Alors que le quatrième accord complémentaire de l’Accord Politique de Ouagadougou vient d’être signé le 25 décembre dernier, les questions sur le désarmement restent toujours en suspend. Le mode opératoire et la date de ce processus restent encore inconnus.
En attendant les autorités des Forces Nouvelles essaient progressivement d’encourager les jeunes qui avaient pris les armes en 2002 à les déposer et à retourner à la vie civile.
Ils sont (environ) 20 000 à Bouaké à avoir choisi (de gré ou par des concours de circonstance) de ne plus tenir les armes. Seulement, si certains ont réussi leur réinsertion, ils sont nombreux à déambuler dans la ville attendant qu’un projet leur offre la possibilité de retrouver une vie « normale ».
Elles sont dix. Elles ont entre 20 et 35 ans. A l’époque elles étaient des combattantes.
Elles se sont donc engagées au front, participant aux grandes guerres qui ont marqué les cinq années de guerre en Côte d’Ivoire.
Mais depuis deux ans environ, elles ont abandonné les armes pour retourner à la vie civile. Et cela semble leur réussir.
Les «Amazones» comme on les appelle, ont été intégrées dans un projet de réinsertion. Elles fabriquent et vendent de l’attiéké (met à base de manioc très prisé en Côte d’Ivoire). Soutenues par l’ACM (Action civilo militaire), par l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (Onuci) et la société civile, elles s’investissent dans ce secteur qui leur a permis de laisser les armes.
Après la formation, ledit commandant les aide à ouvrir une « usine » de fabrication de l’attiéké. «Nous importons nos produits vers le Burkina et le Mali» , lance fièrement Djeneba, debout devant une marmite remplie de ce met. «Mais c’est à Bouaké que nous avons nos plus grands clients. Les casernes et les restaurants sont ceux qui achètent le plus avec nous» , précise t-elle. Les dix filles travaillent avec ardeur. Main dans la main elles font en sorte que leurs rêves deviennent réalité. «Nous travaillons sans histoire. Car bien que nous venions de casernes différentes, on nous a enseigné la solidarité et c’est ce que nous essayons d’appliquer. Et ça nous réussi» , atteste Awa la porte parole.
Voyant le courage de ces anciennes combattantes, l’ACM décide de leur ouvrir un restaurant pour diversifier leurs entreprises. La gestion de cet espace est confiée à la porte- parole des jeunes filles. «Avec cette autre activité, nos revenus s’accroissent» , atteste Awa. Même si elles restent silencieuses sur les questions d’argent, les amazones s’en sortent bien. «Nous avons ouvert un compte dans une banque. Ceci va nous aider à ouvrir des projets plus grands» , annoncent-elles.
Désormais, leur intégration s’est bien faite. Pourtant, certains démobilisés attendent toujours leur tour.
** LES DEMOBILISES DU « CORRIDOR »
Contrairement aux Amazones, ils sont des milliers à attendre leur réinsertion de la vie active.
Ces jeunes se sont eux aussi engagés comme soldats au côté de la rébellion pendant de longues années. «Moi j’ai débuté en 2002, aux premières heures de la guerre» , affirme Ibrahim Coulibaly dit « Microbe ». Un surnom qu’il a acquis à la guerre. D’autres comme Alasko ont même combattu dans des zones autres que celles du centre-nord. «J’ai combattu dans l’ouest et ce pendant un peu plus de deux ans» , précise cet ancien élève. Il est âgé de 23 ans.
Ces quatre «mousquetaires» ont pourtant en commun d’avoir décidé d’abandonner les armes avec le désir de retourner chacun à la vie civile. Chacun selon ses raisons.
«Quand on nous a proposé de déposer les armes, je n’ai pas hésité parce que vu mon âge avancé, il est mieux que je prépare mon avenir loin des armes» , souhaite Ibrahim Coulibaly. Âgé de 35 ans, il a rejoint la rébellion au début de la guerre en 2002. Pour lui qui n’avait pas d’emploi auparavant c’était une aubaine qu’il fallait saisir. Mais aujourd’hui les choses ont changé. «Avec l’accord de Ouaga qui nous prépare à la paix, je pense qu’il est mieux de m’intégrer dans ce programme de démobilisation initié par le PNRCC et la coopération allemande. Ainsi j’aurai du travail» , espère cet ex-combattant. Pour Alassane Diallo dit Alasko, l’histoire est tout autre. «J’étais en classe de troisième à Bouaké quand tout à commencé» , raconte t-il. «J’ai trouvé que c’était pour une cause noble et je me suis engagé» , poursuit-il. A l’époque, Alasko venait d’avoir ses 17 ans. Pour ce jeune, même s’il remplit les conditions pour intégrer la nouvelle «armée unifiée», il préfère poursuivre ses études. «Rien est tard» , dit-il avec certitude. «C’est vrai que mon âge est avancé mais, si je m’y mets à fond, je pense que d’ici 5 ou 6 ans je pourrai m’en sortir avec un diplôme» , croit-il fortement. Pour lui, la démobilisation est une opportunité qu’il veut saisir. «Quand je serai réinséré, je vais essayer de gagner un peu d’argent en travaillant. Cela me permettra de payer les cours du soir que je souhaite faire» , ajoute Alasko.
Pourtant, alors qu’ils ont déposé leurs armes pour s’inscrire dans ce projet, ils attendent toujours qu’il soit mis en exécution. «Nous sommes de la quatrième vague et cela fait presqu’un an qu’on attend» , se plaint Mandela. Même s’ils ont déjà touché leurs primes de démobilisation (90 000 francs pendant trois mois), ils espèrent qu’ils seront intégrés dans le projet de leur choix.
«En attendant, nous nous débrouillons ici, au corridor sud de la ville» , affirme Jagger. A cet endroit, ils aident les véhicules transportant des marchandises à passer facilement le barrage. «Quand les voitures arrivent au barrage, il y a des papiers à faire avant de traverser. Et comme il y a beaucoup de camion nous proposons nos services pour que la traversée se fasse rapidement» , explique Alasko. Mais tout ceci à un coût. «Les prix varient. On peut avoir 1000 francs ou même 2000 francs par véhicule» , précise Microbe. Mais sur leurs « champs de travail », ils ne sont pas les seuls. Et cela rend difficile les recettes. «Au corridor sud, on peut compter une cinquantaine de démobilisés qui essaient de se faire un peu d’argent» , explique un responsable des Forces nouvelles. A la fin de la journée, ces jeunes espèrent faire passer un ou deux camions.
Une vie pareille, ils n’en veulent plus. Eux qui ont laissé le métier des armes, ils entendent désormais se battre autrement pour sortir de cette galère. Et pour ces démobilisés, l’avenir passe nécessairement par la réussite de l’opération de réinsertion.
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