YaPhoto

Basée à Yaoundé, Yaphoto est une plateforme photographique imaginée et conçue par Landry Mbassi et Christine Eyene. Yaphoto fait la promotion de la photographie contemporaine au Cameroun et à l’international à travers des portfolios en ligne, des expositions organisées tous les ans, mais aussi des événements et des workshops.

Propos recueillis par Claire Nini.

CN : Landry, vous êtes basé à Yaoundé et vous avez choisi comme co-fondatrice de Yaphoto Christine Eyene qui est basée à Londres, pourquoi avoir fait ce choix de personnalité ?

L : Ceci relève à la fois du hasard (j’ai fait sa connaissance de manière fortuite dans un bus lors du SUD 2010 à Douala) mais aussi, de la chance que nous avons de partager un certain nombre d’idées d’ordre sociale et esthétique…mais d’avantage, de la volonté manifeste qui caractérise ces deux personnalités que nous formons, quant à développer des choses au Cameroun. Christine et moi sommes en conversation depuis 6 ans sur ce projet. Lorsque je l’ai rencontrée, présentée par Yves Chatap, elle semblait s’intéresser à la scène au pays, contrairement à certains à qui cette scène ne dit rien ou n’est qu’un faire-valoir. Je lui ai alors présenté ce projet qui n’était qu’à sa phase embryonnaire. Elle a tout de suite accroché. Et nous avons commencé ce dialogue qui a pris du temps à éclore, mais qui finalement, prouve qu’il fallait laisser mûrir les choses et qu’il était important qu’un tel projet se fasse ici.

CN : Landry et Christine, vous êtes à l’initiative de la plateforme photographique Yaphoto. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la naissance de ce projet, les objectifs et le concept de cette plateforme ?

L et C : Yaphoto naît du constat d’absence de lieux de diffusion et de promotion autour de la photographie au Cameroun et par conséquent du faible taux d’adhésion ou d’engouement chez les jeunes photographes camerounais à produire des œuvres en dehors du « champ commercial » qu’impose la pratique dans un tel contexte ( le lot quotidien de la quasi majorité de ces jeunes) et donc de la volonté de susciter un intérêt autour de la pratique photographique dite d’auteur et d’offrir, à terme, une plateforme qui leur permette de s’exprimer en diffusant leurs travaux. Mais, il s’agit également d’intéresser la scène internationale et de créer un pont entre ce qui se fait localement et ce qui se fait ailleurs.

CN : Le site internet Yaphoto.co existe depuis septembre 2016, pourquoi avoir créé cette nouvelle plateforme en ligne ? En quoi est-elle importante au Cameroun ? Pourquoi la naissance de ce projet au Cameroun a du sens ?

L et C : Ce projet ambitionne de relever le niveau d’intérêt accordé à la photographie au Cameroun. (qui considéré de manière globale est assez indigent). S’il faut rester honnête, la création en elle-même est peu dynamique, les lieux d’expositions et les financements n’existent pas, le discours critique n’en est que très affaibli, sinon défaillant…ce qui n’est pas sans avoir de conséquences à l’international. Au niveau continental par exemple, peu de candidatures ont été reçues à Bamako, pour ne citer que cette manifestation. Pourtant, côté diaspora, les noms de camerounais ne tarissent pas (d’éloges). De Samuel Fosso à Angèle Etoundi Essamba en passant par Samuel NjaKwa, il y a de la matière. Nous souhaitions tout d’abord créer une synergie entre les photographes et donner l’occasion à cette pratique timide d’exister autrement, mais, surtout, d’exister avec ses qualités et ses faiblesses. Car chaque contexte, en fin de compte, a ses particularités. La création d’une plateforme en ligne résout pour nous la double question des lieux de diffusion et des contenus esthétiques : elle présente autant qu’elle représente une scène et ses acteurs. Simultanément.

Steve Mvondo, série Crown of Beauty, 2016. Courtoisie YaPhoto et Steve Mvondo
Steve Mvondo, série Crown of Beauty, 2016. Courtoisie YaPhoto et Steve Mvondo

CN : Vous avez constitué un comité avec des personnalités internationales, quel est le rôle du comité ?

L et C : Le comité est composé de collègues avec qui nous entretenons un dialogue professionnel depuis de nombreuses années , avec lesquels nous avons déjà collaboré ou pas, mais surtout qui jouent un rôle déterminant dans la recherche, le soutien et la diffusion de la création contemporaine africaine. Nous le tenons informé du développement de YaPhoto. Dans cette première phase, notre rapport est basé sur l’échange et le conseil. À mesure que YaPhoto se consolidera, le rôle du comité lui aussi évoluera.

CN : Combien de photographes rassemble YAPHOTO ? Comment les choisissez-vous ? Quel rôle a le comité dans le choix ?

L et C : Le site figure actuellement les portfolios de six photographes camerounais mais nous sommes en discussion avec près d’une dizaine de photographes dont nous suivons l’œuvre. Nous travaillons avec eux au photo-éditing et à la rédaction de textes interprétatifs. Le site YaPhoto est ouvert aux photographes camerounais, aux internationaux résidant sur le territoire tout comme aux membres de la diaspora camerounaise. Le comité de conseil n’intervient pas dans nos choix. C’est l’équipe YaPhoto qui sélectionne les séries sur la base de la qualité et la pertinence des images, tant au plan technique et esthétique que documentaire ou conceptuel. Le site nous sert aussi de plateforme pour identifier des photographes avec qui d’autres collaborations locales et internationales peuvent être développées dans le cadre de YaPhoto et au-delà.

CN : En 2017, qu’en est il selon vous de la photographie contemporaine en Afrique ? Quel état des lieux faites-vous ?

L : D’un point de vue personnel, pour ce qui est de la photographie africaine, je pense que ce qui se passe en Afrique est comparable au chamboulement d’après-crise de 1929 et les transformations (à tous les niveaux) qui se sont produits dans le monde. Je voudrais supposer une « révolution esthétique », même si le terme me semble être érodé. Mais, la pratique actuelle de la photographie en Afrique, qui n’a évidemment pas jouit – et c’est tout à fait logique – du même parcours historique et critique qu’en Europe et dans le reste du monde, semble s’être totalement affranchie d’un certain nombre de préjugés et d’aprioris. Et le plus surprenant est la vitesse à laquelle, les créateurs et autres auteurs africains se sont « acclimatés » à ce nouveau vent. Pour me résumer, je dirais qu’elle est prometteuse et de nombreux projets dont celui du Nigérian Emeka Okereke (Invisible Borders), de l’éthiopienne Aida Muluneh (Addis Foto Fest) ou encore celui de Peter Di Campo et Austin Merill (the everydayafricanproject sur Instagram) pour ne citer qu’eux, témoignent de cette dynamique et de cette effervescence.

CN : Comment le secteur de la photographie se structure t-il sur le continent ? au Cameroun ?

L : Au Cameroun, le secteur de la photographie est assez pauvrement structuré. Point de comparaison, mais s’il fallait regarder un tantinet chez le voisin le plus direct le Nigéria, c’est comme si l’on avait à faire à deux pays situés à des années-lumière l’un de l’autre. Exit l’intérêt pécuniaire lié à la pratique, et les positionnements sociopolitiques des uns et des autres (au sein de tel ou tel syndicat ou groupe), aucune plateforme ne porte haut les intentions de ceux qui s’essayent à une autre démarche que celle qui fait la quasi unanimité chez les collègues. C’est dans ce contexte que nous nous sommes réunis en 2011, Rodrigue Mbock, Em’kalEyongakpa et moi-même, pour créer le Collectif Kamera. Un collectif dédié à la promotion de la pratique d’une photographie plus expérimentale et donc plus artistique, que commerciale. De 2013 à 2015, sous ma direction, nous avons organisé grâce à la rencontre du photographe malgache Nicky Aina (du Collectif Oxygénious) qui s’installait au Cameroun, des formations à destination de jeunes photographes qui désiraient améliorer leurs aptitudes techniques. D’autres activités du même ressort se sont tenues à l’Institut français du Cameroun toujours en collaboration avec le collectif Kamera, sous la direction du photographe français Hervé Dangla (qui bénéficiait de l’appui de l’Institut français de Yaoundé). Ces croisements ont permis d’ouvrir des pistes à plusieurs jeunes photographes qui font leurs preuves sous d’autres cieux aujourd’hui.

CN : Comment YAPHOTO traite la question des archives ?

L et C : La question des archives est en effet d’une importance capitale dans une telle initiative. Surtout dans un tel contexte où l’importance de l’archivage n’est toujours pas considérée à sa juste valeur. Mais le projet n’est qu’en phase de lancement et nous n’avons pas encore de projet dédié à ce pan. Il était important pour nous, dans un premier temps, d’ouvrir une petite fenêtre sur la pratique en elle-même. Pour autant, nous ne nous détournons pas de ce volet. Nous avons des projets dans ce sens que nous dévoilerons certainement dans les mois à venir.

CN : Quelle place a la formation des photographes dans votre concept ?

L : Ce que nous valorisons tout d’abord, c’est la créativité avant la technicité. Pour autant, nous ne négligeons pas cet aspect et nous intéressons à la capacité pour les jeunes photographes avec qui nous sommes en dialogue, de mener des recherches esthétiques en profondeur sur des sujets de leurs choix, tout en leur apportant une certaine « expertise », lorsque besoin est, sur le plan technique. Des ateliers sont prévus dans ce sens. Christine en a donné l’été dernier, lequel a d’ailleurs abouti à l’intention curatoriale de l’édition pilote. En outre, nous nous intéressons aussi à la formation des critiques et des journalistes qui présentent tout aussi un intérêt pour les métiers de l’image.

Blaise Djilo, série À Contre-Courant, 2015. Courtoisie YaPhoto et Blaise Djilo.
Blaise Djilo, série À Contre-Courant, 2015. Courtoisie YaPhoto et Blaise Djilo.

Blaise Djilo, série À Contre-Courant, 2015. Courtoisie YaPhoto et Blaise Djilo.
Blaise Djilo, série À Contre-Courant, 2015. Courtoisie YaPhoto et Blaise Djilo.

CN : Landry, vous êtes artiste, curator et critique. Comment arrivez-vous à jongler avec toutes ces fonctions ?

L : L’homme – philosophiquement parlant – est par essence, multitâche. Les conventions sociales tendent trop souvent, à le réduire à une contenance mono systémique. J’ai la chance et la grâce de pouvoir créer des œuvres (besoin que j’éprouve depuis ma tendre enfance). Je suis devenu critique et commissaire par engagement. Un « pacte social ». Donc une nécessité ! Je pense en effet que j’aurai été moins enclin à arborer cette double casquette si j’étais né ou si j’évoluais ailleurs que sur ce territoire. Quand on vit dans ce genre de contexte, et qu’on est constamment aux prises avec des esprits peu ouverts ou peu favorables à la création, il se passe automatiquement, quelque chose. On se sent obligé – si on est conscient de l’enjeu et qu’on en a les capacités – d’éduquer, d’informer, de jouer les médiateurs, en sus d’être un artiste soi-même. J’ai ainsi commencé à m’intéresser à ces autres volets du système de la création lorsque je me suis rendu compte que les jeunes qui arrivaient après nous manquaient de « direction » et lorsque j’ai pris conscience des difficultés inhérentes à la médiation dans le champ de la création contemporaine (en arts visuels). Les mentalités, au demeurant étant assez réfractaires, j’ai pris la résolution de jouer ma partition pour amener ma pierre à l’édifice. Le chantier est bien vaste mais, je tiens debout.

CN : Comment envisagez-vous le futur de la photographie contemporaine en Afrique ?

L et C : Des choses se dessinent à l’horizon. Portées par une énergie engageante. Les Rencontres de Bamako ont permis de réaliser à quel point ce médium pouvait être extensible à souhait. Le temps aidant et l’ère technologique hyper robotisée et active s’y mêlant, un nouveau discours a émergé, remettant alors en cause des pratiques répétitives et redéfinissant (sondant) le propos même de la photographie, comme pratique artistique à part entière ou simplement comme geste créatif. De Johannesburg à Lagos, en passant par Marrakech ou Lubumbashi, la photographie s’inscrit désormais comme une activité forte de valeurs et son champ pictural a largement dépassé les territoires que lui assignait la technologie et les hommes, il y a encore quelques années. La photographie africaine – et de manière générale, la photographie – est un médium qui se redéfinit continuellement. Créant à la longue, des techniques et des styles aussi multiples qu’antithétiques.

Max Mbakop, série Rollers, 2016. Courtoisie YaPhoto et Max Mbakop
Max Mbakop, série Rollers, 2016. Courtoisie YaPhoto et Max Mbakop

Yvon Ngassam, série Quiet, 2015. Courtoisie YaPhoto et Yvon Ngassam
Yvon Ngassam, série Quiet, 2015. Courtoisie YaPhoto et Yvon Ngassam