Street Photography from Congo Brazaville – Interview de Robert Nzaou

Il y a 8 ans, Robert Nzaou nous contactait pour nous présenter son travail photographique et ses projets sur Pointe noire. Nous découvrions alors un photographe super actif qui mène des projets d’exposition dans des lieux insolites et développe des séries où la couleur est omniprésente.

A travers cette interview, il se raconte et nous raconte une autre partie de la pratique photographique congolaise.

Mon cher Robert, peux-tu nous présenter ton parcours et comment et pourquoi tu en es venu à explorer la photographie ?
Je suis arrivé tardivement à la photographie, c’est seulement en 2015 que je m’y suis vraiment mis. Je fais parti de la première génération des artistes dans ma famille, mon père était instituteur, je n’ai pas baigné dans un environnement artistique. Chez nous les devoirs scolaires étaient la seule chose qui primait à la maison et aussi la seule voie de réussite dans la vie, comme dans la plupart des foyers Congolais l’art n’avait pas de place.
Tout commence pour moi en 1996, dans mon adolescence avec la montée du Rap Français. Je découvre la poésie et l’art de raconter les histoires avec les groupes comme IAM, Suprême NTM des artistes comme MC Solaar. J’ai commencé à écrire des proses avec mes copains, devenu rappeur ensuite ingénieur de son et beatmaker. Je suis tombé amoureux de l’art du storytelling, la poésie et le pouvoir de faire rêver et réfléchir.
En 2014 comme par hasard je tombe sur le travail de Henry Cartier Bresson et Robert Doisneau. Jusqu’à ce point je n’associais pas la photographie à de la poésie ou même de l’art, ce fut un coup de foudre pour moi, leurs photos étaient pleine de poésies, d’histoires vraiment des œuvres d’art. A partir de ce moment j’avais compris que toutes les formes d’art étaient pareil, qu’on ne pouvait pas dissocier la peinture à la musique, sculpture, l’écriture… Le rap tout comme la photographie était aussi une forme de poésie, d’expression, le rap c’est la plume et le micro, la photographie c’est l’appareil photo. Donc je suis passé de la musique a la photographie sans problème, la transition était facile pour moi.

Peux-tu nous parler du secteur photographique et son évolution de Pointe noire et plus généralement du Congo Brazzaville ?
La photographie événementielle ou commerciale a toujours été présente au Congo, ce n’est pas rare de voir des photographes ambulants, des studio photo pour photo d’identité ou portrait de famille… la photographie d’art par contre est presque inexistante, je fais partie de la première génération, cela peut s’expliquer par le manque de marché/industrie et d’engouement du côté du public et des autorités publiques autour de l’art. La question qu’on me pose tout le temps c’est de savoir « est ce que je vis de mon art? » Le métier d’artiste photographe n’est pas vu comme noble au même titre que un médecin ou un avocat.

Aujourd’hui, ton approche de l’image passe par un travail sur la couleur, comment travailles-tu et pourquoi ?
Je dois avouer que j’adore les couleurs, j’ai toujours pensé que l’Afrique devait être photographiée en couleur parce qu’elle est pleine de chaleur et de couleur.
Photographier l’Afrique en noir blanc pour moi c’est comme ci on omettait quelque chose de capital.
Dans mon travail j’utilise souvent les couleurs comme élément principal de composition

© Robert Nzaou
© Robert Nzaou

Tu t’intéresse à la société congolaise qui t’entoure, à travers des thèmes universels comme la nourriture avec par exemple « Madia ya bwala » ou encore l’enfance et le rôle des femmes Comment choisis-tu tes sujets et pourquoi ?
Le rôle de la photographie à mon avis c’est de raconter le monde autour de soi. Dans mon travail j’aborde le quotidien des Congolais. Dans ma série madia ya bwala par exemple je mets en valeur les produits qui composent les plats congolais avec pour but de mettre en avant la nourriture du Congo profond, celle de nos grands-parents que l’on consomme de moins en moins aujourd’hui, ces aliments bio pleins de vitamines et bons pour la santé, un hommage aux mets locaux tels que le « mfumbu », le « saka saka », « nte nte », « dongo dongo » et autres.
Par exemple dans ma serie « Leki » qui veut dire petit frère, petite sœur, neveu ou nièce en Francais, je raconte la vie d’une famille nombreuse. Je viens d’une famille de 10 enfants et 6 cousins donc je sais de quoi il s’agit, c’était la camaraderie, on jouait tout le temps, c’était aussi chaotique.

Dans ta dernière série, Louzolo, tu explores l’amour à travers la mise en scène, peux-tu nous parler de cette série et de sa réalisation ?
Cette série de photos s’appelle Louzolo, ce qui signifie « Amour » en Kikongo, une langue congolaise locale. La série explore les langages de l’amour dans la société congolaise, les choses à faire et à ne pas faire, ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas… Combien c’est trop, comment exprimer l’amour en public. Certaines images de cette série montre un renversement des rôles par rapport à ce qui est habituel dans la plupart des foyers congolais, montrant des hommes faisant certaines des choses qui sont généralement considérées comme le domaine de la femme, et démontrant la joie que cela apporte, de voir un homme faire même de petites choses mais que les femmes apprécient beaucoup.
C’est exclusivement des mises en scènes, j’ai travaillé comme d’habitude avec des amis et des membres de ma famille comme modèles. La technique utilisée ici c’est le collage « digital », une image est faite de 2 ou 3 images assemblées ou collées l’une après l’autre.

© Robert Nzaou
© Robert Nzaou
© Robert Nzaou

Tu mène depuis longtemps un travail de monstration dans la rue ou chez les gens, en exposant tes images, peux- tu nous raconter ce projet ? Et quel est le public que tu touche à Pointe noire puis ailleurs ?
Le manque des galeries ici au Congo nous oblige à être créatifs dans nos approches en tant que artistes. L’institut Français ici à Pointe Noire est la seule institution qui accompagne vraiment les artistes dans leurs projets et donc ce n’est pas évident que tout le monde soit programmé.
En 2018 j’avais travaillé avec la directrice de Matombi production Sylvie Bayonne qui avait développé le concept ‘En attendant votre pub j’Expose » avec pour but principal emmener l’art dans la rue, mettre l’art a la portée de tout le monde. Le travail était exposé dans les panneaux publicitaires de toute la ville, c’était un succès énorme la première fois qu’une Expo Photo s’est tenue dans les grandes artères de la ville. Les galléries étant des endroits intimidants, ce concept est idéal pour atteindre un public différent de celui dont on est habitué.
Dans la même lancée en 2020 j’avais créé le concept « j’expose chez moi » avec pour but de ne pas attendre les institutions comme les galléries ou l’Ifc pour montrer son travail une fois prêt pour exposer, je suis a ma 3eme édition et ça marche très bien pour moi, cç me fait énormément plaisir d’accueillir des gens chez moi, je transforme ma salle a manger / salon en gallérie pour la circonstance et les gens qui viennent apprécient, adorent et achètent les œuvres. Je pense que l’expérience de rencontrer l’artiste chez lui est quelque chose que les gens aiment bien.

© Robert Nzaou
© Robert Nzaou
© Robert Nzaou

Depuis quelques années, tu édites toi même un ou plusieurs livres par an présentant tes images avec un thème comme Pointe noire en couleur ou Dans ma rue, peux tu nous décrire ce projet ? Et à qui il s’adresse ?
Je suis à mon troisième livre, le tout dernier s’appelle Puddle Hunting. Ce que ces trois livres ont en commun c’est la photographie de rue.
Pour ceux qui ne savent pas, je suis photographe de rue à la base et ça fait 8/9 ans que je photographie les rues de Brazzaville et Pointe Noire et pendant toutes ces années j’ai emmagasiné près de 1000 images. Lorsque j’ai l’opportunité d’exposer ce travail, je ne montre que quelques images max 20 photos et donc les autres images restent dans le disque dur. J’avais peur que ce travail tombe dans l’oubli, j’ai pensé au livre pour faire vivre ces images parce que dans un livre on peut mettre autant d’images qu’on veut.
L’autre aspect c’est le travail de conservation, déjà la photographie de rue n’est pas considérée comme genre de photographie ici au Congo, je dois être le premier sinon le seul à avoir travaillé aussi longtemps dans les rues du Congo, ce qui revient à dire que il n’y avait aucun document que ce soit photos ou livres qui racontait les rues du Congo avant moi et donc je me suis donné une mission de faire au moins un livre question de combler le vide et Dieu merci j’en suis à 3 livres.
J’ai opté pour l’auto édition tout simplement pour garder le contrôle sur le contenu et le calendrier de sortie.
Au delà du business, je suis très fier qu’on ait enfin des livres photo sur le Congo qu’on peut montrer à nos enfants, petits fils.

Couverture du livre Pointe Noir en Couleur, auto-édition © Robert Nzaou
Couverture du livre Dans ma rue, auto-édition © Robert Nzaou

Quels sont tes futurs projets ?
Ça fait un moment déjà que je contemple le Cinéma, je voudrais bien réaliser des courts métrages en 2023.