. Les formes font référence à des cadres français classiques, faisant allusion au romantisme d’une histoire et à un orientalisme qui masquent le réductionnisme violent qui se trouve en son cœur. Ici, nous voyons inscrits les croquis des marins hollandais des îles paradisiaques qu’ils décrivent à leur arrivée dans les Mascareignes, mais en y regardant de plus près, nous pouvons voir l’extraction violente de la nature et les origines du paysage de la plantation.

Quels sont vos prochains projets ? (exposition, résidence, recherche….)
Je travaille actuellement sur une œuvre d’art public pour la Whitechapel Gallery à East London, ce sera une peinture murale en céramique de 10 mètres de haut reflétant le refuge que la région a donné à ceux qui ont cherché l’asile politique et religieux au cours des derniers siècles, et à partir de là, le grande contribution aux idées d’égalité. Je suis également actuellement membre britannique de la Fondation Delfina, travaillant sur une nouvelle image en mouvement basée à Kew Gardens, explorant leurs collections en relation avec l’océan Indien occidental et son héritage en tant que collection économique. En 2022, je commencerai une bourse avec le Smithsonian Musem de Washington, entreprenant un nouveau projet The Coral Continent, axé sur la côte swahili et Zanzibar en tant que site central d’intersection entre l’Afrique de l’Est et l’Asie, et proposant l’île comme n’étant plus au au bord des imaginaires, mais au centre de mouvements de personnes et d’idées qui accentuent et influencent les centres de pouvoir.

© Shiraz Bayjoo
Woman by the window
Volando Voile, dye sublima & on ink, Sapele wood, brass
135 x 168cm
© Shiraz Bayjoo
Vue de l’exposition à la Fondation H
© Shiraz Bayjoo
Sambo serie, Diamond 2
Sapele wood, archive print, card, coral stone,
77.5 x 30 x 25cm
© Shiraz Bayjoo
Coral island set 5-B (left) & set 5-A (right)
Decal and glaze and terracoIa stoneware
Medium frame: 15.5 x 12 cm,
Large frame: 30 x 15 cm
© Shiraz Bayjoo
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© Shiraz Bayjoo
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