Fès et gestes

Pour commencer, j’ai envie de citer Abdelkebir Khatibi* : « chaque pays a plusieurs entrées et sorties plastiques, c’est-à-dire un ensemble de résistances, qu’il oppose au regard, mais aussi des lois d’hospitalité qu’il offre ou lui dissimule. » (*Préface de « Marocains » de Daoud Aoulad-Syad, éditions contrejour/belvisi, 1989)

Les photographies de la série « Fès et gestes » ont pour dénominateur commun d’avoir été réalisées dans la médina de Fès, ville de ma naissance.
Suis-je en raison de cela un photographe plus fassi que marocain ? Je ne pense pas. Il est vrai que cette ville est le lieu de ma résidence, de mon travail, de mes déambulations, de mes dérives et de mes expérimentations photographiques…etc. Mais ce que j’enregistre d’elle sur la pellicule ou sur le capteur peut être fait ailleurs dans d’autres villes et dans d’autres espaces.

Ce qui m’attire le plus, c’est probablement de dresser le portrait sans fard et sans complaisance de cette très vieille dame respectable qu’est la médina. Cet objectif peut sembler tenir de la gageure! Car la cité n’est pas une personne qui pose sereinement devant l’objectif. La ville, enjeu spatial où le paraître est perpétuellement en jeu, se présente sous la forme d’une multitude de faces et de profils. Mon intérêt photographique pour la ville intra-muros ne consiste nullement à mettre en vedette son patrimoine architectural et historique. Elle n’a pas besoin de moi pour cela.

Ce qui m’interpelle avant tout en elle, c’est l’évènementiel qui l’anime, toujours mouvant et jamais le même. C’est la résolution par la photo d’une équation à plusieurs inconnues et dont le résultat est le produit de l’espace vécu, de l’espace imposé, de l’espace oblitéré, de l’espace en devenir et du temps qui fait son œuvre sur les pierres et sur les vivants…

Dans le signifiant du vocable « ville », il y a [vi]. Vie qui peut être exprimée à travers le vécu de chacun. À l’instar de ses concitoyens, le photographe est d’abord un habitant. Il a ses propres habitudes qui ne dérogent point aux trois points d’ancrage qui dictent nos fixations et déterminent nos mouvements dans l’espace urbain : logement, quartier, lieu de travail. Les déambulations du photographe s’inscrivent nécessairement dans un territoire de ritualisation urbaine. Ses images peuvent refléter et garder trace de ces routines.

La ville est à l’image des hommes qui l’ont faite et qui y vivent. Entre le chaos et la rationalité de nos cités, entre le hasard et la né-cécité de nos actes, il faut faire la part des images. Les photographies de cette sélection font partie d’un travail libre et ouvert (en ce sens, qu’il ne s’agit nullement d’un travail qui s’inscrit dans la longue tradition du reportage photographique) qui porte sur la vie quotidienne des gens de la médina avec la mise en avant d’un geste particulier. Ce dernier substantif renvoie dans son acception la plus courante au mouvement – porteur ou non de signification – du corps, de la main, des bras, de la tête…etc. Il désigne également une manière de mouvoir le corps, les membres, les mains dans un but de préhension, de manipulation…etc. Par la saisie sur le vif de ce geste, la photographie gagne en effet de réel.

Ce que je voudrais proposer ici n’a pas la prétention d’établir un inventaire fonctionnel de tous les faits et gestes qui sous-tendent le langage verna(o)culaire spécifique à notre cité: c’est juste une déambulation photographique dans la vieille médina de Fès telle que nous la voyons aujourd’hui en dehors des clichés, des images d’Epinal, de la carte postale et du récitatif touristique. Ma pratique de la photographie peut relever de deux démarches différentes : La première consiste à travailler sur une thématique particulière et fixée à l’avance : c’était le cas par exemple de la série « Moroccan Graffiti » ou « Codes-barres de la pesanteur ». Cela nous rapproche, pour user d’une comparaison, du cultivateur qui prévoit et planifie ce qu’il va semer et quelle parcelle de terre il va travailler…etc. La seconde se fait avec plus de degrés de liberté, s’apparente à une déambulation qui obéit largement au facteur hasard et évoque de ce fait l’activité du « chasseur d’images » ou, si l’on remonte vers des temps plus reculés de l’histoire humaine, à celle de la personne qui se déplaçait et vivait de simple cueillette. Mais comme disait Louis Pasteur : « Le hasard ne sourit qu’aux esprits bien préparés ».

Cependant, il n’est pas exclu que ces deux pratiques s’entremêlent, l’une nourrissant l’autre. Ainsi, il arrive qu’un fil conducteur ou fédérateur (au départ inconscient) se révèle au jour et prenne de la consistance au fur et à mesure qu’un ensemble de photographies réalisé sans intention préalable s’étoffe et gagne en cohérence…

© Thami Benkirane
© Thami Benkirane

© Thami Benkirane
© Thami Benkirane

© Thami Benkirane
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© Thami Benkirane

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