« Je suis l’Afrique du Sud »

Il y a ces deux enfants dont l’un tient un revolver. On pense bien sûr à la photographie de William Klein, « Gun ». Les mômes ont toujours joué à la guerre… Mais sur l’image de Carla Kogelman, l’arme a l’air tellement vraie que son ombre en devient inquiétante. Ces petits Sud-Africains, nés bien après la libération de Mandela, ne connaissent pas l’apartheid mais la violence plane encore sur leurs jeunes vies. Et c’est ce qui ressort de la série exposée en ce moment au Festival photoreporter de Saint-Brieuc.

La photographe hollandaise s’est intéressée à la province de l’Eastern Cap et à ses habitants xhosa. « C’est une région rurale, avec des villages très isolés. Je voulais découvrir la vie quotidienne des jeunes Xhosas, notamment ceux qui sont nés après l’apartheid. Ils ont accès gratuitement à l’école publique, qui leur fournit un repas par jour. Mais ils doivent payer le transport, ce qui représente un gros problème pour de nombreuses familles », explique la photographe. Sous le costume scolaire, la misère transpire. Carla Kogelman a su capter les moments de jeux et de joie, comme ceux d’ennui et de solitude. Ces « born-free » y sont tiraillés entre leur énergie et leur fantaisie et la dureté d’une vie que l’on ressent à travers l’aridité du paysage et l’implacable frugalité des constructions en ciment. La série oscille entre reportage pur et mises en situation : les enfants la regardent – et nous regardent – en face. Droit dans les yeux. Ils posent. Se mettent eux-mêmes en scène. Et semblent nous dire : « Je suis l’Afrique du Sud ».

« Ma série reflète mon séjour parmi eux. J’ai été dans de nombreux villages et écoles pour photographier ces jeunes dans leur environnement. Avec ce projet, j’ai voulu développer un langage visuel qui laisse la place à l’imagination et à l’interprétation. Je veux montrer une histoire pleine d’espoir et de créativité », résume la photographe de 54 ans, qui s’est d’abord formée en tant que travailleuse sociale auprès des enfants, avant de travailler dans l’industrie du théâtre pendant 25 ans.

Elle a décidé de se consacrer à la photographie après un passage à la Foto Academie d’Amsterdam en 2011. « Depuis, j’ai concentré mon travail photographique sur ces deux thèmes : les enfants et le backstage (à tous les sens du terme : ce qui est caché, l’arrière-plan, les acteurs avant de monter sur scène… » Sa série de portraits d’acteurs en backstage a d’ailleurs remporté plusieurs prix en Hollande entre 2011 et 2013. « En passant du temps au même endroit, j’arrive à devenir invisible. Je suis fascinée par la vie quotidienne des enfants et leur aptitude à grandir au sein d’environnements totalement différents. En tant que productrice dans le théâtre, j’ai beaucoup voyagé et j’ai vendu les histoires des autres. En tant que photographe documentaire, mon appareil me donne accès à des mondes différents et, aujourd’hui, j’ai la chance de créer mes propres récits. »

« Je suis l’Afrique du Sud » de Carla Kogelman, au Festival photoreporter, festival international en baie de Saint-Brieuc, 4e édition, jusqu’au 1er novembre 2015.
www.festivalphotoreporter.fr

© carla kogelman
© carla kogelman
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