PHOTO_47, portraits d’insurgés. De Pierrot Men & Raharimanana

Pierrot Men avec Martial Korambelo © Jean-François BEDNARSKY
Pierrot Men avec Martial Korambelo © Jean-François BEDNARSKY
Un papier que je publie à nouveau sur une expo à voir absolument si vous passez par Avignon d’ici au 29 juillet. De mémoire, peu de retours presse dessus (hors “remaniement” de dossier de presse ?) ce qui est absolument insensé compte tenu du niveau, de la qualité, de la sensibilité de l’événement ; de la force et de l’intérêt du thème, des photos et des textes associés ; et de sa nouveauté enfin.

On dit et on répète que ce n’est pas l’actualité qui fait la photo… Dans les médias, l’histoire est inversée, je suis bien placée pour le savoir. Et si possible, justifiée par l’accroche, un nom connu qui va drainer du lectorat et des ventes. Certes, il y a des choix à faire. Certes il faut “vivre”. Et je caricature un peu, mais si peu… Bonne lecture.

Quand Raharimanana, écrivain et dramaturge, s’associe au grand photographe Pierrot Men, cela donne 47, portraits d’insurgés, un duo image/texte d’une force inédite. Une exposition sensible, esthétique, pédagogique et engagée, proposée dès aujourd’hui à la chapelle du Miracle, en marge du festival d’Avignon. Aperçu, et extraits d’entretiens privilégiés, qui furent pour moi un véritable cadeau.

47. 1947. 29 mars 1947 : le point de départ d’une insurrection anticoloniale dont la répression, les tortures, massacres et exécutions sommaires ont meurtri des familles entières et causé plusieurs dizaines milliers de morts à Madagascar. Une période méconnue aux frontières de l’horreur et de la civilisation, restée jusqu’à présent dans l’ombre de l’histoire coloniale française. Pour Raharimanana, ” les gouvernements actuels (français et malgache) ne veulent pas parler de 1947, car ce serait une forme de compromission, reconnaître et endosser toutes les erreurs de leurs devanciers, et reconnaître que leurs pouvoirs se basent aussi sur cette occultation de la mémoire. ” Tels sont les enjeux.


Celestin Beva © Pierrot MEN
Celestin Beva © Pierrot MEN

À la rencontre du silence

Ce projet est une histoire de rencontres. Celle (et ce n’est ni la première, ni la dernière) de deux artistes qui placent l’homme au centre de leur art, dans un monde où les enjeux économiques et politiques sont rois. Et celles de deux hommes avec des histoires personnelles douloureuses et violentes, la leur, celles des insurgés et de leur île. Raharimanana explique : “ La répression coloniale qui a eu lieu à la fin de la Seconde Guerre mondiale s’est aussi opérée sur le plan familial. Les rebelles, ceux qui ont pris des initiatives anticolonialistes, nationalistes… ont été cassés. Mon grand-père a été mis en prison, il en est sorti mort. Mon père avait alors 6 ans à peine ; il a eu une enfance sans famille, celle d’un enfant errant deshérité par l’Administration. (…) J’ai eu une enfance merveilleuse. Mais avec le temps, on voit les choses, la réalité différemment. ”

Pour Pierrot Men, les premiers échos trouvent aussi leurs sources dès le plus jeune âge. “ Ma mère a été enterrée il y a 46 ans au cimetière de Farafangana. J’étais encore gamin quand pour la première fois, pendant la fête des morts, accompagné de ma famille, on allait lui emmener des fleurs. J’étais étonné de voir à côté de la sienne une autre tombe, minuscule et l’on y déposait aussi des fleurs, allumait des bougies, priait un petit instant… J’ai alors appris que c’était la tombe de ma grand-mère et de sa fille, les deux tuées et découpées en petits morceaux en 1947 ; voilà pourquoi cette tombe est si petite. J’étais encore gamin pour comprendre. Dès lors 1947 a souvent résonné dans ma tête. ”

L’expression de la mémoire

Henriette Vita © Pierrot MEN
Henriette Vita © Pierrot MEN
47, portraits d’insurgés, ce sont 32 photographies en noir et blanc. Pas des images documentaires, d’archives ou d’illustration. Pas des traces d’actualité, ni de sensationnel. Mais celles d’un photographe discret et sensible, en éveil permanent, avec ce regard juste, magique et lumineux sur la vie dans ce qu’elle a de plus digne, sincère et profond. Ses portraits – un exercice auquel il se livre trop rarement – sont ici l’expression précise et intime de celles et ceux qui ont vécu un pan lourd encore oublié et dénié de l’histoire : des regards d’aujourd’hui, inoubliables, accompagnés de leurs témoignages, bruts, à la mémoire intacte. “ Je suis alors allé à la rencontre de ces gens, de simples gens avec un enregistreur, raconte Pierrot Men. Je leur ai expliqué ma démarche. J’étais prêt à les écouter. Ils avaient entre 82 et 99 ans. Et tout simplement ils ont raconté, tout simplement ils m’ont offert leur visage, leur vrai visage… ”

Histoire, mémoire, vérité sont des questions omniprésentes dans la vie et l’oeuvre de Raharimanana. Une plume lucide, instruite et sans concession, avec ce nécessaire recul pour exprimer les choses avec une force à la fois violente et belle, une émotion et une simplicité rare. “ J’ai mis dix ans à écrire mon premier roman, Nour 1947. Je pensais alors en avoir fini avec 47, mais je n’en finirai jamais. J’avais mes contacts par rapport aux anciens rebelles. Puis il y a eu la mise en scène de Thierry Bedard, à Madagascar (adaptation de Madagascar 1947). Et la censure de la pièce* par le ministère des Affaires étrangères, même si ce n’est pas ainsi que les choses ont été présentées. J’ai alors réfléchi à la réponse à apporter vite à cela. ”

Une réponse artistique à une histoire commune

Malgaches corps et âme, Raharimanana et Pierrot Men rompent le silence en donnant la parole aux rebelles de 47. “ Ils se sont sentis compris, aimés… Certains ne voulaient pas que je reparte. Il faut bien partir…” ajoute le photographe. Chacun à leur façon, les deux hommes expriment tout leur attachement à leur pays, leur passion et leur révolte empreinte de respect. Témoins du passé ou du présent, ils sont les mémoires humanistes d’un peuple.

Pour l’homme de lettres “ séduit, presque empoisonné par la parole ”, il faut relancer le débat de l’esthétique et de l’engagement : “ Il existe aujourd’hui une peur de parler de l’essentiel car cela semble trop dur. Pourtant, il ne faut pas oublier la question de la démarche artistique, qui permet de creuser des thèmes fondamentaux, de témoigner, de faire connaître. (…) Les témoignages présentés dans l’exposition sont très forts, et feront sans doute polémique car ils évoquent des points très sensibles, comme la torture. C’est un véritable choc.”

Un voyage au fil des images comme un face à face troublant avec l’humanité, dont les mots liés – à lire absolument – révèlent jusqu’à l’innommable. Nos guides, ce sont ces femmes et ces hommes résolument vivants, survivants d’un passé barbare gommé des esprits. Sans fards, ils ont offert leur visage, leurs blessures, leur histoire. ” Une dynamique qui va générer d’autres choses ” précise Ramahimanana. “ L’envie de montrer, témoigner, que ces gens existent et qu’on ne les oublie pas, ” conclut Pierrot Men.

*La pièce 47 de Jean-Luc Raharimanana avait été censurée fin 2008 dans les centres culturels français d’Afrique australe et de l’océan Indien par la Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement (DGCID_ministère français des Affaires étrangère français). Sous couvert de restrictions budgétaires.



EXPOSITION

47, portraits d’insurgés : jusqu’au 29 juillet 2009, de 10h30 à 18h. Chapelle du Miracle, 13 rue de la Velouterie, Avignon.

À LIRE/REGARDER

Madagascar 1947 (Raharimanana). Éd.Vents d’ailleurs. 7 €.

Za (Raharimanana). Éd.Philippe Rey. 19 €.

L’arbre anthropophage (Raharimanana). Éd. Joelle Losfeld. 19 €.

Madagascar, la grande île secrète

(Françoise Raison-Jourde, photographies : Pierrot Men). Éd.Autrement. 19 €


[ SOURCE DE L’ARTICLE http://vdegalzain.wordpress.com]