Vu l’utilisation idéologique de l’image par les Européens, il est donc particulièrement pertinent d’analyser comment les Africains se sont représentés eux-mêmes photographiquement. Comparez par exemple les profils ethnographiques des femmes aux seins nus avec les portraits de Seïdou Keyta ou de Samuel Fosso ! En s’emparant progressivement de la technique photographique, les Africains purent donc produire des images en contrepoint avec les stéréotypes coloniaux, montrant des Africains attachés à une identité traditionnelle, tout en étant en vogue avec la modernité.
En Afrique du Sud, cette appropriation de l’appareil photo se produit relativement tardivement, vers les années 1920 1 . Ce retard s’explique probablement par le caractère particulièrement ségrégé de la société sud africaine, et le manque de transmission de techniques entre les Blancs et les Noirs. Mais au fur et à mesure que l’équipement devenait plus simple à utiliser et meilleur marché, la photographie cessa d’être un hobby élitiste pour devenir une activité commerciale ambulante. Les premiers photographes noirs photographiaient non seulement l’élite africaine convertie et éduquée, mais aussi les migrants noirs venus travailler dans les mines et les usines. Ces photos prises au coin d’une rue datant des années 1930 et 40 témoignent de l’urbanisation africaine précoce de l’Afrique du Sud, à une période dans laquelle le régime blanc tentait déjà tant bien que mal de limiter, voire de nier la présence des Noirs en ville.
La photographie vernaculaire, imbue des préoccupations et des valeurs d’un lieu et d’une époque spécifiques, est donc potentiellement une source historique importante pour écrire l’histoire de communautés subalternes, en général sous-documentées. Pour le cas de l’Afrique du Sud, ces archives privées témoignent d’une communauté noire, qui dans un effort d’affirmer sa présence permanente et légitime dans les villes, se représentait comme urbaine, tout en redéfinissant ce terme en fonction de leur propre réalité et fantaisie.
–1 Au Sierra Leone par exemple, le premier studio appartenant à un Noir fut créé vers les années 1855.
–2 Roland Barthes, 1980. La Chambre Claire: notes sur la photographie.
–3 Revue progressiste, la première à viser directement un lectorat noir et à embaucher du staff noir.
–4 Shabeens: véritable institution du township, une espèce de bar informel, le plus souvent installé dans le salon d’une maison privée. Les shabeens étaient interdits sous l’apartheid.