Du skateboard à la photographie argentique. Interview de Yassine Sellame.

En 2021 grâce au projet Dabaphoto 6 au 18 à Marrakech, nous rencontrions le travail de Yassine Sellame autour du portrait et découvrions aussi ses projets collectifs, Noorseen  et Moroccan DarkRoom autour de la photographie argentique. A travers cette interview, Yassine Sellame revient sur son parcours, ses dernières séries et ses projets collectifs. 

Peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours et sur comment tu es devenu photographe ?
Je m’appelle Yassine Sellame, J’ai 28 ans, je suis originaire de Marrakech. J’ai grandi comme la plupart des jeunes de Marrakech. J’ai fait des études supérieures dans différentes villes marocaines (Fès, Mohammedia, Marrakech) ce qui m’a permis de voyager davantage et rencontrer plus de gens, grâce au skateboard que je pratique depuis 2008. J’ai découvert la photo argentique en 2014. N’ayant pas assez de moyens pour acheter un appareil digital, j’ai commencé à collecter des appareils depuis les souks et j’ai commencé à documenter la scène du skateboard au Maroc. Avec mes premières photos, j’ai fait une première exposition en 2018 en République tchèque, dans un festival de skateboard. Cette expérience m’a motivé à continuer de prendre des photos et les partager. J’ai commencé à fréquenter beaucoup plus les espaces artistiques à Marrakech, où j’ai rencontré d’autres artistes. Par la suite, j’ai commencé à développer mes propres pellicules, processus qui fait partie intégrante de mon travail. Depuis, j’ai entamé diverses collaborations avec des artistes en résidence. Cela m’a donné l’opportunité de partager différents points de vue concernant la photographie, et m’a également permis de faire connaître mon travail.

Brayan © Yassine Sellame
Beurdies – Casablanca, 2019 © Yassine Sellame
The choice – Casablanca, 2015 © Yassine Sellame
Stranger things – Casablanca, 2019 © Yassine Sellame

Avant de revenir sur tes projets personnels en photographie. J’aimerai revenir sur deux projets collectifs dont tu fais parti.Tu es actif sur la scène marocaine de plusieurs manières, à la fois avec le Collectif Noorseen et aussi avec Blackroom. On voit depuis quelques années une résurgences des collectifs au Maroc. Pourquoi selon toi ? Quel en est le sens ? 
La photographie au Maroc est en plein développement, notamment grâce à internet et les réseaux sociaux. Beaucoup de communautés se sont retrouvées dans plusieurs disciplines artistiques. Aujourd’hui au Maroc il n’y a pas vraiment une industrie photographique, la plupart des passionnés se retrouvent parmi des communautés ou collectifs, afin de partager, d’échanger, et de se donner une visibilité, créant ainsi des opportunités à travers leur pratique artistique.

Peux- tu nous raconter ces deux projets, comment ils sont nés, qui sont les membres et en quoi ils consistent ? 
Noorseen est un collectif de 14 jeunes photographes marocains. Ce projet rassemble des jeunes artistes photographes au Maroc et remet en question l’approche représentative des idées modernes à travers une diversité de styles, démarches et visions mettant en relief la richesse que le groupe évoque.
Noorseen a été créé pendant le confinement, après de longues soirées de discussions entre les membres. Nous avons réussi à nous regrouper au sein d’un collectif constitué de membres des quarres coins du Maroc, chacun ayant un parcours et une toile de fond particulière. Chacun de nous a sa manière singulière de percevoir le monde et la volonté infaillible d’exprimer cette perception. 
Ali Daniel (Casablanca), Mehdi Ait El Mallali (El Hajeb), Ismail Zaidy (Marrakesh) Fatimazohra Serri (Nador), Marouane Beslem (Oujda), Yassine Sellame (Marrakesh), Hind Moumou (Rabat), Rida Tabit (Marrakesh), Anass Ouaziz (Beni Mellal), Houssam Eddine Gorfti (Guercif), Mohammed Amine Houari (Fes), Brahim Hour (Meknes), Jalal Bouhsain (Agadir), Amine Faiz (Beni Mellal).
Moroccan DarkRoom est un projet ayant pour but de démocratiser et relancer la pratique de l’argentique au Maroc, au travers d’ateliers d’initiation à la prise de vue et au développement artisanal. L’argentique n’est pas mort, il faut juste continuer à le faire vivre et à le faire découvrir, c’est pourquoi Moroccan DarkRoom se propose de continuer à faire connaître ce médium au charme et aux qualités séduisantes.

Avez-vous des projets prévus dans les prochains mois avec ces structures ?
Avec Noorseen Collective nous sommes toujours en train de travailler sur des projets et de développer davantage notre pratique, chaque membre est en train de développer ses projets artistiques. Nous travaillons aussi en parallèle sur une série photos que nous partagerons prochainement.
Moroccandarkroom c’est un projet qui se développe jour après jour, grâce aux ateliers et aux projets et résidences durant lesquels nous travaillons. Nous continuons toujours à faire des ateliers en collaboration avec  des institutions ou des espaces artistiques, en parallèle avec des free workshops pour continuer à faire connaître et diffuser la photographie argentique. Nous travaillons sur un projet de documentation que nous dévoilerons à la fin de notre recherche.
Aujourd’hui grâce a moroccan darkroom et Noorseen collective j’ai commencé à transmettre et apprendre de manière plus concrète ma passion pour la photographie.

Concernant Blackroom, peux-tu nous raconter comment vous trouvez tout le matériel, pellicules, appareils, ou vous développez… Enfin tout le processus du début à la fin !
Quand j’ai commencé à prendre des photos argentiques, je cherchais toujours des films dès que je voyais un labo, un ancien épicier. Je leur demandai s’ ils avaient de la pellicule et j’arrivai toujours à trouver de l’expiré. En rencontrant la communauté des photographes j’ai commencé à localiser des endroits où trouver de nouveaux films, mais malheureusement  n’ avait  pas le choix au Maroc.
On trouvait que de la kodak color plus. Je développais souvent pendant mon passage à Casablanca.  il y’avait encore des labos qui développe et scanner la pellicule couleur et noir et blanc. 
Les labos étaient toujours contre le développement pellicule car ça n’est plus commun.
J’ai toujours continué à déposer des films au labo et il fallait attendre 10 jours pour avoir une pellicule.
Durant mes balades dans les souks je trouve toujours des anciens agrandisseurs, appareil photos, pellicules… c’était toujours à l’imprévu, un jour j’étais de passage et j’ai trouvé tout un labo dans le souk. Quelle surprise ! je n’avais bien sûr pas les moyens pour tout acheter mais j’ai pris l’essentiel (Une cuve jobo de deux pellicules, une cuve d’une pellicule, une cuve pour developpement papier couleurs et un Negative noir et blanc developper).
Grâce à Nossair, un ami qui fait de la photo argentique , sur Casablanca il a trouvé un produit machine Konica C41, j’ai commandé le produit et nous avons fait un premier essai en montrant les étapes par appel téléphonique. une fois que j’ai vu le résultat je n’ai jamais arrêté.
Depuis je visite toujours les espaces artistiques et j’ai continué à donner et partager davantage des films et des appareils avec des amis. A la fin de l’année 2017 et au début 2018 j’ai rencontré Ishmail Claxton à travers Laila Hida. Il était en résidence artistique au Queens Collective. J’ai commencé avec lui sur ces projets. Lui et moi on développait de la couleur et du noir et blanc. Après un moment de travail, nous avons organisé un premier workshop au 18 Derb el ferrane.
Au premier workshop j’ai rencontré Paulin qui est venu comme participant et qui suivait ses études à l’ESAV Marrakech. On a commencé à se rencontrer et à travailler ensemble souvent.
Après la fin des études en 2019 on s’est installé sur Casablanca, paulin qui travaille en freelance dans le cinéma et moi je travaillais dans une agence de communication. 
On a créé Moroccan Darkroom un projet pour pouvoir partager l’expérience et le savoir faire afin de faire revivre l’argentique au Maroc. 
Aujourd’hui nous travaillons essentiellement avec un kit poudre Cinestill C41 facile à importer et pas cher. Pour pouvoir fournir les ateliers, on cherche toujours des stocks de films qu’on teste avant pour pouvoir vérifier la qualité des émulsions. 
L’argentique est devenu un luxe à l’international, aujourd’hui il reprend sa place même s’il y a une rareté de films et produits mais on continue toujours à creuser dans l’archive.

Skatepark – Taghazout, 2021 © Yassine Sellame
Nadra – Marrakech, 2021 © Yassine Sellame
Hassan – Rabat, 2020 © Yassine Sellame
Let’s go – Casablanca, 2020 © Yassine Sellame
Local skate spot – Marrakech, 2017 © Yassine Sellame

Il y a plus d’un an nous avons découvert ton travail suite à l’appel à candidature de Dabaphoto sur la question de la photographie argentique et du retour de celle-ci chez la jeune génération de photographe au  Maroc.  Peux-tu nous raconter ta vision de cet événement et ce que tu y a exposé ?
Le premier aperçu de cet événement était une surprise pour moi, un appel à exposition 100% argentique, au 18 derb el ferrane dans ma ville natale et surtout l’ancien médina ou j’ai grandi.  je n’ai pas hésité et j’ai soumis ma candidature, j’ai exposé des portraits de mon ami bryan avec son histoire, une série photo que j’ai shooté avec mon appareil Mamiya RB 67 et un portra 800NC expiré en 2009. que j’ai développé moi-même et scanner moi-même.
J’étais très satisfait par l’installation de l’expo, j’ai exposé avec des artistes que je connais et j’ai aussi découvert d’autres photographes.
J’ai beaucoup aimé le retour des gens, cela  m’a vraiment ému. un grand merci au 18 derb el ferrane et aux organisateurs de daba photo.

Dans tes images, on y découvre  une recherche de l’accident à coup de pellicules périmées et de procédés de surimpression. Comment définirais -tu  ta pratique et ton approche photographique ? Depuis que j’ai commencé à shooter de la pellicule, je faisais principalement avec de la pellicule périmée, car c’était le seul moyen pour moi d’avoir du film au Maroc.
 Mon premier SLR c’était un Canon AE1, grâce auquel  j’ai pu expérimenter la double exposition. C’est une technique qui m’a aidé à représenter et donner une touche spéciale pour mes séries photos.
J’ai toujours choisi de garder la texture du film Expiré, il est rare que j’édite mes photos je préfère toujours garder la texture imparfaite du film expiré, cela représente ma vie au Maroc, les galères, l’amour du partage, la chaleurs des couleurs et aussi les imperfections….

Le portrait semble être au centre de ta pratique. Pourquoi ?
Le portrait me rend toujours amoureux de plus en plus de la photo argentique, avec la pellicule je donne plus d’importance au moment de la rencontre avec la deuxième personne. plutôt que de seulement prendre des photos, je trouve beaucoup plus le temps pour discuter et prendre des photos en parallèle, ce qui m’aide toujours à garder des bonnes relations avec les gens que je prends en photo. Vivre chaque fois une nouvelle expérience avec une nouvelle personne et créer un lien de confiance est précieux, car en film le résultat ne se voit qu’après, contrairement au digital.
Vu aussi que je suis fils unique mon appareil est toujours un moyen pour rencontrer des nouvelles personnes et le portrait a pris sa place dans ma pratique

Tu mène un travail sur le milieu de Skate au Maroc. Quelle est la génèse de ce projet et son développement ? (si tu peux parler aussi du livre)
Le skate au Maroc est en développement, avec la construction de plein de skateparks dans la plupart des villes marocaines. Ma première série photo “Marrakech On Skateboard” qui a été aussi ma première exposition, est un projet durant lequel j’ai appris à documenter à ma manière le skate au Maroc et ce qui se passe du côté artistique. Cette année j’ai édité cette série dans un fanzine en collaboration avec la maison d’édition Alamaison Printing à Paris. Le Fanzine était pour moi la fin d’une première recherche sur le skate au Maroc.
J’ai aussi contribué au Nouveau Magazine I come for couscous, avec une nouvelle série photo que j’ai shooté avant le confinement et après le confinement. c’est un projet de documentation de la vie des skateurs au Maroc, et leurs inspirations à travers le skate. Je veux montrer à travers cette série que le skate n’est pas juste une planche avec quatre roues, mais c’est une pratique à travers laquelle on apprend des valeurs de vie, c’est tout un univers, une manière de se sentir libre aussi.
J’insiste aussi sur le manque d’industrie ici au Maroc, où il y a des talents qui sont toujours un peu laissés à l’abandon, livrés à eux mêmes.

Si tu as d’autres projets en parallèle que celui du Skate, peux-tu nous décrire tes projets en cours ?
Aujourd’hui je me consacre à temps plein à la photographie.
Pour le moment je documente un projet de construction d’un skatepark pour l’orphelinat Fier et fort à Tamesslouht avec une Concrete Jungle Fondation. Un projet qui va introduire le skate aux enfants de l’orphelinat et  aux jeunes du village.
 Après la fin du Projet je vais continuer à documenter le skate dans d’autres villes au Maroc et pourquoi pas dans d’autres pays en Afrique.
Je suis aussi sur un projet  de recherche avec Moroccan Darkroom, et en train de préparer une exposition à l’international pour le mois de juillet…

Quels sont tes envies et projets pour le futur ?
Je veux bien continuer a partager l’argentique et que l’industrie reprend sa place au Maroc, et j’aimerai bien avoir un fond pour mes projets de recherche, soit à travers un appel projet ou une résidence artistique. Et pourquoi pas avoir un espace de partage entre les photographes et les skateurs et d’autres différents médiums artistiques.