The Home Seekers

A la mi novembre 2021, dans le cadre des Rencontres à l’échelle à Marseille, nous avons pu découvrir l’exposition “Mon ami n’est pas d’ici” sous le commissariat de Bruno Boudjelal. Après une escale à l’Institut du Monde Arabe de Tourcoing, elle vient de poser ses valises pour plusieurs mois à la Friche La Belle de Mai.
Dans cette exposition, il y a plusieurs collaborateurs d’Afrique in visu comme Seif Kousmate ou Abdo Shanan. Nous avons eu envie de démarrer un dialogue via une interview avec le photographe soudanais Salih Bacheer autour de sa série exposée The Home Seekers. Cette série en noir et blanc telle un journal intime raconte l’histoire de deux personnages, Ali et Essam, leurs parcours et la difficulté du vivre ensemble en Egypte en tant que soudanais.

Bonjour Salih, Pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous en êtes venus à la photographie ?

Je viens d’Omdurman, au Soudan. J’ai déménagé au Caire en 2013 et j’ai obtenu une licence en géographie de l’Université du Caire en 2017 puis un diplôme en photojournalisme à l’école danoise de médias et de journalisme « DMJX » en 2021 . Je ne sais pas trop quand ma passion pour la photographie a commencé, car j’ai toujours été fasciné par le médium . Déjà à l’époque, je regardais les vieilles photos de mes oncles et les émissions de National Geographic sur notre téléviseur à la maison et j’adorais aussi prendre des photos avec l’appareil photo de mon téléphone. Mais je peux dire que j’ai vraiment commencé à devenir super passionné par le médium quand j’ai déménagé au Caire pour mon baccalauréat à mes 18 ans. J’étais fasciné par la culture égyptienne et par la vie dans la rue au Caire. C’était très inspirant pour moi et aussi c’était la première fois que je voyageais hors du Soudan.
Après avoir obtenu mon diplôme universitaire en 2017, j’ai commencé à travailler sur mon premier projet à long terme « Sweet Taste Of Sugarcane ».

Nous savons très peu de choses sur la photographie soudanaise en dehors du projet El nour. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le contexte de la photographie, formation, collectif, exposition ?

Notre scène photographique soudanaise est à la fois développée et à de nombreux manquements. Nous avons d’excellents photographes mais pas assez d’expositions. Quant à la formation à la photographie, il y a des réels efforts menés par les photographes établis qui veulent offrir un espace aux autres et leur apporter le soutien qu’eux-mêmes n’ont pas trouvé dans leur parcours professionnel.
Par exemple, Ala Kheir propose de nombreux projets pour dynamiser la scène photographique Soudanaise. Il organise des programmes de mentorat pour les photographes locaux et il est également le fondateur de la semaine photo d’Al-Mugran qui a malheureusement dû s’arrêter pour des problèmes de financement.

Sudan revolution
© Salih Basheer
Sudan revolution
© Salih Basheer

Pouvez-vous nous parler de votre pratique photographique ?

Tous mes projets naissent au départ de pensées aléatoires . Je commence par les écrire et ils grandissent avec le temps. J’aime prendre mes idées, mes observations et les transformer en quelque chose que les autres peuvent comprendre d’une manière plus profonde. J’espère toujours que les gens apprendront des choses dans les histoires que je raconte. Pour moi, mon appareil est une arme pour raconter des expériences, des luttes et des aspirations qui peuvent inspirer les gens et regarder avec un œil interrogateur, leurs modes de vie, leur environnement, leurs rôles, le fonctionnement de divers systèmes et les moyens d’améliorer leur vie et de contribuer au monde également.
En parallèle de mes séries personnelles, je travaille sur des commandes, la majorité d’entre elles concernaient la révolution au Soudan directement en couvrant les manifestations pour l’AP, Sputnk et Al Jazirah… j’ai aussi pu développer des histoires sur des personnes en lien avec la révolution pour le magazine en ligne suisse Republik, et aussi j’ai fait quelques commandes en Égypte sur les Soudanais pour le magazine local du Soudan Andariya Magazine.

Is this home
© Salih Basheer
Is this home
© Salih Basheer
Is this home
© Salih Basheer

Vos sujets semblent toujours débuter par une histoire personnelle. La question de la communauté à laquelle vous appartenez est au centre de votre travail, comment est née cette recherche et pourquoi est-elle importante pour vous ?

C’est vrai, je choisis toujours de travailler sur les projets qui me concernent personnellement. Je dois ressentir le sujet sur lequel je travaille. Je crois aussi que lorsque toi même tu as expérimenté cette réalité, le travail est plus honnête.

En 2017, vous démarrez une série Sweet taste of sugarcane / le goût sucré de la canne à sucre, pouvez-vous nous parler de cette série ?

La série traite de la souffrance à laquelle sont confrontés les étudiants d’une Khalwa « un endroit où le Coran est enseigné » au Soudan. La série est basée sur l’ expérience personnelle que mon frère et moi avons vécu. Nous avons étudié à l’école coranique lorsque nous étions jeunes. Je suis allé dans de nombreuses écoles coraniques au Soudan et dans la capitale Khartoum pour documenter la vie des étudiants à l’intérieur de ces écoles. Les conditions de logement et du bien-être des étudiants sont mauvaises et inquiétantes. Les étudiants sont généralement entassés dans un seul endroit, un pièce qui abrite souvent plus de huit étudiants. Le système nutritionnel général est inadéquat et la nourriture elle-même n’est pas bonne, et il n’y a pas de système de soins de santé . L’une des écoles intéressantes où je suis allé était « Hamish Kurabe » dans l’est du Soudan, à la frontière avec l’Éthiopie. Elle accepte les étudiants handicapés dont les parents ne peuvent s’occuper ou qui ressentent la honte et la stigmatisation de leur communauté. Une somme mensuelle est dûment versée au cheikh pour agir en tant que gardien et enseignant. Je voulais montrer que le système éducatif du Khalwa est obsolète et qui ne convient plus à l’avancement de l’esprit des étudiants qui y sont hébergés.

Sweet taste of sugarcane
© Salih Basheer

J’aimerais que vous reveniez sur votre série que vous menez depuis 2018, The Home Seekers. Pouvez-vous nous parler du sujet et nous présenter vos deux personnages ?

Il y a sept ans, je suis venu en Égypte pour commencer mes études universitaires. J’avais du mal à m’adapter. J’étais submergé par un mélange de sentiments : aliénation, nostalgie et solitude. J’ai pensé à tout abandonner et à rentrer chez moi. Mais – la maison n’était plus la maison. « The Home Seekers » explore mes sentiments complexes. Elle reflète le manque d’appartenance ressenti par les réfugiés soudanais au Caire et la discrimination raciale ressentie au quotidien dans les lieux publics, dans les transports ou en marchant dans la rue. C’est difficile d’être Noir en Egypte. Les personnes à la peau noire sont stéréotypées et étiquetées par les médias égyptiens, ce qui contribue à promouvoir des mouvements anti-noir dans la société égyptienne. J’ai suivi deux hommes soudanais dans leur quête d’un foyer. « Ali » est venu en Égypte pour échapper au fléau des persécutions politiques et des difficultés économiques, mais il a fini par vivre dans les rues du Caire en vendant des livres, au lieu d’immigrer dans le pays de ses rêves. « Essam » est homosexuel et a subi l’oppression au Soudan. Sa grand-mère était la seule personne qui lui offrait un foyer et une sécurité. Il a quitté le Soudan après sa mort et il a été expulsé de la maison familiale. Il pensait qu’il trouverait une société tolérante au Caire mais ce n’était pas le cas. Il a pensé retourner au Soudan, mais finalement sa demande de réinstallation en Suède a été acceptée.
The Home Seekers touche à sa fin. La dernière fois que j’ai produit des images, c’était le 11 avril 2021 lorsque j’ai visité Essam en Suède. En octobre 2020, Essam est arrivé à Göteborg, en Suède, pour commencer sa nouvelle vie. Dans mon projet « Is This Home? » chapitre 2 de mon projet à long terme « The Home Seekers », je suis le voyage d’installation d’Essam dans la ville de Göteborg. Si Ali retourne au Soudan, je pense aussi continuer à le suivre.

The home seekers
© Salih Basheer
The home seekers
© Salih Basheer
The home seekers
© Salih Basheer

Quels sont vos projets pour l’avenir ? (publication, exposition, recherche, résidences, …..)

En ce moment, je travaille sur mon projet personnel « 22 Days In Between » pour lequel j’ai eu deux bourses « THE EVERYDAY PROJECTS GRANT 2021 » et 2021 W. Eugene Smith Student Grant. Le projet est une sorte de voyage dans le temps à l’époque où j’ai perdu mes parents à l’âge de 3 ans. Je n’ai que peu de souvenirs de cette époque alors à travers ce projet je mène une enquête visuelle pour essayer d’en savoir plus sur mes parents et moi-même. C’est ma manière à moi de guérir de ce traumatisme.
En parallèle, je travaille au format carré sur un projet intitulé « From the square » sur la révolution soudanaise et l’évolution de la situation politique au cours des trois dernières ( depuis 2019) C’est une période très difficile au Soudan maintenant et très complexe politiquement depuis 2019. En voici les premiers extraits !