Blackitude, haiku de femmes

Photographe français basé à Bruxelles, j’ai en novembre dernier réalisé la décoration d’un bar africain, le Whack, tenu par Zibe, un ivoirien, depuis lors devenu un ami. C’est un bar situé en plein cœur de Bruxelles, Place Sainte Catherine, qui attire une clientèle variée mais avec une large proportion d’Africains. J’y ai placé une dizaine de photographies en très grand format qui n’avaient toutefois rien à voir avec le thème de l’Afrique. Au cours des semaines suivantes, j’ai été contacté par plusieurs personnes d’origine africaine qui avaient apprécié mes photos et souhaitaient que je les prenne en portrait. L’idée a germé de faire une série de photos de « Blacks » en studio.

© Laurent Muschel
© Laurent Muschel

J’ai ainsi réalisé au cours des 9 derniers mois des centaines de photos de femmes africaines, ne sélectionnant pas les personnes sur un critère arbitraire de beauté mais acceptant toutes les demandes, qu’elles soient fines ou rondes, grandes ou petites ou même à deux jours de l’accouchement! Elles vivent toutes à Bruxelles, et sont d’origine diverses, congolaises en majorité mais aussi, rwandaises, ivoiriennes, sénégalaises, guinéennes… Pour la plupart arrivées en Belgique à l’âge de l’enfance, elles se sont bien intégrées même si leurs réseaux sont très souvent « communautaires » comme j’ai pu le constater dans les lieux qu’elles fréquentent ou leurs listes d’amis sur facebook. Agent immobilier, infirmière, psychologue, étudiante en marketing ou communication, elles ont toutes des parcours professionnels différents. Aucune n’exerce la profession de modèle.

Toutes les photos ont été réalisées en studio, sur fond noir. J’ai volontairement choisi une approche minimaliste avec comme seul décor un fauteuil en cuir blanc. L’idée était de les sortir de leur contexte… Il ne s’agit pas de photojournalisme ou de reportage social, il ne s’agit pas non plus de photographie de mode. Il s’agit simplement d’instantanées qui essaient de transmettre quelque chose par delà l’image.

« Tourné vers le vent neuf
le visage nu
de l’homme incandescent »
Nakagawa Isao

La démarche a été un peu comme dans ce Haiku, une sorte de tentative de capter l’incandescence et l’essence de ces visages dans leur nudité et unicité. La série est intitulée « Blackitude« .

Il y a un côté très mystérieux dans l’expérience de photographier des inconnus dans un studio, la personne arrive ne vous connait pas et se livre directement à la caméra. Et là il y a parfois un miracle qui se produit… Un regard, une façon de prendre la lumière, une pose qui explose à l’image. C’est toujours une révélation jubilatoire de voir des personnes, qu’on n’avait pas anticipé, avoir une telle présence.

Quelles leçons retirer de cette expérience?

Sur le plan technique, il faut être précis dans les réglages et le dosage de la lumière pour faire ressortir les contrastes étant donné le fond noir. Et il y a une telle variété de couleur de peau… Il s’agit donc d’ajuster à chaque fois au mieux les éclairages, pour le meilleur rendu possible, mais je suis encore loin d’atteindre une sorte « d’outrenoir » à la Soulages ! La recherche esthétique dans cette approche « black on black » ne fait que commencer…

© Laurent Muschel
© Laurent Muschel

Sur le plan humain, la blackitude est un concept qui n’a guère de sens face à la diversité des personnes rencontrées, avec chacune ses particularités et ses sensibilités. Je n’aime pas les stéréotypes et cette expérience m’a fait rencontrer des personnalités très riches et différentes, certaines très timides et introverties, d’autres beaucoup plus à l’aise pendant les séances de shooting. Lors d’une séance, j’ai demandé à la personne de regarder l’appareil en pensant à quelque chose de triste et elle s’est mise à pleurer sans que je ne puisse l’arrêter. Quel drame de son enfance au Sénégal se cachait-il derrière? Lors d’une autre séance, j’ai du faire face aux fous rires d’une psychologue qui avait emmené deux de ses amies également psychologues. L’une travaille à l’insertion de jeunes sans emploi, l’autre travaille pour une ONG pour aider des demandeurs d’asile et la troisième termine ses études de psychologie. Au final, les photos des trois amies révèlent une très grande douceur et complicité entre elles et j’ai survécu à leur bombardement de questions!

Quelle a été la principale difficulté?

Sans doute la ponctualité pour les rendez-vous. Et l’impossibilité pour certaines de me prévenir de leur retard, faute de crédit sur leurs cartes de téléphone!

Quelles sont les prochaines étapes?

Une exposition en septembre dans une des grandes galeries d’art contemporain de Bruxelles, la galerie Pascal Polar, 108 Chaussée de Charleroi, 1060 Bruxelles. Et, j’espère trouver prochainement un éditeur.

Voir le portfolio Blackitude de Laurent Muschel