Premiers pas à Abidjan

banniere_chroniqueivoirienne02.jpgChronique ivoirienne fait ses premiers pas.

La jeunesse représente une part importante de la population abidjanaise. Elle aura donc un rôle primordial à jouer lors des élections présidentielles à venir.

Celles-ci vont dépendre du temps que mettra le processus d’identification des populations. Raison pour laquelle nous avons fait un petit tour dans un de ces centres de recensement électoral de la capitale.

Cela nous a permis de voir comment les jeunes abidjanais vivent cette opération et quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent.

La jeunesse qui ira aux urnes est très religieuse. Le mouvement évangélique touche de plus en plus de jeunes qui espèrent trouver des solutions aux problèmes qu’ils  rencontrent au quotidien en allant prier à l’église tous les dimanches. L’emploi représente un de leurs problèmes majeurs. Malgré leurs diplômes, beaucoup de jeunes sont obligés d’effectuer un petit job en tant que commerçant ambulant dans les rues d’Abidjan. Nous vous proposons une rencontre avec Timothée, diplômé en comptabilité et cabinard.

Politique et citoyenneté , Foi et vie quotidienne , Étude et petits boulots  : des thèmes qui traversent la jeunesse ivoirienne et que nous approfondirons lors des prochains « épisodes ».


Bureau d'identification-Riviera3 commune de Cocody © Camille Millerand
Bureau d’identification-Riviera3 commune de Cocody © Camille Millerand

Identification en Côte d’Ivoire : Un parcours de Combattant pour les jeunes

Débuté il y a quelques mois en arrière, l’opération d’indentification a été prolongée jusqu’au 14 décembre selon un communiqué diffusé vendredi dernier sur la 1ère chaîne de télévision ivoirienne. Cette opération semble être la dernière étape avant l’échéance des élections présidentielles. Des élections qui devaient se tenir le 30 novembre dernier et qui ont été une fois de plus reportées.

Les jeunes l’ont compris. Il est primordial pour eux de se faire identifier. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils prennent d’assaut les bureaux d’identification. «Nous savons que cette opération est nécessaire car au-delà de nous permettre d’avoir une carte nationale d’identité, nous aurons nos cartes d’électeurs utiles pour voter», affirme Evelyne Houan, la vingtaine et étudiante en comptabilité. Pourtant, se faire faire enrôler est devenu un véritable calvaire pour eux.

Le retard dans le démarrage l’opération

Samedi 29 novembre. Alors que le jour se lève à peine sur le quartier chic de la Riviera, l’école privé Victor Schœlcher est bondée de jeunes. Hommes comme femmes, ils se sont levés de bonne heure afin de se faire enrôler ce jour. Cet établissement scolaire comme plusieurs autres d’ailleurs, a été réquisitionné pour servir de centre d’identification.

Devant l’entrée de l’école plusieurs personnes le regard perdu, la tête entre les mains attendent l’ouverture du centre. Il est un peu plus de 8 heures 10. Deux agents commis à la tache de l’opération s’activent à mettre en place le matériel.

Une heure plus tard l’atmosphère commence à se chauffer. «Je suis là depuis 4 heures du matin et ils n’ont toujours pas commencé», se plaint Denis Kichi.

Pacôme D, le chef de centre révèle que certains de ses éléments manquent encore à l’appel. «Ils ne vont pas tarder», lance t-il aux candidats à l’enrôlement pour les calmer. Mais ces derniers ne veulent rien entendre. «Je dois assister à un mariage à 11 heures et il faut que je sois enrôlée assez tôt», affirme Evelyne Houan. «Moi je travaille comme coursier dans une entreprise. J’ai pris une permission de quelques heures espérant que les choses iraient vite», déclare pour sa part Jule Agénor K.

Hélas, chaque jour, ces jeunes abandonnent momentanément leurs activités pour se rendre dans les centres de recensement sans pouvoir être enrôlés.

Et même quand quelques minutes après le centre accueille les premiers candidats le calvaire continu.

Bureau d'identification-Riviera3 commune de Cocody © Camille Millerand
Bureau d’identification-Riviera3 commune de Cocody © Camille Millerand

Cérémonie d'adoration l'église évangélique des assemblées de dieux de Cocody © Camille Millerand
Cérémonie d’adoration l’église évangélique des assemblées de dieux de Cocody © Camille Millerand

La lenteur de l’opération

25 minutes. C’est le temps que dure en moyenne le recensement d’un individu. «Il faut d’abord qu’on vérifie qu’il a les pièces d’identité demandées. Ensuite on prend sa taille. A la suite de cela, il doit remplir le formulaire de l’agent de la Commission électorale indépendante (Cei). Quand c’est fini, il se rend chez l’agent de l’Institut national de statistiques (Ins). A ce niveau on va vérifier qu’il était inscrit ou non sur les anciennes listes électorales. Enfin, quand cette phase est terminée, c’est autour de l’agent de Sagem sécurité de recevoir le candidat. A ce niveau on prend ses empreintes digitales et une photo de lui… et c’est tout», explique le chef de centre.

«Nous trouvons que tout cela est trop long», estiment les personnes qui attendent dehors que leur tour arrive.

Selon l’un des responsables du centre de l’opération d’identification, c’est l’étape de Sagem qui prend un peu de temps. «Parce qu’à ce niveau, il faut informatiser les informations données aux autres agents. Et dans cette saisie, il faut faire le moins d’erreurs possibles», explique l’un des agents recenseurs. «C’est d’ailleurs pour cela que nous avons un nombre de personnes limité que nous prenons chaque jour», ajoute t-il sans vouloir révéler le quota de  »son » centre.

Pour les jeunes présents, il faut espérer être pris ce jour. Dans le cas contraire, il faudra revenir un peu plus tôt une autre fois.

Malgré le prolongement de la date de la fin de l’opération, les jeunes sont de moins de moins convaincus que tout le monde pourra se faire recenser. «A moins que la méthode de travail change et que les choses se fassent plus rapidement», souhaite Madeleine N’goran, 24 ans. Elle est étudiante en communication d’entreprise.

Jeunesse et religion

Tout comme la politique et le sport qui passionnent la jeunesse ivoirienne, la religion occupe une place de choix dans leur vie au quotidien.

Avec un peu plus de 26 % (contre 40% pour les musulmans), la religion chrétienne est partagée entre différentes communautés suivant divers courants. «Il y a d’un côté les catholiques, les protestants et le courant évangélique et pentecôtiste», explique un spécialiste.

Dimanche 30 novembre. Cocody. L’Eglise Evangélique des Assemblées de Dieu organise une cérémonie d’adoration où sont invités des milliers de gens. «1500 environ», confirme un membre de la communauté religieuse.

Chants et prières se font entendre. De loin, l’on perçoit «des voix qui élèvent des prières à Dieu».

Pendant plus de deux heures, les fidèles de l’église se recueillent. Certains sont à genoux, d’autres les yeux fermés chantent à gorge déployé. D’autres encore sont silencieux, les mains levés vers le ciel. La majorité de cette foule est jeune mais très engagées dans le mouvement évangélique. Comme cette église, on compte de plus en plus des centaines voire des milliers d’églises évangéliques. Une communauté qui s’est accrue avec la guerre. «Mais s’il y a autant de jeunes, c’est peut être parce que le couple présidentiel ivoirien fréquente le mouvement évangélique», affirme un étudiant pasteur.

C’est certainement le mouvement le plus «en vogue» en ce moment. Plus qu’une tradition, c’est de plus en plus une mode.

Une mode qui étend ses limites bien au-delà des ethnies et des appartenances régionales. Désormais, on retrouve des églises évangéliques dans le nord du pays fortement islamisé et dans un centre que l’on disait être «catholique».

Timothée le «Cabinard»

Assis sur un banc de fortune, Timothée Dossou attend depuis une heure le prochain client qui passera à son « bureau». La trentaine, ce jeune baoulé (ethnie du centre de la Côte d’Ivoire) est un «cabinard». Il gère un box pour appel téléphonique appelé communément «cabine cellulaire» ou «cabine téléphonique». «Il s’agit de faire payer les clients qui émettent un appel à partir de mon téléphone portable. Pour un minute d’appel vous déboursé 100 francs» , explique t-il. En plus de commercialiser les appels, Timothée vend également des cartes prépayées.

Son «bureau», une caisse en bois, il l’a ouvert il y a un peu plus de deux ans alors qu’il venait d’être reçu à l’examen du Brevet de Technicien supérieur (BTS). «Quand j’ai été reçu à mon examen, j’ai un ami qui m’a offert la somme de 150 000 francs CFA comme cadeau pour m’acheter des habits» , se souvient-il. Il veut poursuivre ses études. Mais il manque de moyens.  «J’ai alors acheté un téléphone portable et une carte prépayée de 100 000 francs pour ouvrir ma cabine» , explique t-il. Les choses marchent bien dès le début. Timothée gagne en moyenne 90 000 francs comme bénéfice au bout d’un mois. Et ce en travaillant durement. «Je commence à bosser à partir de 8 heures et ce jusqu’à 22 voire 23 heures» . Presque 15 heures de travail par jour (du lundi au dimanche) pour cette somme. Mais le jeune «cabinard» estime que c’est mieux que les propositions qu’on lui fait dans les entreprises. «Quand on m’appelle pour un emploi de comptable, on me propose entre 30 000 et 45 000. Alors que je gagne plus en étant ici» . Pour Tim, comme l’appelle affectueusement ses amis, pas question d’abandonner sa cabine. Au contraire il nourrit de nombreux projets. «L’argent que j’ai obtenu en gérant ma cabine m’a permis de faire un cycle ingénieur en finance» , précise t-il fièrement. Timothée achève sa formation dans quelques mois. Mais, il vise plus loin quand à son activité extrascolaire. «J’ai mis de l’argent de côté car je veux ouvrir un cyber café» , souhaite t-il.

Mais Tim est de moins en moins sûr de réaliser ses projets. «Aujourd’hui, nous ne faisons plus de grand bénéfices et les clients se raréfient» , se plaint-il.

Malgré qu’il ait acheté d’autres téléphones pour agrandir ses bénéfices, Tim sait que les affaires ne marchent plus vraiment. «Actuellement, poursuit-il, je gagne entre 3 et 4 % sur chaque appel» , explique Timothée. Ce qui est loin de ce qu’il gagnait il y a quelques temps en arrière.  «Souvent, je pouvais atteindre entre 40 et 50% de bénéfice dans le mois. Ce n’est plus le cas. Il faut espérer avoir 20%… c’est dur» , dit-il, l’air visiblement déçu.

Le jeune «cabinard» est pourtant fier de l’activité qu’il fait. «Vous savez avec l’argent de ma cabine, j’arrive à payer mes études et à aider un peu ma famille» , affirme t-il. Tim est membre d’une grande famille. «Je constitue un espoir pour eux» , dit-il. Même s’il sait qu’il devra bientôt changer d’activité s’il veut continuer à entretenir cet espoir.

Pourtant Timothée garde la foi en l’avenir. Espérant qu’un jour les portes d’un emploi qui correspond à sa formation lui seront ouvertes. D’ici là, il attend patiemment que ses clients viennent faire des appels et remplir sa caisse qui pèsent de moins en moins lourd.

VOIR LA SERIE DE CAMILLE MILLERAND SUR LES PREMIERS A ABIDJAN

cabine téléphonique © Camille Millerand
cabine téléphonique © Camille Millerand