Monsieur Chevrolet

Adi a cinq enfants, sa foi et une Chevrolet Impala blanche. On peut trouver Adi en face du minaret flambant de la mosquée du Liban, non loin de la plage. Il attend en somnolant sous un olivier, sur son banc en bois, jusqu’à ce que quelqu’un arrive et réclame ses services. Adi est chauffeur de taxi dans la ville côtière d’Agadir, au fin fond du sud poussiéreux du Maroc. Tous ses collègues transportent leurs clients en Mercedes limousines bleu ciel à travers le Boulevard Mohammed V ou le long du front de mer. Mais pas Adi. Sa fierté et sa joie sont garées devant son banc: une Chevrolet blanche polie et brillante avec des sièges en cuir rouge – C’est la seule.

Quand un client arrive, Adi donne toujours la même réponse: «  Monsieur, je vous conduirai aussi longtemps que vous voulez, mais pas plus loin que 40 kilomètres ». C’est la distance qu’il s’autorise afin de cajoler les 52 ans de sa limousine. Davantage serait trop risqué. Adi, 72 ans, une moustache ressemblant à une ligne peinte et sur sa tête un chapeau en crochet. Le matin, quand il fait encore frais, il se réfugie sous le capot avec sa djellaba qui descend jusqu’aux chevilles.

Adi est venu à Agadir depuis Marrakech dans les années 1960, après le grand tremblement de terre qui a balayé toute la ville. Aujourd’hui cette ville portuaire est devenue une destination de tourisme populaire construite cette fois pour résister aux séismes.

Comme un bateau, la limousine traverse la poussière du tarmac de l’arrière-pays, laissant derrière elle un sillage de troupeaux de moutons, des Kasbah couleur sable et de vieux arbres…

Parce qu’il ne sait ni lire ni écrire, il ne comprend pas les panneaux de signalisation. Ainsi, il doit s’arrêter de temps en temps au cours du voyage, rouler la fenêtre baissée, et palabrer avec les gens, hausser les épaules et demander sa direction. Tout le monde le connaît ici. A moins qu’il n’ y soit forcé, Adi n’utilise pas la pédale de frein. Comme s’il était accroché à l’amarrage d’un débarcadère, il laisse la voiture cliquetante rouler doucement jusqu’à la prochaine halte. Puis il se hâte de venir vous ouvrir les portières. Vous pourriez pourtant le faire vous-même, mais non, il préfère vous épargner cette peine. Ensuite, il pousse délicatement les lourdes portières pour qu’elles se referment.

Adi prend soin de sa limousine de la même façon qu’une femme âgée s’applique soigneusement une lotion pour le visage: durant chaque période de temps mort, en attendant son client qui a disparu dans l’une des boutiques de souvenirs, il ouvre son coffre, prend un petit pot de peinture et un pinceau pour peindre les rayures et les taches de rouille. L’air salé de la mer et le soleil brûlant tout ici dans le sud  font des ravages sur sa Chevy.
Quand veut-il réellement prendre sa retraite? « Je prendrai ma retraite quand Allah aura décidé que la Chevy doit rendre l’âme » dit Adi, souriant. Puis il s’allonge sur la banquette arrière et somnole jusqu’à ce que ses clients reviennent.

Texte original en allemand par Simon Hufeisen.

© schnepp • renou
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