Les identités géo-émotionelles, Interview de Ziad Naitaddi

Photographe, Ziad Naitaddi est né en 1995 à Rabat, au Maroc. A travers une approche cinématographique de la narration, » Il se peut que des gens pensent que mes photos ressemblent à des plans de films mais non, l’influence du cinéma sur mon travail est plutôt du narratif, de l’invisible, de creuser dans l’âme humaine. Le cinéma s’applique invisiblement à ma pratique photographique« , il explore depuis 2013  sous la forme de documentaire et de fiction différents sujets  allant de l’identité, la migration ou encore aux paysages . Dans cette interview, il revient sur son parcours et son esthétique propre.

Peux -tu nous raconter comment tu es devenu photographe ?
À l’âge de 16 ans, je voulais  devenir cinéaste.  Je ne sais pas comment m’est venu cet amour envers le cinéma mais c’était le rêve du moment. J’étais déterminé à devenir cinéaste après mon BAC. A ce moment là, je découvre un film qui s’appelle Le Silence d’Ingmar Bergman. Véritable coup de foudre. J’étais encore au lycée et  inconsciemment je m’étais rendu compte qu’un autre cinéma existait que celui que je connaissais. Que le cinéma pouvait raconter des choses alors qu’on pensait qu’elles n’étaient pas racontables.  En regardant ce film ; il y a eu quelque chose qui s’est imposé en moi:  le fait le cinéma soit un art spirituellement fort, divin… sa capacité de creuser l’intérieur humain. ça a été  le premier déclic et puis j’ai commencé à enchainer les films: Bergman m’a emmené vers Ozu, Tarkovski, Angelopoulos, Les frères Dardenne, Zviaguintsev, jusqu’au jour où je découvre accidentellement un film qui s’appelle UZAK de Nuri Bilge Ceylan. La en fait, je me regarde, je me vois dans ces personnages, je m’identifie pour la première fois dans ma vie, en ne sachant même pas ce que ça veut dire s’identifier à un personnage.  En effet ma relation avec le cinéma c’est cette identification humaine a l’autre et cette réflexion sur l’intérieur humain. C’est surtout grâce à Uzak, qui a reflété mes parts sombres, en mon âme, que je pensais être le seul a les sentir, mais en les découvrant chez Ceylan, ça n’est plus que moi ou Ceylan, mais c’est quelque chose d’universelle. C’est pour ça j’ai eu l’envie de devenir auteur, avant que je devienne photographe, l’envie de devenir auteur-cinéaste. Faire un film à 17 ou 18 ans, c’était impossible, déjà je ne disposais pas des moyens afin de faire des études de cinéma, c’était très dur financièrement pour moi de  payer une école de cinéma au Maroc ou à l’étranger.  De plus,  le cinéma aux yeux de mon environnement familial n’était pas un art qui  allait m’assurer une forme de stabilité sociale et financière, je me suis donc inscrit à l’université à Rabat pour des études économiques . A coté j’essayais de combler cette envie de devenir cinéaste par le fait de découvrir de manière infinie, les grands maîtres du cinéma de tout les temps , leurs pensées. Jusqu’au jour où une amie qui est aujourd’hui professeure de cinéma, m’a dit que si je voulais apprendre le cinéma sans aller à l’école… « achètes-toi un appareil photo, commences à photographier des scènes qui seront dans tes films futurs, ça te permettra d’apprendre le cadre, la lumière, la mise en scène, le repérage…etc. « . En achetant mon premier appareil, je commence à prendre des images de ce que j’imaginais être mon prochain film, et bien évidemment en ce moment-là, j’avais découvert que Nuri Ceylan était photographe. C’est la première fois que nait une connexion émotionnelle et intellectuelle avec la photographie . Après, quand j’ai commencé  à prendre des images que j’appelais des exercices, je n’ai jamais eu cette prétention de faire des photographies de photographe. En montrant a des cinéastes dont j’admirais le travail avec qui j’étais en contact notamment le directeur de la photographie des films de Ceylan, le cinéaste Michel Hazanavicius…ou même des cinéphiles et critiques ; j’avais toujours des retours auxquels je m’attendais pas, on ne me parlait pas de ces images comme exercices de mes futurs films, la valeur de plan…etc. non, c’était des retour émotionnels, intellectualisant la photo. C’était comme  si je réussissais déjà à faire anticiper ces états d’âme et ces histoires par le biais de la photographie. Mes intentions narratives et cinématographiques étaient déjà clairement bel et bien présentes photographiquement, sans que je m’en rends compte moi même.  Ces retours m’encourageaient à continuer . Puis j’ai été sollicité pour deux expositions et une première résidence artistique à l’étranger. A ce moment, j’ai décidé de me consacrer à la photo en attendant le jour où les portes du cinéma s’ouvriront pour moi. Je commençais à devenir conscient qu’il y a déjà des choses chez moi à raconter par le medium de la photo. La photo n’était qu’un intermédiaire pour anticiper l’apprentissage du cinéma en attendant ce miracle de pouvoir étudier ou faire des films un jour.

Comment cette influence du cinéma sur l’ensemble de ta pratique affecte-il ta
narration photographique 

justement, en fait c’est la suite de ce que je viens de dire et je pense beaucoup à Bruno Dumont qui parle souvent du fait qu’il toujours venir de l’extérieur, l’ailleurs. Lui est venu de la philosophie, Bergman et Farhadi du théâtre, Tarkovski de la poésie (de par son père, le poète Arseny Tarkovski), Ceylan de la littérature et la photographie… Grâce à ce magnifique propos de Dumont, j’ai réalisé que tous les grands ne venaient pas du cinéma, ils venaient d’un autre medium, il est important de venir de l’ailleurs car on n’est plus sous-influence et on apporte des choses à ce medium en l’ignorant, en n’y connaissant pas assez de choses, on apporte des choses nouvelles. Je pense que c’est comme cela que ça s’est passe l’enrichissement créatif dans l’art. Je pense que la plus belle période du cinéma c’est ses début. A ce moment, ils s’inspiraient plutôt de la peinture, du théâtre et de la littérature, c’est ce qui a pu contribué à la brillance du cinéma, je parle d’un point de vue mental et intellectuel et pas technique (ça, c’est un autre sujet). Peut-être que si je m’inspirais de la photographie, je serai dans une forme de redondance de la démarche photographique de photographes que j’aurai idolâtré ou admiré. Ca me rappelle la fameuse réplique de Monica Viti dans l’Eclipse quand elle dit que pour que deux personnes s’aiment, il faut qu’ils s’ignorent et se connaître de moins en moins… c’est peut-être une déclaration d’amour non-officielle à la photographie. Je pense  que l’influence du cinéma est ce qui m’a simplement pousser a être photographe. Robert Bresson a été clair quand il a dit que la valeur d’un film se substitue à la valeur d’une photographie, donc quand on voit un film avec ses 24 images par secondes, qui forment à la fin du film, une émotion, un état d’âme, un regard sur l’existence humaine, je pense qu’une photographie doit être pareil, cette déambulation dans plusieurs compositions décoratives, humaines et atmosphériques dans un cadre qui nous fait sortir à la fin avec un état d’âme, une émotion et une vision sur l’existence humaine. Il se peut que des gens pensent que mes photos ressemblent à des plans de films mais non, l’influence du cinéma sur mon travail est plutôt du narratif, de l’invisible, de creuser dans l’âme humaine. Le cinéma s’applique invisiblement à ma pratique photographique.

Untitled Morocco, 2015-2018, Salé (Maroc)
Tirage pigmentaire, 15 x 30 cm – Édition de 7
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
Untitled Morocco, 2015-2018, Salé (Maroc)
Tirage pigmentaire, 40 x 40 cm – Édition de 7
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
Untitled Morocco, 2015-2018, Salé (Maroc)
Tirage pigmentaire, 30 x 45 cm – Édition de 7
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
Untitled Morocco, 2015-2018, Salé (Maroc)
Tirage pigmentaire, 30 x 45 cm – Édition de 7
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127

Ta pratique est assez singulière au Maroc, avec une imagerie très dé-saturée, souvent en
Noir et Blanc, et des images souvent dans le brouillard ou tramées, comment s’est créée
cette palette et cette recherche esthétique ?

Je peux me permettre de dire que les images où ce brouillard apparait, ce noir et blanc assez brumeux, sont venues à la période où j’étais encore dans cette découverte et cette identification émotionnelle et humaine a des grands films de cinéma, notamment de l’Est comme Nikita Mikhalkov, Khalatozov, Tchoukhrai, Bela Tarr, Antonioni. Ce dernier a joué un grand rôle dans ma formation visuelle. Pour revenir à ce brouillard dans mes images, je parlerai également de la littérature, notamment Tchekhov ou Pamuk qui ont formé ma sensibilité de photographe. Je parle souvent d’identification aux autres personnages dans mes œuvres qui sont tournées dans un brouillard, on peut le comprendre comme une réflexion intérieure des humains dont on  raconte l’histoire . Il ne faut jamais oublier que le cinéma c’est le temps, ou  comme le mentionne Tarkovski c’est ‘Sculpter le temps’… Ces personnages auxquels je m’identifiais, je m’identifie également a tout ce qui les entoure, notamment l’atmosphère . Cela m’ a amené  à me demander ce que serait la différence entre ces personnages japonais ou italiens et moi en tant que marocain car à la fin on partage les mêmes complexités existentielles. C’est ce e sens de l’universel qui  m’a poussé à raconter mes propres histoires en plagiant la palette géographique et l’identité visuelle d’autres artistes. Je m’approprie émotionnellement et intérieurement par l’identification à ces personnages. Comme je n’avais pas encore une clé d’expérimentation visuelle sur mon intérieur, j’en ai emprunté à ceux qui m’inspirent.
Ce qui est fascinant, c’est que ces atmosphères  sont totalement le contraire de l’atmosphère qui identifie le Maroc comme pays. Je trouvais  souvent dans les films que les atmosphère pour représenter  le Maroc était assez cliché , assez fausse à mon sens.

La question du paysage est centrale  dans ton travail, pourquoi ? Qui est-il ?
Le paysage est central parce que c’est l’humain qui m’intéresse . Pour moi,  l’existence des contraire dans une œuvre est la chose la plus représentative de la réalité. Je ne signifie pas la réalité sociale mais plutôt une réalité subjective de ce que chacun de nous perçoit avec ses sens. Quand je parle de paysage, de l’extérieur et quand je parle de l’âme humaine, de l’intérieur, un vrai intérieur qu’on ne voit pas, c’est l’extra-intime, que nous n’arriverons jamais à voir à l’œil nu. Vouloir raconter des choses c’est avoir la curiosité de s’introduire dans cet intérieur invisible tout en ayant confiance en ce concept des contraires, dans ce cas, le plus clair et le plus visible, le plus extime, c’est peut -être la forme la plus proche pour représenter et s’embarquer dans le plus profond de l’âme humaine. Souvent, quand je me questionne sur mes inspirations d’espaces/paysages à photographier, mes repérages se font dans mon intérieur et dans mon âme , la suite n’est qu’une traduction visuelle en des formes de paysages qui me donnent cet effet de miroir, ce sentiment d’être dans un processus échographique.

Depuis plusieurs années tu exposes autant au Maroc qu’à l’étranger, peux-tu nous parler
de tes expositions actuelles ?

J’ai exposé autant à l’étranger qu’au Maroc.
J’ai exposé récemment  à la galerie 127 de Montreuil et aux 32e encontros da imagem a Braga . J’ai aussi exposé   au Cube à Rabat, un projet qui s’intitule UM, que j’ai réalisé en collaboration avec artiste brésilienne Alina d’Alva.
Pour l’expo à 127, c’est un projet que j’ai conçu avec Nathalie Locatelli, qui est une curation à partir de plusieurs  de mes projets depuis mon premier projet fait en 2015 jusqu’à mon dernier projet en 2021. Cela montre différents   projets réalisés à l’étranger notamment en France, au Liban et en Jordanie. A partir de ces projets on a essayé de questionner qu’est-ce que c’est l’œuvre d’un artiste, est ce que c’est juste une pièce ou l’ensemble de ce qu’aurait réalisé cet artiste dans sa carrière. Dans cette exposition qui s’intitule « Observations Hivernales » , on découvre des extraits de plusieurs projets avec des démarches différentes et des histoires prises dans plusieurs pays et cultures, pendant plusieurs étapes de mon développement professionnel et intellectuel. Ça commence avec cette spontanéité de débutant, cette magie que malheureusement l’existence nous condamne à  perdre graduellement si on choisit de continuer et cela va  jusqu’à présent avec cette semi maturité que je suis entrain de développer. Enfin, j’ai essayé de présenter tout ça comme étant un seul projet, une seule vision.
Le projet au Cube-Independent art room,  est soutenu par l’ambassade du brésil. Je suis né dans ville de Salé au Maroc. Ma ma collaboratrice, elle est brésilienne. Mais nous avons découvert que dans le bassin amazonien il y a un lac qui s’appelle le lac de Salé. En faisant une recherche on a réalisé que c’était des juifs de Salé qui avait migré au 19e siècle au brésil pour travailler dans le caoutchouc. Ils sont restés la bas, aujourd’hui leur descendants sont des indigènes d’Amazonie. C’est une histoire de connexion entre nos deux pays qui est follement fascinante. On a essayé de la reconstituer de par notre imaginaire et une recherche archivique et historique . On a travaillé sur cette histoire avec un aspect imaginaire, narratif et fantastique .

J’aimerai que tu nous parles de ton projet « Epilogue: Withered Green, Thrived Red » qui
sera bientôt publié dans le livre « Working Men Have No Country » avec la maison
d’édition Essarter. Peux- tu nous raconter la génèse du projet photographique puis
éditorial ?

Je sentais que j’arrivais au summum sur mon questionnement de ce que c’est l’identité humaine: Est ce que notre appartenance est-elle influencée par la géographie elle-même ou par une certaine atmosphère geo-emotionnelle ? Comment se situe notre chez soi géographiquement ? Comment ce chez soi change à travers le temps, à travers un périple émotionnel que nous aurons traverse ? Tout ça pour revenir au sujet de la migration, pas la migration comme on en parle dans la presse ou le reportage, mais ce qui m’intéresse que la migration soit un outil de recherche sur l’âme humaine et sur nos déplacements intérieurs, migrer d’un lieu à un autre c’est comme migrer de l’adolescence a l’âge adulte, de migrer de l’islam vers l’athéisme, de la vie de couple vers le célibat et vice versa c’est subir un changement intérieur. Pour moi l’identité humaine, est ce que c’est une identité qui est constante chez l’humain ou une variable ?… ou une constante mais mutation permanente ? est ce qu’elle change totalement en se déplaçant ? est ce qu’on garde la même qu’on détient par défaut et elle rentre juste dans un processus de mutation en se déplaçant ? Est on obligé de jeter notre identité par défaut et d’épouser une nouvelle identité selon un nouveau lieu ou une nouvelle situation ? C’est ça la question. Pour comprendre ce processus, jai choisi de commencer à de l’histoire d’une personne que je connais, et qui est un ami avec qui je partage le même amour du cinéma. Il a vécu 25 ans en Biélorussie, il vient de la même culture que moi, de Salé, une famille traditionnelle… Il a voyagé à l’âge de 20 ans a Moscou, ensuite à Minsk et puis il est retourné au Maroc après 25 ans. Ce qui m’intéresse ce n’est pas son histoire, ni lui mais comment paradoxalement cette histoire et tous ces détails intéressants, profonds, banales ,ennuyeux et stupides qui constituent ce périple de vie vont m’éclaircir et surexposer ce que c’est l’identité géo-emotionnelle. Comment elle change et elle mute à travers des temps et des lieux et également .. Ce qui m’intéresse, c’est toutes ces contradictions humaines qui sont plus vraies, sincères et réelles. Contrairement à ce qui se raconte aujourd’hui avec des formes puritaines où soit on lutte contre le mal ou on héroïse le bien. A mon sens, c’est obsolète, propagandiste et cela n’ aucune relation avec la réalité humaine l. Je pense que toute forme de bienpensance créative aveugle, abrutit et abêtit notre perception de la réalité humaine. L’héroïsation du mal, la remise en question de l’aspect bienséant du bien étaient des choses importantes à creuser. Enfin tous ces détails qui constituent l’identité de mon personnage, la richesse de ses contradictions, de sa vie, m’ont poussé à utiliser cette narration pour percer dans la vie humaine et cette question d’identité géo émotionnelle dont je parle toujours.
Quand à la genèse du projet éditorial, il y a eu une rencontre Skype en plein pandémie de covid avec l’équipe éditorial d’essarter  (édition) après leur lancement de l’appel à projet. Vu que c’est une maison d’édition spécialisée dans les histories de l’Europe de l’Est et l’Afrique,  le fait que mon personnage soit africain et comment il a vécu tous ces périples entre les deux continents, son expérience URSS, chute de l’URSS, venue de Gorbachev, tous ces changements s’incrustaient parfaitement dans la démarche éditoriale d’essarter.

Epilogue: Withered Green, Thrived Red, 2021 (archives)
Tirage pigmentaire, 30 x 45 cm – Édition de 7
© Ziad Naitaddi Courtesy GALERIE 127
Epilogue: Withered Green, Thrived Red, 2021 (archives)
Tirage pigmentaire, 40 x 40 cm – Édition de 7
© Ziad Naitaddi Courtesy GALERIE 127

Peux- tu nous décrire aussi la série « Paysages Absentées » et une image en particulier ?
Les absents, c’est un projet que j’ai commencé au Liban dans le cadre de mon travail sur l’identité et la migration.  Pour moi au début le Liban c’est un espace assez riche pour comprendre ce que c’est la migration, contrairement par exemple à l’Allemagne. C’est un pays assez petit géographiquement pour accueillir a peu près 1,5 million de réfugiés syriens et des palestiniens qui sont là depuis des décennies et les travailleurs kenyanes, sri lankaise, Ethiopiens, philippins et bangladais, pour moi il y a avait de la matière pour comprendre ce concept et ce processus de la migration. C’est un projet qui a commencé de manière frontalement documentaire . J’allais photographier directement des personnages en retranscrivant leur histoires en intégrale. Je leur demandais pourquoi ils sont venus, pourquoi d’autres veulent partir, pourquoi d’autres ne sont ni arrivés et ne veulent partir nulle part  et pourtant leurs vies a changé depuis l’arrive d’autres migrants. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de rencontrer des migrants mais des gens influencés par ce flux migratoire. Un travail sur l’âme humaine et comment elle serait influencée par ces tous déplacements. C’est un projet très documentaire et formel photographiquement. Dans le cadre, de ce programme il a fallu que je réalise une suite de ce projet au Haut Atlas marocain . Il fallait que je continue sur la même démarche, la migration des jeunes de l’atlas. Ce qui est drôle, c’est qu’en arrivant au Haut-Atlas, j’ai réalisé que tous les jeunes sont partis. Ils ont déjà migré. Il n’ y avait que des vieux et leur petits-enfants qui sont encore bébés. Et même si je suis venu pour documenter la vie de ces jeunes qui ne  sont pas là,   ils étaient-là car  ils appartiennent à ces lieux. Je reviens a ce concept des contraires, pour moi le fait qu’ils soient absents, c’est qu’ils sont déjà présents, ils sont là, ils ont certainement laissé quelque chose derrière. J’ai beaucoup pensé à l’avant dernier film d’Agnès Varda avec JR ‘Visages Villages’, je me suis dit là j’ai les paysages qui connaissent certainement bien ces jeunes. Les paysages sont encore là et son les témoins de ces histoires si loin, si proches à présent. Ce qui m’intéresse principalement, c’est la recherche photographique. Cette idée là m’a ouverte une fameuse piste de recherche sur la notion de l’invisible dans la photographie et comment visibiliser émotionnellement l’invisible photographique.
J’adore l’image où il y a les montagnes et la petite lampe au-dessus . Pour rester dans cette notion des contraires mais en même temps de mettre en juxtaposition la force du naturel et de l’artificiel. La photo en grec c’est la lumière, et cette lampe qui est une lumière technologique est une métaphore pour remettre en question le pouvoir et la force de mon appareil et de la photographie, et les limites de ses capacités et son impact sur l’Histoire et la condition humaine.

Les Absents, 2019, Haut-Atlas (Maroc)
Tirage pigmentaire, 60 x 90 cm – Édition de 3
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
Les Absents, 2019, Haut-Atlas (Maroc)
Tirage pigmentaire, 60 x 90 cm – Édition de 3
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
Les Absents, 2019, Haut-Atlas (Maroc)
Tirage pigmentaire, 60 x 90 cm – Édition de 3
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127

J’aimerai te demander de nous parler d’un autre travail qui a tes yeux te semblent
important, si tu peux nous expliquer ce projet, comment tu
l’a créé ?

J’aimerai parler de EL BEER. Je l’ai réalisé pendant ma résidence a la villa perochon en France sous le mentorat d’Isabel Munoz. C’est un projet assez spécial dans ma pratique, parce que c’était ma première fois ou je vais résider a l’étranger a Niort en France, et c’était ma toute première fois et à ce moment-là j’étais encore dans cette recherche profondément cinéphile je m’intéressais moins à la photographie . Je traversais une période que le philosophe tunisien Fethi Meskini appelle ‘l’adolescence intellectuelle’. Je partageais avec tous les jeunes de ma génération l’envie de quitter ce pays, de vivre ailleurs d’avoir accès a l’art la littérature la cinémathèque mais enfin nous y avons accès aussi ici, par d’autres moyens… à ce moment, l’Europe c’était quelque chose d’assez parfait et paradisiaque pour le naïf que j’étais et le souci c’était qu’il fallait faire un projet photo en France, la question c’était comment dissocier le jeune rêveur d’une vie européenne et le jeune photographe-auteur qui doit raconter une histoire qui lui est intime et personnelle dans un espace qui lui est méconnu. J’ai réfléchi à ce moment-là a ce qui m’identifie a ce continents, a ces sociétés, et la réponse c’était le cinéma européen auquel je me suis beaucoup identifie, et là je retourne à mon propos sur le fait de s’identifier à un japonais, italien, personnage femme, comment je m’identifiais a tout ça, en étant ce que je suis, alors le cinéma était le point en commun entre moi et cet espace, pour mieux appréhender et approcher cet espace, je vais aller fouiller dans mes inspirations cinématographiques et essayer de remettre en scène à partir de mes propres états d’âme des images qui sont inspirées de films européens auxquels je m’identifiais, même en me sentant identifié plus à eux, qu’à quoi j’appartiens familialement et géographiquement au Maroc, en même temps c’était une forme d’hommage à ces films, a cet espace qui nous a donné la chance d’être bercé dans cette œuvre cinématographique paradisiaque , j’ai alors réalisé la première photo qui s’intitule Cécile, qui était totalement inspirée d’un personnage auquel je me suis identifié dans ses dimensions contradictoires et émotionnel qui est Monica Vitti dans l’Avventura, une autre photo du personnage d’Uzak dans sa solitude…etc. C’est comme ça qu’a eu lieu ce projet et j’ai pu couper cette barrière et frontière identitaire entre moi et l’universel.

EL Beer, 2017, Niort (France)
Tirage pigmentaire, 50 x 75 cm – Édition de 5
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
EL Beer, 2017, Niort (France)
Tirage pigmentaire, 50 x 70 cm – Édition de 5
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127
EL Beer, 2017, Niort (France)
Tirage pigmentaire, 50 x 75 cm – Édition de 5
© Ziad Naitaddi, Courtesy GALERIE 127

Quelles seront tes prochaines aventures cette année ?
Je m’envole à Genève pour trois mois, dans le cadre de ma résidence avec pro Helvetia pour travailler sur mon projet qui s’inscrit dans le même démarche, du lieu et du paysage, du chez soi intérieur, du chez soi invisible et mental, j’ai très hâte de me lancer dans cette nouvelle recherche qui est beaucoup plus une recherche sur la photographie elle-même avant que ce soit sur l’âme humaine et avant même que ce soit une recherche sur la notion de la migration.
Ce projet va être le dernier volet de cette recherche sur l’identité géo émotionnelle, et ensuite je passe à autre chose. Je ne sais pas encore quoi, j’attends que les choses s’imposent incompréhensiblement.  Comme un pécheur qui va a la pèche, il sait pas ce qu’il va pêcher, on lance la canne qui est une métaphore de l’observation et la contemplation existentielles permanentes jusqu’à ce que les choses se dirigent vers mon âme.
Ce projet en Suisse sera sur la notion de l’expulsion et du retour et où se situe le chez soi dans cette notion.