Travail et lieu de vie: la diversité des classes moyennes

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Mais qui sont les classes moyennes en Afrique ?

Existent-elles vraiment d’ailleurs. En Asie, le développement avéré des couches moyennes, au prix d’une violence sociale rare envers les plus pauvres, excite les convoitises des entreprises occidentales. En Amérique du Sud leur implication politique a permis l’émergence de  leaders politiques qui cherchent à se dégager de la tutelle américaine. L’Afrique n’en est pas encore là, mais des choses changent.

En Côte d’Ivoire, nous sommes allés à leur rencontre.

Ces couches moyennes sont plurielles et ne se revendiquent pas comme une « classe », le sentiment d’appartenance étant plus lié à l’ethnie ou au parti politique qui souvent se recoupent. Entre les $2 de revenu par jour et par personne, standard international de pauvreté, qui concentre ici plus de 60% de la population et les plus aisés voire riches, il y a environ ¼ de la population ivoirienne, soit 5 millions de personnes surtout massées à Abidjan.

Etudiant se suffisant économiquement, fonctionnaire de niveau intermédiaire, employé ou cadre dans le secteur privé, entrepreneur, personnage politique local, les profils sont multiples.


Depuis 1985, le niveau de vie du pays s’est effondré, chutant de 30% alors que dans le même temps la population croissait de 3% par an. La baisse des cours du café et du cacao a tari la rente de l’état alors que la crise politique qui perdure depuis 2002 fait exploser la corruption et limite les investissements.

Les classes moyennes sont touchées de plein fouet. Gagnant entre $8 et $30 par jour, un chef de famille doit faire vivre une famille plus nombreuse qu’auparavant, du fait du chômage ou parce que de nombreux parents situés en zone de conflit se sont réfugiés à Abidjan.

Malgré cela les personnes rencontrées ont le sentiment de faire partie des couches moyennes. Ils se distinguent des pauvres qui ne font pas 3 repas par jour ou dépendent de quelqu’un pour vivre. Ils possèdent les attributs (frigo, télévision, ventilateur, téléphone portable, électricité, eau courante) de cette classe mais sont lucides sur ce qui les distinguent des personnes aisées : leur situation reste précaire et toute dépense exceptionnelle (aide d’un parent, problème de santé) exige un sacrifice.

Dans le salon de Charles K. Il vit avec sa femme enceinte de 3 mois. Il a demissioné de la fonction publique au bout d'un an et investi son epargne dans la creation d'un cabinet de consultance en agronomie. Il gagne 00 par mois. © Joan Bardeletti
Dans le salon de Charles K. Il vit avec sa femme enceinte de 3 mois. Il a demissioné de la fonction publique au bout d’un an et investi son epargne dans la creation d’un cabinet de consultance en agronomie. Il gagne 00 par mois. © Joan Bardeletti
Adou dans sa chambre sur le campus de l'université. Il partage avec 3 étudiants une chambre de 15m2 prévu pour deux. Grace à l'office de traitement de texte qu'il a monté, il gagne 0 mais manque de temps pour terminer ses études © Joan Bardeletti
Adou dans sa chambre sur le campus de l’université. Il partage avec 3 étudiants une chambre de 15m2 prévu pour deux. Grace à l’office de traitement de texte qu’il a monté, il gagne 0 mais manque de temps pour terminer ses études © Joan Bardeletti
Pensez vous faire partie de la classe moyenne ?

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Alors qu’auparavant la fonction publique était un débouché naturel et valorisé pour les diplômés, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Qui voudrait en effet devenir fonctionnaire quand leurs salaires n’ont pas été augmentés depuis 20 ans ? Comment un professeur peut-il vivre avec seulement 200 000 FCFA/ mois ($400) lorsque son loyer lui coûte 80 000FCFA ($160), que le prix d’un sac de riz est passé en 3 ans de 8 000 FCFA ($16) à 22 000 FCFA ($44), et qu’aller au travail lui coûte 20 000 FCFA /mois ($40)

Les PME, l’esprit d’entreprise ivoirien

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Paradoxalement, ici plus qu’ailleurs la mondialisation se fait sentir, par la dépendance du quotidien aux cours mondiaux, notamment ceux du baril de pétrole et des denrées alimentaires.

L’état critique dans lequel se trouve le pays semble avoir renforcé l’esprit d’entreprise des plus jeunes en détruisant leurs dernières illusions sur l’état providence. Nombreux sont ceux qui voient aujourd’hui la fonction publique comme un tremplin financier plutôt que comme un aboutissement : après avoir touché leur « rappel » (1ère année de salaire versée en une fois) ou au bout de quelques années d’économie, ils montent une activité parallèle informelle, un « gombo » ou même ils démissionnent et créent leur propre emploi.

Charles K, diplômé universitaire, a ainsi quitté au bout d’un an son emploi de fonctionnaire payé 164 000 FCFA/ mois ($330) et investi son « rappel » dans la création d’un cybercafé qui au bout d’un an lui rapporte au moins 300 000 FCFA/mois ($600) et a créé son cabinet de consultance dans le domaine agronomique.

L’objectif est en tous les cas de stabiliser ses revenus et sa situation, pour bâtir une vie plus sereine. Si l’état ne permet plus cela, alors certains se tournent vers l’entreprise privée.

Kadie, étudiante en DEA, passe pour la 2nde année les concours de la fonction publique. Si elle les réussit, elle ne compte pas pour autant abandonner ses « gombos » (cybercafé et traitement de texte) qui lui rapportent 200 000 FCFA/mois ($400), peut-être plus que son futur emploi. En cas d’échec, elle envisage sereinement de stabiliser sa situation en investissant dans une plantation d’hévéas qui assure des revenus constants.

La fonction publique n’est plus un passage obligé

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Kadie fait ses comptes en fin de journée dans le cyber café qu'elle a ouvert pour financer ses études. En DEA, elle a investi sa bourse d'étude dans ce business qui lui rapporte 0/mois. Si elle ne réussit pas les concours de al fonction publique, elle investira dans une plantation d'hévéa. © Joan Bardeletti
Kadie fait ses comptes en fin de journée dans le cyber café qu’elle a ouvert pour financer ses études. En DEA, elle a investi sa bourse d’étude dans ce business qui lui rapporte 0/mois. Si elle ne réussit pas les concours de al fonction publique, elle investira dans une plantation d’hévéa. © Joan Bardeletti

L’absence d’infrastructures, la corruption généralisée (plus de 1 milliards de FCFA par jour soit 2 millions de dollars serait payée en pot de vin aux barrages routiers chaque jour en Côte d’Ivoire) et la multiplication des petites activités empêchent cependant encore la conversion de ce nouvel état d’esprit en entreprise pérenne.

A Abidjan, les «maquis» (bars à bière plus ou moins sophistiqués) se sont multipliés depuis quelques années. La création d’un maquis est en effet un bon placement en temps de crise pour les classes moyennes qui ont une épargne et la fréquentation des bars a explosée avec l’augmentation du chômage et la précarité sociale.

Les maquis climatisés, avec la bière à 750 FCFA ($1,5) sont devenus le premier loisir de cette population. D’autres activités, sportives notamment, sont accessibles dans des structures souvent vieillissantes.

Adama est un mécanicien qualifié. Il gagne à peine 0/mois mais avec une maison, un frigo, une télé et ses virées à la plage le dimanche avec ses amis, il affirme faire partie de la classe moyenne. © Joan Bardeletti
Adama est un mécanicien qualifié. Il gagne à peine 0/mois mais avec une maison, un frigo, une télé et ses virées à la plage le dimanche avec ses amis, il affirme faire partie de la classe moyenne. © Joan Bardeletti
Armand Yale sur la terasse du
Armand Yale sur la terasse du