Rêveries africaines

Le ruissellement craintif de l´eau ainsi que des voix féminines désordonnées m´arrachent brusquement du tendre rêve où je me sentais étonnamment bien: un couple errant dans des sillons de brume, un ciel pourpre, une pluie timide et tiède. Elle, elle s’amusait à faire tourner son parapluie. Regards coquins, elle le fuyait à chaque fois où lui, timidement essayait de lui tenir la main…puis les deux s’enfoncèrent dans la chambre “noire” de ma mémoire. Je me lève… encore des femmes qui remplissent leurs bidons jaunes autour du seul robinet de la parcelle, ce spectacle me vide de mon énergie comme chaque matin .

Je jette un premier coup d’œil dehors, un tas de gris, la tôle, mon quartier. Les regards figés et l’allure des passants: hommes, femmes et enfants laissent présager qu’il doit faire 7heures 10mn. De grosses gouttes s’abattaient violemment sur la parcelle, à présent c’est une énorme
flaque de boue où se noient les furtives intentions de ma journée. Déjà tout le monde se réfugie sous son parapluie de fortune. Je cherche mon filet de pêche, je traverse la ville: des travailleurs au chevet du buste de Gaulle, un monument qui veille sur la place principale, attendent le camion qui va les ramasser pour une nouvelle journée de misère. Un coiffeur commence sa
première tête de la journée, épreuve délicate après une nuit bien arrosée. Un jardin public avec un banc public qui n’a jamais connu de public. Les balayeurs font semblant de nettoyer les rues, au loin j’entends les premiers klaxons, des embouteillages se forment, évidement… le fleuve n’est plus très loin.

De nouvelles ordures sont venues ajouter un brin de fantaisie au décor déjà en place, les bords du fleuve Congo désormais une toile expressionniste inachevée, un patchwork témoin des différentes folies qu a connu le pays. Il y a encore des coins ou l’artiste, par désinvolture n’a encore pas mis son coup de pinceau final ou fatal, je m’engouffre dans l’un d entre eux et plonge… Sous l’eau, je murmure: Bonjour Kinshasa (la ville d’en face)…

Ceci pourrait être le début d’une fiction ou d’un roman-photo que m’a inspiré mon passage à Brazzaville. Une ville qui sent encore la poudre, un profond sentiment à la fois d’éveil, de renouveau et stupeur chronique y règne, mais décidément une ville très photographique. Une douzaines de photographes réunis lors du premier atelier des collectifs de photographie d’Afrique ont eu l’occasion de capter l’âme de cette ville qui, tout comme une image latente dans le révélateur, se dessine doucement. Ayant eu carte blanche, ils on pu choisir les thèmes de leurs choix, 6 jours de shoot au final une claque:
les travaux étaient juste excellents. Fatoumata Diabaté (Mali) a encore une fois montré sa maitrise incontournable du noir et blanc mais également son talent à traiter un thème tout en simplicité. Sa série nous ouvre une réflexion sur le rapport des congolais à un objet simple, décoratif, ou usuel qui est le parapluie. Gaston Bodard (Congo) quand a lui a travaillé sur le thème des “regards” cristallisant quelques clichés vagues et profonds à la fois. Princesse Gbogbonou (Benin) a placé la barre haute en travaillant sur le thème de “la marche” un thème que je voyais personnellement plus en vidéo mais qui a finalement “marché”, Patou du collectif génération Elili a photographié “Les balayeurs de rues”, “La pénurie d’eau” était le thème de Anselme du collectif géneration Elili, Justin Makangara (RDC) a travaillé sur la décharge du fleuve Congo en y dessellant une esthétique propre, Jumoke Sanwo (Nigéria) signe un très beau travail intitulé “Le pêcheur du fleuve” (en l’occurrence JE dans le roman)…”Les monuments de Brazzaville” par Daouda Ndoungani du collectif Elili: ouvre une vraie interrogation sur la signification des monuments de la ville et leurs rôle urbain, “Les malewa” (restaurants de fortune) par Rodrigue Molenguela
(Centrafrique) nous plonge dans ces endroit de rencontres en plein quartiers populaires de Brazza, Aimay Menoba ( Cameroun) a lui préféré traiter un thème plus conceptuel “l’abstrait”. Mais le coup de cœur fût le travail de Romaric Bakoua du collectif génération Elili sous le titre, un peu simpliste certes “le rêve africain”. Ce dernier livre une série où l’on oserait presque penser que le photographe cesse volontairement de maitriser son
appareil et nous entraine sans préavis dans ce que lui considère comme le rêve. Un travail proche de la peinture dans son style, visuellement conséquent, mais un peu naïf dans le propos, d’où la question le rêve n’est il pas soluble dans les réalités africaines ?

© Aimé Manoba
© Aimé Manoba

© Anselme
© Anselme

© Bodart Gaston
© Bodart Gaston

© Daouda Ndoungani
© Daouda Ndoungani

© Fatoumata Diabaté
© Fatoumata Diabaté

© Francis Kodia
© Francis Kodia

© Jumoke Sanwo
© Jumoke Sanwo

© Justin Makangara
© Justin Makangara

© Patou
© Patou

© Princesse Gbogbonou
© Princesse Gbogbonou

© Rodrigue Molenguela
© Rodrigue Molenguela

© Romaric Bakoua
© Romaric Bakoua

© Romaric Bakoua
© Romaric Bakoua