Hip-hop et société par Baudouin Mouanda

Hip Hop et Société © Baudouin Mouanda
Hip Hop et Société © Baudouin Mouanda
J’ai décidé d’entreprendre ce projet « Hip-hop et société » avec l’idée initiale de témoigner en suivant visuellement l’existence des jeunes leaders africains du mouvement hip-hop dans les pays francophones. Ils interrogent leurs rapports avec la situation sociale, économique ou politique des villes dans lesquelles ils vivent et s’expriment. Brazzaville, capitale de la République du Congo est le premier site de rencontres avec cette jeunesse qui se plaint de son quotidien. Ces jeunes nés à la fin des années 1980, après avoir connu le contrecoup de la crise socio-politique témoignent de la multitude de « possees » * naissant, disparaissant et renaissant quotidiennement dans les rues des cités africaines pour faire entendre leur voix, par la puissance de leur engagement véhiculé par des textes émouvants de force et de beauté. Ils clament des mots comme : démocratie, souffrance, chômage, maladie… La plupart, des étudiants sans emploi qui voient leurs  diplômes dormir dans les tiroirs, ne peuvent se passer de témoigner de leur existence, par le biais du hip hop.

Ce mouvement m’ayant interpellé, cela m’a permis de partager leur chemin, leur courage, dans les lieux isolés qui leur permettent de trouver leur inspiration. Le regard tourné vers leur quotidien leur permet de crier fort les maux de la société, qui sont le cheminement des textes qu’ils proposent au public. En cela j’ai choisi ce regard pour faire entendre leurs inquiétudes, par la puissance de leur texte.


Dans la société congolaise comme dans celle de bien d’autres pays africains, la musique hip hop est souvent considérée comme un style de musique apprécié par la plupart des jeunes. Dans les bidonvilles, on les retrouve en groupe, en famille, inspirés par les actualités.

Pourtant pour ceux qui les rencontrent, ne prêtant pas trop attention à ce qu’ils dévoilent dans leurs textes, ils ignorent que certains d’entre eux sont des étudiants, des diplômés sans emplois transformés en « poètes dans la cité » pour crier la merde officielle révélée par les  discours de chaque fin d’année, la modification de constitution avant la fin d’un mandat (dicté par un proche, un oncle, ou un fils au pouvoir). Ces procédés sont devenus monnaie courante des pays africains toujours prêts à hypnotiser le peuple, alors que les difficultés que connaissent les pays: chômage, maladie, milice privée, pauvreté, coupures d’eau, d’électricité perdurent. La liberté d’expression subit les mêmes bavures…

C’est ainsi qu’est née l’idée de cette démarche « Hip hop et société » en présentant des photographies avec des textes recueillis dans la rue.

© Baudouin Mouanda
© Baudouin Mouanda

Les jeunes peuvent- ils s’inscrire dans la société et devenir l’émissaire d’une nation en choc à travers la poésie et l’image ?

* crew, gang

/// Voir le Portfolio du travail « Hip hop et société » ///

** Quelques extraits des textes écrits par les rappeurs…

*** « Sur ces photos » par Joe l’AS les Tripl’

surcesphotos.mp3

Elle fait des filets de litanies, les nerfs à vif, la nuit elle s’effémine-Elle frémit quand fredonnent les clochent de minuit, quand la nuit la mine-Elle a ses souliers de cendrillon, six cent mille en centimes-Son matériel intime à l’air, timide, elle tire autant qu’elle peut-Et dire qu’elle était venue pour une licence de science éco-Elle fait de la science éco sur les trottoirs, affichant le prix de son corps-Petite maman d’un petit métisse d’elle ne sait plus qui-Chaque fois qu’elle a cherché un job, on lui a dit « je peux voir ton string ? »-Aucun diplôme, aucun papier-Tout ce qu’elle a c’est son corps-Pour assurer sa survie dans ce pays qui l’a mal accueillie-Amsterdam, c’était beau sur les photos-Le bout de tour Eiffel dans le Figaro, je crois qu’ils en ont fait trop-Ça fait rêver les gosses du Mali jusqu’à Djibouti-De la cocaïne qui leur fait croire que Gibraltar n’est qu’une rivière

Refrain:

J’ai vu les photos de Miami, de Malaisie et Mahonie -J’ai vu la même magie, les images, imaginé que j’ai vu mal-J’ai voyagé au sein des pages et plané, vu des plages-A l’âge où le baccalauréat n’a plus de poids, je suis parti à la nage –Baudouin-Tes photos elles étaient belles-Aux bords des Canaris y en a qui crèvent qu’on ramasse à la pelle -Ils ont vu l’avenir en couleur en page de magazine.

© Baudouin Mouanda
© Baudouin Mouanda

*** « j’écris »

jecris.mp3

Quand la vie me donne des ailes,-Ou quand elle se resserre -En moi grandi l’envie de dire, de sceller ce qui me passe à l’esprit -Des mots et des phrases, propositions, des strophes aiguës -De la poésie, poser de mots, apostropher des faits en prose -J’écris chaque fois que j’essaie de me souvenir -Que je sens venir se soulever un passé, une faute mal effacée -J’écris chaque fois que je voudrai oublier, enterrer pour toujours une calomnie -Occasion que j’ai grillée -J’écris pour pouvoir me faire un bouclier -Parer les balles sans l’aide de St. Michel, j’écris au bas de l’échelle-J’écris chaque fois que je sens me quitter la force -La force de dire, contredire, contenir, contester, puis confirmer -J’écris, c’est ma façon de pleurer les morts -Ma façon de chanter ceux qui s’aiment -Ma façon de prononcer ma haine -J’aime écrire et décrire mon infini, la folie de la vie que je défini -J’écris une history.

Refrain:

Les mots pèsent, la vie brûle comme une braise -Quand les gens se taisent c’est pas toujours qu’ils vivent à leur aise -Moi j’ai su me trouver ma dose, mon insuline -J’écris chaque history sur une ligne-J’écris chaque fois que je sens l’envie de pleurer -Chaque fois que je vide mon cœur -Chaque fois que je tente de consoler une sœur -J’écris pour l’homme qui cède à la folie, qui prend un flingue, s’isole dans un couloir -Et se dit « je hais la vie ! -J’écris pour chaque bavure de policiers-Les petits garçons tombés, l’injustice et les failles de justiciers -Les justes incarcérer, les soldats casernés, les quartiers classés casse-pieds, ,pour ceux qui croient que nos murs se cassent -J’écris chaque fois qu’elle vient hanter mes rêves -Me prend comme une peluche et chuchote un chapelet de chants de noël -J’écris pour pardonner tous mes amis, pardonner mes ennemis-Pour demander pardon à chaque famille -J’écris pour toutes les filles que j’ai trahi, pour celles qui m’ont trahi -Les traînées, celles que dans le trou j’ai traînés -J’écris chaque fois que j’entends un coup de fusil -Chaque fois qu’un petit garçon me dit -Tonton, viens on va faire la guerre.

© Baudouin Mouanda
© Baudouin Mouanda

*** « Refaire un monde »

refaireunmonde.mp3

…non, ces jeunes aux regards vident et haineux, qui selon vous, semblent tuer, juste pour alourdir leur tableau de chasse, ne sont pas des bandits armés, comme on les appelle. Ce sont des jeunes qui ont voulu voir les choses changer, qui ne veulent plus que leur avenir soit un discours merdique écrit sur un bout de papier, lu par un type en costard, qui passe à la télé…ils ont voulu discuter, manifester pacifiquement, souvenez vous, on les a pris pour des saboteurs analphabètes…

Le thermomètre en plein dans le cul du monde indique 50° -Trop forte concentration de folie, faut soigner le monde avant qu’on ne crève -L’enfer s’invite au paradis, fiction et parodie -Père qui vit de dix centimes, incendie, sœur qui vit de son jean -Une mine qui élimine dix mille espoirs en une minute -Une chanson féminine militant pour des néo Raspoutine -Efforts diplomatiques, misère et forçats chromatiques -Une bannière coloniale en mémoire des conneries de Napoléon -Dix briques de déportés, combien de tirailleurs tombés ? -Trop d’empires érigés par le sang d’une Afrique égorgée -Des casques bleus inoffensifs, un Sarkozy nocif, des lois-épouvantails -Et pour finir des poux qui te vident et te graillent -L’école qui nous trahi, là-bas le chômage qui nous sourit -L’Etat qui n’a rien à foutre de ce que l’on vit, le visa presque interdit -Il y a conspiration, complot, combat de confrérie, des combats de forte tuerie -Combat de frères, en fait il y a trop de conflit ici. -Des petites filles assistent et marquées pour la vie, -Une mère s’écrie, mon Dieu prenez pitié que ce ne soit pas mon fils -Mais s’il survit, demain c’est lui qui sera la cible -Changer ce monde, refaire le synopsis de notre monde -Il ne faut plus qu’on se bousille ou qu’on se bute à coup de BM -Boue, tire et boxe à fond, béni bonne rengaine -Faut plus que j’ai peur de dire que je vis dans Bac’s -La télé me fout la trouille quand elle détaille Jérusalem, -Me force à voir les blindés d’Israël en train de niquer Beyrouth – Qui sera Saddam Hussein, la Somalie ou Ben Laden ?-Ce fils de pute qui fera trembler les Bush, les Condolizza Rice -Qui sera le Hezbollah, le MPLA, le GIA -Qui sera la CIA qu’on accusera du meurtre de Lumumba ? -Il faut que le Sénégal me donne une tonne de tirailleurs, sauvons la France encore une fois, -Ça calmera peut-être LePen -Qui sera Mohamed Ali, John Kennedy ou Luther King ? -Ce nouveau Malcolm X qui prendra une balle pour l’égalité ? -Il me faut un nouveau Picasso pour faire une nouvelle face au monde, -Des Picaros, un Castro, un castor, un nouveau Guevara -Il me faut un type qui puisse incarner la justice, préparer l’après Mandela -Un nouveau King au box office -Quand on aura fini de pleurer Rabbin et Arafat, -qui sera celui qui donnera vent d’espoir à la bande de Gaza ?-quand pour l’Afrique la dictature s’appellera fer de lance, -seigneur ramenez les Bokassa, les Mobutu pour qu’on avance.