PEUL FICTION

Ingall, Cure salée 2017. Nonulio Elson Wetela (MOMOMOisHERE), artiste multimédia mozambicain, qui vient de s’installer au Niger, se retrouve par hasard au cœur de ce rassemblement annuel de Peuls nomades Wodaabe (appelés aussi Bororos*) et de Touaregs, à quelque 120 km d’Agadez. C’est le début de l’histoire. « J’ai tout de suite été attiré par le style, le côté fashion des Peuls. Il y a un mot en portugais qui me vient à l’esprit : vaidade, « vanité », mais que je vois comme quelque chose de positif. C’est l’envie d’être beau, une volonté de toujours bien se présenter. Dans d’autres cultures en Afrique, l’élégance masculine est le plus souvent liée à celle du guerrier. Chez les Peuls, elle ne vient pas de la force mais de la beauté. J’ai immédiatement eu envie de décrypter et comprendre l’importance de l’élégance et de la beauté au sein de la culture peule. »

L’esthétique, « la science du beau », est présente en permanence dans la culture wodaabe, elle imprègne autant la vie quotidienne qu’elle est un rituel de vie. D’ailleurs, dans la langue peule « être beau » et « exister » sont des vocables très proches : wodi veut dire « beau » et woodi, « cela existe ». La négation woodde veut dire laid, ce qui doit être évité ou encore ce qui doit disparaître… La chercheuse Mette Bovin, dans son livre « Les nomades qui cultivent la beauté », lie cette notion d’esthétique au fait d’être nomade. « L’art wodaabe est intimement lié au mouvement dans l’espace et le temps. C’est une communauté où les signes extérieurs de l’art se trouvent sur les corps, les cheveux, les vêtements. En même temps, ce sont des gens qui ne possèdent presque rien. Il existe une relation intime entre l’art, le combat quotidien pour la survie et le fait de nomadiser. »

Si le regard de l’artiste mozambicain est forcément celui d’un étranger, il est surtout complice et très loin d’être voyeuriste. Elancé, toujours bien habillé, Nonulio Elson Wetela s’est vu tendre un miroir par les Peuls rencontrés à Ingall. « Je me suis tout de suite senti proche d’eux », résume-t-il. Les images choisies pour l’exposition gardent l’essence des moments partagés et véritablement « donnés » par les modèles mais elles ont été retravaillées, en noir et blanc et en couleur, pour prendre de la distance avec une vision purement documentaire. Les images ont été réalisées au plus près des personnes et la fine pellicule de sable qui semble recouvrir les photographies provient d’un effet inventé par MOMOMOisHERE, inspiré par la poussière du désert. Dans la scénographie, la symétrie, très importante dans la culture et symbolique peules, a été respectée. Certaines images ont été dédoublées pour la renforcer. C’est le côté fictionnel du travail photographique, qui donne toute son ampleur au titre de l’exposition.

Un montage vidéo, « Les enfants du soleil », réalisé au cœur de la danse yaake, accompagne les photographies, ainsi qu’une scénographie qui met en scène les objets et symboles emblématiques de la culture peule nomade.

La yaake est une parade de jeunes hommes au cours de laquelle les danseurs montrent le blanc de leurs yeux et de leurs dents, faisant vibrer leurs gorges, joues et lèvres jusqu’à entrer dans une sorte de transe. Ils imitent alors les oiseaux mais aussi le chameau en rut. Car cette danse sert également de concours de beauté à destination des jeunes filles présentes : trois d’entre elles, choisies parmi les plus belles, vont désigner leur champion à la fin de la danse.

La poudre des os calcinés d’un héron blanc sont mélangés à de la graisse avant d’être appliquée sur les lèvres des danseurs, pour leur donner force et équilibre. C’est ce « rouge à lèvres des oiseaux » qui renforce l’effet magique des vibrations. Seuls les jeunes de 15 à 35 ans peuvent participer à cette danse. S’y expriment les règles de vie attachées à leur jeunesse : déployer sa beauté, son énergie et son charme… Elle a toujours lieu de jour, et de préférence lorsque le soleil est au zénith. Car c’est le visage tourné vers l’Ouest, face à la lumière éblouissante, que la gestuelle faciale à laquelle se livrent les danseurs revêt tout son éclat. Pour mieux refléter cette lumière, les danseurs s’enduisent le visage d’un masque de pigments de terres jaunes (makara pura), le jaune étant la couleur de la magie, de la transformation.

« Je suis impressionné par les conditions dans lesquelles cette esthétique est maintenue coûte que coûte, alors même que le nomadisme est de plus en plus difficile à cause des changements climatiques et de l’insécurité, explique MOMOMOisHERE. Ce sont des personnes qui vivent dans des conditions de vie extrême, dans un environnement hostile. Etre beau est un vrai engagement… » L’art et la beauté sont intimement liés à la vie quotidienne. La beauté, notamment masculine, élevée au rang d’art, est un mode d’expression autant que de survie, un « travail » de chaque jour, au même titre que de nourrir les animaux. La beauté symbolise l’ordre, la symétrie. L’équilibre. L’humanité.

Si l’esthétique est la science du beau, étymologiquement, elle est aussi la science du sensible. Dans ce travail, la fiction semble plus forte que le réel, comme un clin d’œil au cinéma de Jean Rouch. Comme l’écrivait le grand écrivain peul du Mali, Hamadou Hampâté Bâ, « un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image ». Que chacun d’entre vous puisse découvrir, à travers cette fiction photographique onirique autour des Peuls Wodaabe du Niger, un peu de soi et des autres.

Nga O.

* Comme le rappelle l’ethnologue Marguerite Dupire (1920-2015), « le terme bororo que les sédentaires utilisent pour désigner les Peuls nomades en général semble péjoratif au Wodaabe et il ne l’applique lui-même qu’à son bétail ». C’est pourquoi nous avons choisi d’utiliser le terme Wodaabe.

**MOMOMOisHERE

Nonulio Elson Wetela est comme les chats : il a plusieurs vies. Né au Mozambique, il a passé une partie de son enfance à Bruxelles, avant de revenir vivre à Maputo et de partir faire ses études de design graphique à New-York en 2002. Son engagement dans les arts visuels est un héritage de son père, passionné de vidéo et de photographie. Dessin, peinture, typographie, il touche à tout et, en parallèle, commence une carrière de DJ sous le nom de DJ Fresh Nunas. Après New-York, il vit en Haïti puis au Panama avant de s’installer au Niger en 2017. MOMOMOisHERE est son double artistique.

Peul Fiction  
Exposition jusqu’au 31 août 2018
Hall d’exposition du CCFN Jean Rouch – Niamey – Niger

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela

© Nonulio Elson Wetela
© Nonulio Elson Wetela