Allers / Retours

Le projet Allers/Retours est une exposition participative et itinérante évoquant le thème de la migration. Construite autour de la notion de dialogue, elle se compose d’images réalisées par le photographe William Gaye sur une communauté camerounaise vivant à Berlin, de témoignages collectés en réponse à ces images au Cameroun l’été 2009 et de réactions à cet ensemble issues de la dernière édition menée à Cergy en novembre 2010. Le projet opère sous la forme d’un objet migrant qui se construit par la réappropriation collective de son fond et de sa forme le temps de l’exposition. Chaque nouvelle présentation constitue l’espace de réception des précédentes éditions et de leur brassage avant de repartir vers un nouveau lieu.

Allers/Retours est un projet qui pousse à la rencontre de l’autre, activé par la mise en place de dispositifs collaboratifs. Contrairement à une exposition de documents figés dans l’espace et le temps sous forme de présentation définitive, les photographies et les collaborations montrées au cours des expositions constituent un nouveau matériau artistique qui sert de base de départ au mécanisme de production de sens. Elles deviennent source de discussions et trouvent au sein de ce processus une position intermédiaire de l’ordre de l’interface plutôt que du produit final.

Les deux artistes associés, Emilie Beinchet et William Gaye sont présents quotidiennement au sein d’un atelier organisé le temps de l’événement pour accueillir les visiteurs, échanger avec eux sur le contenu de l’exposition et les accompagner s’ils le désirent dans la mise en forme de leur(s) collaboration(s). Dans cet atelier, le visiteur peut ainsi devenir « spect-acteur » d’une création collective, en participant à des discussions autour des documents présentés ou en proposant toutes autres interventions communicantes, qui intègreront par la suite le contenu de l’exposition. Un espace vierge est dédié à cet effet à chaque nouvelle édition.

Genèse du projet

En Occident, les images diffusées des zones les moins développées du monde, donnent une vision trop souvent misérabiliste ou stéréotypée des réalités locales. A l’inverse, l’image donnée de l’Occident semble bien souvent idéale et par cela même attirante. Construit autour cette dualité, le projet Allers/Retours est né d’un questionnement sur cet « Eldorado » et plus particulièrement sur comment le Sud et le Nord, ensemble, participent à la construction de ces mythologies.

Au cœur des transformations de nos sociétés modernes, les phénomènes migratoires entraînent dans leur sillage une globalisation des échanges. La question des migrations internationales est complexe, et fait souvent l’objet d’idées fausses ou de représentations inexactes de la réalité. Les médias, mais aussi les migrants eux-mêmes, alimentent la construction de ce prisme et la parole collective doit participer à sa déconstruction.

Initié par la volonté d’illustrer sous forme photographique ces mécanismes, différentes images ont été réalisées sur le mode de la participation et de l’échange avec une communauté camerounaise vivant à Berlin.

Quel contact conservez-vous avec votre foyer natal ? Quelles images voudriez-vous envoyer de vous « au pays » ? Comment et dans quel endroit souhaiteriez-vous vous présenter ?

Au fil des rencontres, des images du quotidien ont également été captées. En réaction aux clichés misérabilistes, elles dévoilent les itinéraires d’individus qui se construisent loin de leur foyer et qui y restent fortement attachés pour de multiples raisons. Elles illustrent et respectent le parcours d’histoires en construction, parfois parsemées d’embûches, mais aussi de moments de joies. Nées de l’échange entre les sujets et le photographe, elles témoignent d’un acte de co-construction sur la question de la représentation et des enjeux que porte l’image que l’on donne de nous.

Nous avons voulu travailler sur la façon dont les migrants faisaient écho de leur situation au pays natal. Comment décrire une situation parfois difficile quand l’Europe représente encore pour beaucoup d’africains un réel Eldorado ?

Le projet photographique prend racine dans cette ambigüité et tente de l’interroger par l’image. Ancrer dans une réflexion documentaire, Allers/Retours s’est construit autour de la question de la création de sens, de la capture à la restitution des images. Comment un travail photographique traitant des parcours de vie d’une communauté africaine peut-il faire sens dans sa présentation en Occident ? Comment ce sens pourrait-il également exister dans le pays d’origine des personnes rencontrées ? Le rapport à la mise en forme et au support de présentation est ainsi directement et perpétuellement questionné. Les phénomènes d’émigration et d’immigration sont constamment revisités et inversés, créant alors un objet migrant à part entière.

Notre objectif central est d’ouvrir une réflexion autour des notions d’identité, de représentation, de déracinement et des liens extracontinentaux. La forme la plus adaptée pour cette mise en relation des différents antagonistes – le photographe, le photographié et le spectateur – ainsi que la confrontation d’un regard occidental sur une problématique et de sa restitution sur le continent africain réside dans la création d’un échange entre ces différents participants sous forme d’atelier. Il s’agit ici d’associer une dynamique participative et collective au processus de création de l’œuvre. Le dispositif fonctionne sous forme rhizomatique. Il tente d’explorer les questions de la linéarité des discours, la finitude de l’oeuvre (remplacée par l’oeuvrement) et la dissolution de l’auteur et du principe même d’autorité : ce que Deleuze appelle «la splendeur du on». Le processus initial se laisse ainsi dépasser par d’autres «je» dans un processus où cette collectivité à venir fait glisser le virtuel sous l’actuel. L’oeuvrement substitue ainsi à l’oeuvre tout ce qui opère de façon souterraine et qui, pour être actuel, remontera un jour à la surface.

Yaoundé 2009

Lorsque nous avons annoncé aux personnes photographiées en Allemagne l’opportunité qui nous était donnée d’exposer les images réalisées en Europe à Yaoundé, capitale de leur pays natal, la quasi-totalité a refusé de montrer son visage et de pouvoir être reconnue sur les photographies. En leur proposant de flouter alors leur visage, tous ont accepté d’être présentés dans l’anonymat au Centre Culturel Français François Villon, l’exposition ne donnant pas d’indice sur ces raisons. Elle a tenté en revanche d’ouvrir une réflexion autour de cette forme d’autocensure, de ces choix de vie et des motifs qui poussent à ne pas montrer ou tout raconter.

Exemples d’image utilisée pour l’atelier © AllersRetours
Exemples d’image utilisée pour l’atelier © AllersRetours

Exemples d'image utilisée pour l'atelier © AllersRetours
Exemples d’image utilisée pour l’atelier © AllersRetours

Le thème de la migration et du lien qui nous attache à notre pays d’origine est présent en creux dans chaque photographie. Quelle réalité partager pour faire en sorte que le dialogue Nord/Sud soit constructif ? Du village à la ville, d’un pays vers un autre, voisin ou sur un autre continent, comment ces individus se réalisent-ils ? Le voyage vers l’Europe est-il le fruit d’un choix personnel ou collectif ? Pour qui, pourquoi quitte-t-on son pays ? Comment et quand y revient-on ? Quelles sont les responsabilités de chacun, qu’elles soient à l’échelle individuelle, familiale, collective et ce, sur un continent ou l’autre ?

Afin d’illustrer plus concrètement ce projet à tiroirs, l’expérience menée à Yaoundé nous semble intéressante.

Pendant deux mois, de début juin à fin juillet 2009 et sous la forme d’une exposition participative, les murs du CCF ont été ouverts à tous et ont été recouverts au fur et à mesure de multiples réactions. A son ouverture, l’exposition ne comprenait que trois images. Deux d’entre elles se faisaient face, l’une censurée et l’autre non, une dernière, suspendue entre les deux murs, les reliait symboliquement. L’espace ainsi composé proposait une forme de dialogue entre les photographies.

Vues d’exposition au CCF François Villon, Yaoundé, 2009 © AllersRetours
Vues d’exposition au CCF François Villon, Yaoundé, 2009 © AllersRetours

Vues d'exposition au CCF François Villon, Yaoundé, 2009 © AllersRetours
Vues d’exposition au CCF François Villon, Yaoundé, 2009 © AllersRetours

Cette association/confrontation a servi de base à la construction collective qui s’est élaborée tout au long des deux mois d’exposition. Un atelier où les artistes étaient présents quotidiennement s’est installé au cœur de l’exposition, afin de définir un espace d’échange convivial, véritable laboratoire d’idées susceptible de recevoir toute forme d’intervention, par le texte, l’oral, ou tout autre mode d’expression. En son sein, une centaine de clichés floutés, au format semblable à ceux des albums photo, était en libre service et alimentait les échanges. Chacun était libre de discuter ou non de ces images et d’en disposer. Un travail de médiation était systématiquement mis en place, ayant soin de valoriser avant tout la parole et le ressenti de chaque visiteur.

Les différentes propositions nées lors de cette édition ont pris la forme de sketchs parodiques, d’organisation d’un colloque autour de la question « Art, culture et migrations », de multiples textes, de nouvelles photographies, de témoignages sonores, de créations musicales, etc. Les tirages ont également été détournés par certains spect-acteurs dans une dynamique de reconstruction de sens, en écrivant dessus, en construisant des romans photos scénarisés et parfois interactifs, révélant ainsi les pouvoirs de l’image. La valeur fragmentaire de la photographie a été au centre de bon nombre de débats, engageant ainsi une véritable dynamique d’éducation à l’image par son analyse et sa déconstruction collective. Que montrent ou que dissimulent-elles ? Ne sont-elles pas finalement de simples surfaces signifiantes à partir desquelles l’observateur construit son propre récit en fonction de sa propre histoire ?

Paule Pélagie MBALLA, réalisation du triptyque photo à la femme © AllersRetours
Paule Pélagie MBALLA, réalisation du triptyque photo à la femme © AllersRetours

Diptyque ARECC, Robert Alain Lipothy © AllersRetours
Diptyque ARECC, Robert Alain Lipothy © AllersRetours

L’acte collectif a été également fortement marqué par la sortie d’images dans les quartiers populaires de la ville. En effet, certains partenaires ont souhaité emmener des photographies pour les montrer aux habitants de leurs quartiers, au cœur desquels l’attirance vers l’Europe, Mbeng, est très forte et fait partie des histoires familiales de chacun. En démobilisant l’espace d’exposition, l’objet culturel a trouvé pleinement son sens au sein d’un tissu social défavorisé qui pour sa très grande majorité n’était jamais allée au CCF, « trop loin et pas pour nous ». Enfin, la mécanique de l’exposition a pu servir de plateforme pour mettre en réseau différentes personnes, faire valoir leurs structures, sensibiliser les autres à leurs combats, monter par la suite des projets en commun, et tout simplement donner à leur point de vue un espace dans lequel il fait sens. Le travail collectif a été verni à la fin de l’exposition en présence des participants qui ont pu commenter leurs contributions.
Ainsi, la dynamique participative et collective a pu opérer en tant que processus à part entière dans la création de l’œuvre comme construction sociale. Avec comme axe principal l’échange et le dialogue, qui, quelque soit leur forme, constitue le cœur du projet et permet sa réalisation, le projet Allers/Retours se situe au croisement de l’artistique, du social et de la solidarité.

Cergy 2010

En novembre 2010 nous avons pu réactiver l’exposition par la présentation des images berlinoises et des collaborations camerounaises à Cergy Pontoise, dans le cadre de la Semaine de la Solidarité Internationale. Soutenus par l’agglomération, nous avons installé notre dispositif dans un quartier dynamique et particulièrement cosmopolite de Cergy. En effet le quartier de Saint-Christophe regroupe aujourd’hui plus de cinquante nationalités, une opportunité exceptionnelle pour nous d’éclater l’origine des participants au projet et de croiser les regards.

Pendant un mois, nous avons ouvert un atelier où nous avons pu à nouveau recevoir et échanger avec des personnes originaires de nombreux pays: le Sénégal, le Mali, le Bénin, la Côte d’Ivoire, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie… Nous avons également pu discuter avec les générations françaises issues de parents ou grand-parents étrangers, qui nous a permis d’amorcer encore de nouvelles approches en évoquant la question des racines, de la double culture, de la relation au pays d’origine des parents. Nous avons également pu collecter la parole des femmes – plus libre – une dimension qui manquait jusqu’à présent à notre projet.

Michel PAPEMSI, réalisation de photos pour la mosaïque et composition avec Roland NENOHO © AllersRetours
Michel PAPEMSI, réalisation de photos pour la mosaïque et composition avec Roland NENOHO © AllersRetours

Tout au long de l’exposition, ces nouveaux visiteurs ont pu à leur tour s’approprier le matériau proposé, et, avec leurs propres références, s’investir dans le processus de création collective. L’atelier s’est transformé à nouveau en espace de témoignage, d’argumentation, où la vision de la réalité de chacun a pu trouver un champ à investir. Les questions de l’autocensure et de la nécessité de « réussir » pour les migrants ont été fréquemment abordées. Le fait de se sentir étranger en France et d’être également perçu comme un étranger lors des séjours au pays d’origine a été débattu à de nombreuses reprises. De nombreux thèmes sont venus compléter le corpus documentaire du projet, exprimés sous diverses formes : textes, dessins, débats avec captation sonore, vidéo, peinture, documentaire fiction… Chacun a pu témoigner, questionner sa propre altérité et la mettre au service de ses concitoyens ici et là-bas, avec un désir fort de se raconter sans être jugé, même si l’autocensure a pu rester active. Depuis cette édition, nous avons également engagé un partenariat avec la laboratoire de recherche en sociologie MIPRIMO de l’université Paris-Descartes.

Et après ?

Portés par l’envie de continuer à faire circuler ces éléments, de les soumettrent à d’autres regards et d’enrichir ce projet de leur vision du monde, l’ensemble de cet échange Berlin > Yaoundé > Cergy, constitue aujourd’hui une nouvelle balise de départ pour un prochain voyage et de nouvelles rencontres. Le projet porte intrinsèquement un lien tissé de l’individu au collectif, dans l’écoute et le temps, au Nord comme au Sud, à la ville comme à la campagne. Nous sommes actuellement en train de travailler autour d’une réédition en banlieue parisienne avant un prochain départ en Afrique. Si le projet vous intéresse, n’hésitez pas à nous contacter !

Comment je suis arrivé ici

par Joseph Marie Ngondi

Là-bas j’en avais assez. Assez d’être là comme un cheveu dans la soupe. Las
de ces nuits blanches passées à me retourner sur mon lit avec le ventre creux. Las de voir autour de moi la souffrance de mes semblables et des
miens. Las d’attendre en vain que les promesses bibliques se réalisent. Las
d’avoir des souris comme co-chambrières. J’ai voulu être ce sauveur sur les
épaules de qui repose le fardeau des humains. Mais encore, fallait-il d’abord que je me sauve moi-même avant que le doute n’incinère mes ambitions. Moi aussi je voulais manger à ma faim. Habiter dans un appartement, loin des regards complices des souris avec qui, pendant tant d’années j’avais tissé des relations très étroites dans ma baraque de fortune.

Je n’avais pas le choix. Relations de bon voisinage oblige. Que pouvais-je
leur cacher dans ce taudis qui tenait lieu de logis. Elles me connaissaient
mieux que quiconque. Ma ration alimentaire, elles la connaissaient puisqu’elles profitaient des miettes et des restes : tapioca sucré et parfois
salé, riz sauté, pâtes alimentaires, bâton de manioc, avocat, beignets,
haricots, pain chargé commando ; même quand je mangeais, barricadé à
l’intérieur de ma chambre pour éviter qu’un frère ne s’invite opportunément à mon maigre festin. Mes vêtements leur appartenaient.

Elles pouvaient en user à leur guise. Elles emportaient quelques uns dans
leur trou pour me rappeler que je faisais un mauvais usage des restes et des
miettes qui leur étaient destinés. Leur colère si souvent m’a valu des
caleçons disparus et des chemises perforées en guise de représailles. Rien à
faire : il fallait très vite saisir le message avant que le pire n’arrive. Dur,
dur, dur… vraiment difficile de vivre ainsi pour un être humain digne de ce
statut.

Image associée au texte Comment je suis arrivé ici © AllersRetours
Image associée au texte Comment je suis arrivé ici © AllersRetours
Un soir, j’ai fait un rêve. J’ai rêvé si fort que mon rêve est devenu réalité.
Mysticisme, magie noire ou sorcellerie, je ne sais pas trop. Toujours est-il
qu’un beau matin, je me suis retrouvé à Mbeng (Europe). Pour dire vrai,
c’est tout le village qui avait cotisé pour que j’arrive ici chez vous, chez
nous. Comprenez-moi donc, voilà pourquoi je suis prêt à tout. Il est lourd le
fardeau que je porte sur mes épaules. Surtout ne pas rentrer avant d’avoir
transformé le village en Petit Paris. Là-bas, on croit dur comme fer que les
blancs sont de vrais sorciers et que si l’on vit près d’eux, on devient sorcier
comme eux et par conséquent capable de faire les mêmes miracles que nos
frères les sorciers blancs. Mais comment leur dire que là-bas je n’ai vu que
des gens qui travaillent durement pour gagner leur vie. « Le blanc est
fort », au village, personne n’en doute.

Si j’ose un seul instant vouloir les convaincre que la vie ici est dure, je ne
serai plus qu’un enfant maudit. Personne ne me croira. Prisonnier d’un
destin et d’une cause que je n’ai pas choisis, je dissipe au fond de moi les
paradoxes de mon existence. Il faut être là, ici, plutôt qu’ailleurs. Ici, il faut
apprendre à vivre sans conscience et apprendre à entretenir le mythe qui
fait de vous un grand homme. Un mythe qui chaque jour obsède une
jeunesse en quête de repères. Que dois-je donc faire : renoncer ?
Abdiquer ? Choix impossible. Il faut être là, exactement ici pour échapper à
ces nombreux regards qui attendent mon retour triomphal.

Pendant ce temps, exilé ici, j’apprends à cultiver le mythe de l’occident et
comment vivre dans l’indifférence loin des miens. Je n’ai de compte à
rendre à personne. Laissez-moi vivre ma vie, c’est tout ce que je vous
demande. Un point c’est tout. Je ne sais vraiment pas si un jour, je
rentrerai au pays. Pénible destin d’une âme errante. Ça ne vous regarde
pas. Un point : c’est tout. Parenté, je m’en moque. Non ! Ce n’est pas ce que
je voulais dire. En tous cas, j’assume. Quoi ? Des comptes à rendre ! Allez
donc vous faire foutre petits salauds ! Qui vous a dit que je suis devenu
milliardaire ici ? Mon passé n’existe plus, il est loin derrière moi. Pas la
peine d’y penser. Mes origines : n’en parlons plus de peur de susciter la
nostalgie. Parlons plutôt du Métro, de la Tour Eiffel, des châteaux en
Espagne et de la Statue de la Liberté. L’être appartient au temps des
philosophes, maintenant, il faut paraître : c’est plus contemporain. Désolé
pour ceux qui pensent que tout ce qui brille n’est pas or. Adieu les cultures
et civilisations du temps passé, les contes des griots et les travaux des
champs. Aujourd’hui il faut appartenir au village planétaire sinon on est
zéro. Il faut le savoir. Le village des hommes sans soucis. Ce n’est pas moi
qui le dit dans tous les cas : c’est l’opinion commune.

Bienvenu donc ici, au coeur du village planétaire et suicidaire. Ce qui
compte pour moi désormais : c’est l’instant. Je veux être ici et le vivre
intensément plutôt que de mourir de honte dans un village perdu dans un
coin de la planète. Ne parlons plus de retour à la source car cette dernière a
tari depuis longtemps. C’est ici que coule la source du bonheur, celle-là ne
tarit point. Là-bas c’est la misère. Fuyons-la comme la peste et devenons
vite gaulois, hongrois, danois ou suédois.

Je veux bien livrer ma part de vérité si je reviens ici. Mais comme un
traître, je serai considéré par ceux qui sont restés là-bas. Jusque là, je vis
dans l’illusion et l’utopie qui me harcèle. Mon silence coupable me condamne. Je suis plein de remords. Je vais lâcher le morceau ; cracher ma part de vérité et me libérer : les exilés font le bonheur et participe au bonheur des autres mais oublient toujours eux-mêmes d’être heureux. Dans leur conscience hantée par le mensonge et la désillusion, ils ont cessé d’exister pour parcourir les rues et se saouler la gueule pour éviter la démence : celle de ne pas être ce qu’ils croient être devenus et de ne plus être ce qu’ils étaient. Trahis par leurs origines, ils ont décidé de se voiler la face, de mettre leur tête comme l’autruche dans le sable. Mais il faut le savoir, le mensonge n’a pas de longues jambes et la vérité finit toujours par triompher.
Et si c’était à recommencer je…
Je vous écris du douzième étage, chambre 110, rue des Survivants Quêteurs
de Bonheur.

Texte « Comment je suis arrivé ici »

rédigé par Joseph Marie Ngondi dans le cadre du projet Aller / Retour

réalisé au Centre Culturel français François Villon de Yaoundé (juin – juillet 2009 Cameroun).
Contact de Joseph Marie Ngondi dit Manu: ngondijoseph@yahoo.com

© Projet Aller / Retour expo.alleretour@gmail.com

Projet participatif Aller / Retour porté par les artistes Emilie Beinchet et William Gaye

Pour contacter l’équipe du projet: expo.alleretour@gmail.com