Je suis Walé Respecte Moi / Forever Walé

Avec ce travail, je me suis plongé dans un rituel initiatique et j’ai essayé de produire un travail photographique à la fois documentaire et artistique témoignant au plus près de l’expérience des Pygmées Ekonda de la République démocratique du Congo.

Pour les Ekonda, le moment le plus important de la vie d’une femme est la naissance de son premier enfant. La jeune mère, appelée Walé (« mère primipare allaitante »), retourne chez ses parents pour y rester recluse de deux à cinq ans. En respectant divers tabous, notamment sexuels, elle acquiert un statut similaire à celui d’un patriarche. La fin de son isolement est marquée par des danses et des chants rituels extrêmement codifiés qui sont, à chaque fois, une création unique propre à chaque Walé.

J’ai toujours été fasciné par les tribus indigènes car j’ai l’impression qu’elles sont les dépositaires d’une forme de richesse que nous avons perdue. Le rituel des Walé est un magnifique hommage à la maternité, à la fertilité et à la féminité. C’est pourquoi j’ai proposé à des Walé que je connaissais depuis plus d’un an de participer à des mises en scène capables de témoigner d’une partie de leur histoire personnelle, chaque image étant censée représenter visuellement l’une des pensées intimes qu’elles chanteront le jour de leur libération.

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**L’étang de Walé Bontongu

« Ensansa : Elìba éné ê ndé ngìná y’ôkonda, enu nsí bápóbôbólé lòkóto, nyama bápówêne itábo ».

« Chanson : Moi je suis comme étang au milieu forêt, comme poisson qu’on ne pèle peau, comme animal qu’on ne voit pas bouger comme poisson dans l’eau ».

Le rituel Walé a la particularité de mettre les jeunes femmes en concurrence car il va de l’honneur de la famille qu’une Walé ai plus de prestige et de pouvoir que ses rivales. S’adressant aux autres Walé, Bontongu (19 ans, mariée, 3 ans de réclusion, mère de Falone) chante sa supériorité : elle est mystérieuse comme un étang (généralement un lieu caché en forêt où reposent les esprits) et intouchable comme cet animal ou encore ce poisson.

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Bosala, Walé léopard

« Ensansa : Walé lângóyàlé nkòi ng’áòpósa lûmòlá ngwá la ntábà. Bàsómi bâkìnú lobétámá ndé bìtánda. Walé là ngóyàlé nkòi ndé bìtánda lûmólá ngwá ».

« Chanson : Walé est devenue comme léopard quand il raude vous écartez chiens et chèvres. Assistantes moi couchez vous sur branches. Walé on dirait elle est devenue léopard sur branche vous enlevez chiens ».

En se comparant à un léopard, Walé Bosala (17 ans, mariée, 1 an de réclusion, mère de Pauline) exprime sa singularité et affiche sa supériorité. Elle met aussi en garde les autres Walés : elle a le pouvoir de se défendre contre elles (le rituel Walé a la particularité de mettre les jeunes femmes en concurrence car il va de l’honneur de la famille qu’une Walé ai plus de prestige et de pouvoir que ses rivales).

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Le retour du mari de Walé Longalisa, les mains vides

« Ensansa : Bôme áyùme nkó Ekángá l’émàngo, bôme áyùme nd’ôngálá l’ákàta. Longalisa njéne nk’ôkùlá mí bàkàta, bàkòto. Longalisa nk’ôlèlá mí bilelo. Bialé lôka ? Bàkálé lôka ?».

« Chanson : Mon mari vient joyeusement d’Ekanga. Mon mari se tient à la cour mains vides. Moi Walé Longalisa je frappe mes mains. Moi Walé Longalisa, je commence à pleurer. Vous les Walés écoutez ? Vous les rivales écoutez ? »

Walé Besala (20 ans, mariée, 4 ans de réclusion, mère de Mbokolo Luc) se plaint du comportement de son mari qui est rentré de la ville de Mbandaka les mains vides. Coutumièrement, les biens nécessaires en vue de la sortie d’une walé sont à la charge du mari. Elle met aussi en garde les autres walés contre ce genre de mari qui ne prend pas ses responsabilités.

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Walé Ikita, confiante et sans honte

« Ensansa : Bané báyôkèndé la nsandi. Bané báyôkèndé la ngòló nd’âkàta. Walé émí ániélé mp’ólàngi b’ónéne mí bômèlé mí bàsànga. »

« Chanson : Les unes marchent avec les corbeilles, les autres marchent avec les couvercles dans mains. Moi Walé, je marche seulement avec calebasse que je bois du vin. »

Walé Ikita (19 ans, mariée, 3 ans de réclusion, mère de Marie) chante qu’elle n’aura pas honte (comme quelqu’un qui aurait bu du vin) de danser et de chanter devant le public le jour de sa sortie de réclusion. Confiante en elle, elle n’a justement pas besoin de boire du vin pour se manifester. Se glorifiant ainsi, elle discrédite au passage les autres Walé qui, elle suppose, ont besoin de boire (et donc ont rompu l’interdit).

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Le lit de Walé Besawu

« Ensansa : Lòtsíka mbétàme nd’âbúnja, ntsípétòlo bòmpêmpe. »
« Chanson : Laissez je dors dans feuilles, je n’ai douté vent. »

C’est une critique que Walé Besawu (20 ans, sans mari, 3 ans de réclusion, mère de Ikongo José) fait à son père : celui ci ne s’est pas occupé de réparer sa case de réclusion qui est mal isolée ni de lui fabriquer un lit convenable. Elle passe donc ses nuits à affronter le vent, couchée sur des feuilles en guise de lit.

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Walé Bakuku, généreuse comme la noix de palme

« Ensansa : Walé njômùkòlé mpòfu nd’íbá, njôlíkèlí boloi. »

« Chanson : moi walé j’extrais noix de palme, je distribue à la foule. »

Le rituel Walé a la particularité de mettre les jeunes femmes en concurrence car il va de l’honneur de la famille qu’une Walé ai plus de prestige et de pouvoir que ses rivales. En chantant qu’elle distribute des noix de palmes (symbole de la générosité chez les Ekondas), Walé Bakuku (20 ans, mariée, 4 ans de réclusion, mère de Benjamin) chante ici sa supériorité.

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Walé Bakuku, le plat de fourmis

« Ensansa : Eka mà âmbá la papa Eyenga bàngô ntùkubèla bintòkèlèke boyanga ngéní nd’âbála la baboke la bafumba. »

« Chanson: Chez maman Amba et papa Eyenga ils me préparent nourritures, tromperie là-bas dans mariage et paquets et fourmis. »

Walé Bakuku (20 ans, mariée, 4 ans de réclusion, mère de Benjamin) critique ici ouvertement sa belle-famille. Tandis que ses parents lui servent de la bonne nourriture, sa belle-famille lui sert de la nourriture avec des fourmis. Elle exprime ainsi l’idée que c’est un mauvais mariage car ni son mari ni sa belle-famille ne lui sont beaucoup venu en aide pendant sa réclusion.

© Patrick Willocq
© Patrick Willocq

**Ntembe, Walé épervier

« Ensansa : Njalé nkombé éné yélúá nd’ókili, ntsíbátá íbáko nd’ólògo biàlé. »

« Chanson : Je suis devenue épervier qui ère le monde. Je n’ai pas trouvé assise dans cours, comprenez vous les walés. »

Walé Ntembe (18 ans, sans mari, 2 ans de réclusion, mère de Beane) critique ici les autres walés qui se déplacent dans le village (ce qui est déshonorant) alors qu’elle reste dans son nid à s’occuper de son enfant (le rituel Walé a la particularité de mettre les jeunes femmes en concurrence car il va de l’honneur de la famille qu’une Walé ai plus de prestige et de pouvoir que ses rivales).