La Bella de Luanda

J’ai beaucoup tergiversé avant d’aller en Angola pour une résidence de 5 semaines à laquelle j’étais invitée. Je venais tout juste de rentrer à Dakar, une ville que j’aime profondément, après trois années difficiles à Paris. J’avais l’impression d’avoir réalisé beaucoup de séries qui s’inspirent de la mode de rue au cours des dernières années. De plus, je ne parle pas un seul mot de Portugais et je vous épargne le long tunnel administratif et logistique avant d’être en mesure d’obtenir mon visa. Je me rappelle avoir croisé les doigts dans l’espoir que les autorités refusent ma demande. Ce ne fut pas le cas…

Je suis donc montée dans un avion pour Luanda le 2 juillet, le coeur en berne.
Et après les premières semaines quelque peu difficiles où j’ai été arrêtée au marché de Kikolo pour avoir photographié un mur bleu qui faisait parallèlement usage de gendarmerie. Après avoir été baladé de commissariats en commissariats avec huit hommes armés de Kalashnikovs, qui préféraient le confort de ma voiture aux banquettes défoncées des transports en commun, et ho! comble de douleur, un gendarme qui m’a forcé à ouvrir le boîtier de ma caméra argentique, cherchant un fugitif fichier numérique qu’il aurait pu effacer. Sans mentionner le succès mitigé de mes quelques tentatives pour apprendre le Portugais. Dieu merci, il arrive toujours un moment où la fatalité, inhérente à la loi des séries, trouve sa conclusion.

Luanda n’est pas fille facile, mais si l’abord est retors une fois qu’elle s’ouvre à vous, on ne peut être que happée. Au début, par la lumière et la densité des ombres, ensuite par le rythme. Luanda a une pulsation unique, bourrée de traumatismes: crise coloniale, guerre civile, communisme, capitalisme sauvage, crise économique, un peu comme un militaire sous “PTSD” qui se «  shoot à l’ecstasy  ». Cette ville m’a déboussolée et rendue fragile. Le travail réalisé là-bas, je l’ai effectué sur une mince ligne de tension et d’inconfort. J’ai compté les jours jusqu’à mon départ et à l’aéroport le jour J, je pleurais, car je ne voulais plus partir. Cette ville m’a laissé une telle gueule de bois et cette série en est un peu la réflexion.

Luanda vous porte vers les excès et sa séduction acharnée se fait à grands coups de couleurs saturées. On disait au Moyen Âge, que le couvre-chef sert à élever l’âme vers les cieux. Si c’est le cas, les âmes des Angolaises doivent rayonner au firmament. Les Zungueiras, vendeuses ambulantes qui vont de marchés en marchés en portant l’univers sur leurs têtes sont vite devenues mes muses.

La Bella de Luanda est une recherche esthétique et qui frôle peut-être l’exotisme ?  Sûrement plus à propos de moi et mon envie d’entrevoir le monde après trois années passées dans les corridors gris de Paris. Ce travail, m’amène par son esthétique à questionner mon propre regard et le principe même de  l’exotisme.

Est-ce un privilège Occidental ? Des grandes conquêtes à l’époque coloniale et plus récemment par le tourisme de masse ? Si l’histoire avait pris le chemin inverse et si l’Occident avait été colonisé par l’Afrique, que serait alors l’exotisme? Est-ce que les albums de familles des Africains (descendants des colons) seraient remplies d’images “exotiques” de petits français sur le bord de la Seine ou sur les rives de la Mer du Nord ? Les trésors du Louvre disséminés entre Cotonou, Libreville et Pointe-Noire ? Les femmes blanches, pour être à l’image de leurs actrices favorites, porteraient-elles des perruques Afro, ce qui ferait pulluler en Occident les usines de cheveux synthétiques ? Et du coup, les Anglaises dans leur fourrures synthétiques peupleraient l’imaginaire érotique ? La Vénus Hottentote aurait été une Hollandaise exhibée pour sa peau blanche et son fessier plat ? L’histoire a pris un autre cours et notre façon de voir le monde semble y être intiment lié.

Cette série est exposée du 15 au 17 février dans le cadre de la Cape Town Art fair avec Ela-Espaço Luanda Arte. https://www.investeccapetownartfair.co.za/

© Emilie Régnier
© Emilie Régnier

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