Vers un idéal

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Des tapissiers –ou si vous préférez – des « décorateurs d’intérieur » ; une « démocratie » de palier ; une obéissance stricte et un « humanisme » aux couleurs médicales. Ce sont là, les grands traits du tableau de cette cinquième chronique.

GOMBOS OU PETITS METIERS | Tapisserie ou « déco’ d’intérieur »

La « déco’ d’intérieur »
C’est ainsi qu’ils préfèrent désigner leur activité. « ça fait plus sérieux », relève d’entrée Adjé, jeune maîtrisard et fondateur de « Schékina Décor », l’« entreprise » qu’il a montée.  Au début, c’était simplement un passe-temps, une activité pour ne pas rester « oisif ». Il lui était difficile de poursuivre dans l’immédiat les études – le 3ème cycle étant coûteux, donc ultra-sélectif – et aussi sans emploi.

Chemin faisant, l’activité va prendre de l’ampleur.  Son expertise est de plus en plus reconnue. Il en va de même de sa notoriété. Le marché s’agrandit : les demandes fusent. « J’ai même eu à bosser chez des particuliers en ville », confie-t-il.

Plus tard, il est rejoint par son compagnon de la fac, Yannick EKRA. Ensemble, ils vont repenser le projet, le remodeler. Bien qu’elle n’ait pas encore acquis la forme juridique requise, « Schékina » fonctionne aujourd’hui comme une micro-entreprise. En effet, ce ne sont pas moins d’une dizaine de « salariés » qui sont passés par là…

Jour de « bara »

Ce matin (lundi 7 décembre) par exemple, « nous avons 3  »bara » (terme Dioula qui signifie travail ; dans notre contexte, il pourrait être remplacé par  »marché ») », explique Adjé. Ils sont donc obligés de « recruter 2 éléments pour les assister ». Deux groupes sont alors constitués pour travailler simultanément sur les 2 premiers « marchés ». Nous suivons celui de Yannick, le groupe conduit par Adjé n’ayant pas encore débuté.

Il est 8h30 lorsqu’ils se présentent à la cliente du jour. Après l’échange des usages, le travail peut véritablement commencer. Progressivement, la chambre se transforme en un véritable chantier. Amani, la « recrue » du jour, est prié de débarrasser le mur des restes de vieux papiers peints existants auparavant. Nouveau bachelier, il est une connaissance d’Adjé. Il a accepté de venir « bosser » pour à la fois passer le temps et se faire quelques sous. Pour ce service, il recevra entre 700 FCFA et 1000 FCA (moins de 2 euros) ; de quoi à assurer 3 à 5 repas au réfectoire de la cité.
Pendant ce temps, Yannick, « son chef de chantier » dose la poudre d’amidon qui servira à la fabrication de la colle. Mélangé à de l’eau, elle sera ensuite chauffée jusqu’à ce qu’elle devienne assez visqueuse et compacte. C’est cette « colle » qui permettra la fixation du papier au mur. « Nous garantissons à nos clients une solidité d’au moins six mois », affirme Yannick avec beaucoup d’assurance.

La colle préparée, vient l’étape du découpage des papiers à poser. A l’aide d’un mètre, ils prennent des mesures ; des mesures qu’ils reportent sur les 2 rouleaux prévus pour la pièce. La pose peut alors commencer.

Ici, les tâches sont aussi partagées : Amani est chargé d’étaler la colle sur le verso des différentes coupures, puis de les remettre à Yannick qui se charge de les fixer au mur. Ce dernier se charge de « chasser l’air ». Cette opération nécessite une application minutieuse est déterminante. « Quand elle est mal faite, les papiers ne dure pas longtemps au mur», prévient-il.

Le travail avance à « un bon rythme ». Il est bientôt 11 h. C’est l’heure du « contrôle » c’est-à-dire la vérification des « points sensibles » que sont les bords. Cette étape terminée, ils peuvent « livrer la chambre » et recevoir leur paie. Pour ce service, ils recevront la somme de 10 000 FCFA (16 euros). « Les prix varient de 7000 FCFA (11 euros) à 10 000 FCFA selon la qualité du papier. «C’est nous qui fournissons tout », révèle Adjé, venu inspecter les travaux.

Adjé (au fond) et ces ouviers. Schékina Décor , tapissier universitaires © Camille Millerand
Adjé (au fond) et ces ouviers. Schékina Décor , tapissier universitaires © Camille Millerand

Schékina Décor , tapissier universitaires © Camille Millerand
Schékina Décor , tapissier universitaires © Camille Millerand

(à gauche) Yannick de Schékina Décor , tapissier universitaires / (à droite) Amani de Schékina Décor , tapissier universitaires © Camille Millerand
(à gauche) Yannick de Schékina Décor , tapissier universitaires / (à droite) Amani de Schékina Décor , tapissier universitaires © Camille Millerand

G and D, restauratrice à la cité U d'Adjamé. Portrait de Danielle et Gladys, 2 soeurs qui ont monté leur restuarant au 220 à Adjamé © Camille Millerand
G and D, restauratrice à la cité U d’Adjamé. Portrait de Danielle et Gladys, 2 soeurs qui ont monté leur restuarant au 220 à Adjamé © Camille Millerand

Chambres réalisées par Schékina Décor , tapissier universitaires.Cité J.Mermoz © Camille Millerand
Chambres réalisées par Schékina Décor , tapissier universitaires.Cité J.Mermoz © Camille Millerand

SUR LA CITE | Une vie de palier forte

S’il existe une particularité à relever de la vie des campus ivoiriens, c’est leur très forte organisation structurelle interne. En dehors de celle, souvent trop bien/mal connu, des mouvements syndicaux, il y a celle – peu connue mais tout aussi réelle et plus directe – des résidants.

Tenez, par exemple. Sur les cités, chaque palier, en général, est géré par un bureau avec à sa tête un « Chef ou Président de palier ». Celui-ci est chargé, avec son équipe, de veiller au bon voisinage entre les résidants et de gérer les problèmes mineurs (panne d’électricité, d’eau etc) qui peuvent subvenir sur « son territoire ». Souvent, ces rapports dépassent le cadre restreint du palier. Ainsi, l’on peut voir cette gestion restreinte s’élargie à 2, 3 ou 4 autres paliers voire le bâtiment. Ainsi, à Mermoz, il y a « un cadre de concertation conjoint » des « Chefs » des différents paliers du Bâtiment B.

Le modèle « casa biancais »

« La Casa Bianca » ou « Maison blanche », c’est aussi à Mermoz. Elle appartient au lot des maisons basses qu’on appelle « villas ». Officiellement, c’est la « villa 6 ». Comme pour certains paliers –surtout ceux du grand Campus – les résidents, sous l’impulsion de leur « Président », Tyeroo, ont voulu nommer le leur.

« Au-delà du nom, c’est une vision d’esprit que nous avons voulu communiquer», explique-t-il.

« La Casa Bianca », c’est d’abord la propreté et… la beauté, Tyeroo, étant artiste-plasticien. Un point d’honneur est, en effet, mis sur l’environnement. La propreté des lieux, la tenue d’un petit jardin, la réfection de la peinture du palier aux frais uniques des résidents sont des actions à mettre aux comptes de cet aspect.  Il se raconte même que c’est lors de son passage à la « Maison blanche » que le Directeur Général du CROU-A (Centre Régional des Œuvres Universitaires d’Abidjan), ému par cette attention particulière pour la protection de l’environnement, a eu l’idée du concours de propreté en cours actuellement entre les différentes résidences « U ».

« La Casa Bianca », c’est aussi l’exercice de la démocratie. « Ce sont les résidents qui décident ; nous nous ne faisons qu’appliquer », explique Tyeroo. A la « Casa Bianca », les habitants se prononcent sur toutes les questions. Il n’y a pas de domaines réservés. C’est une « démocratie à la suissesse ». Quand une situation se présente. Le « Président » convoque son « cabinet » composé d’une dizaine de membres allant du « chancelier » (le Secrétaire Général) au « Ministre de la culture », en passant par « la Communication, l’Economie, la Santé et aussi les Conseillers ».
Le « gouvernement » réuni, discute d’une position à défendre lors de la plénière avec les résidents. « Une fois les décisions prises en bureau, nous adoptons tous cette position devant les résidents », affirme Koudou, le chargé de la Com’. Aujourd’hui (Lundi 07 décembre), par exemple, il a été décidé de l’organisation d’une fête pour terminer en beauté l’année. Cette proposition de fête, ils la défendront lors d’une prochaine réunion ouverte à tous les résidents du palier. Quitte à les convaincre ou pas.

La « Casa Bianca », c’est aussi la solidarité et surtout la fraternité. Tous les « casa biancais » sont frères. Ici, les barrières sont brisées. « On entre partout pour manger, regarder la télé… », raconte Tyeroo. Cette forte solidarité a permis la mise sur pieds d’une sorte de système d’urgence qui permet, en mettant les compétences des étudiants-médecins du palier en jeu, une prise en charge immédiate en cas de crise subite d’un résident. « Nous avons pu ainsi  aider certains de nos camarades pour les premiers soins, le temps qu’arrivent les parents pour assurer le relais », relate Tyeroo. Même les anciens de la « Casa Bianca » – la « diaspo’ », – ne sont pas oubliés ; ils sont souvent sollicités pour participer à la vie de leur ancien palier.

Réunion de pallier à la maison blanche. Cité U J.Mermoz © Camille Millerand
Réunion de pallier à la maison blanche. Cité U J.Mermoz © Camille Millerand

Réunion de pallier à la maison blanche. Cité U J.Mermoz © Camille Millerand
Réunion de pallier à la maison blanche. Cité U J.Mermoz © Camille Millerand

RELIGION | Les « sœurs voilées » du Campus

Ce n’est pas seulement en Occident que le port intégral du voile suscite des vagues. En Côte d’Ivoire, l’apparition, ces dernières années, de pratiquants revendiquant de plus en plus le « retour à un islam orthodoxe » connaît son lot de critiques plus ou moins virulentes. Mais pour ces hommes et ces femmes profondément encrée dans la foi musulmane, cet attachement aux « strictes prescriptions coraniques » reste une « obligation vis-à-vis d’Allah». Aussi, exercent-t-ils leur foi conformément à leur conviction, au risque souvent de se voir rejeter par la société.

Victimes du « voile »

C’est le cas de ces jeunes femmes qui ont décidé de porter le voile intégralement. Sur le campus, on les appelle les « ninjas», allusion faite à ces guerriers japonais vêtus de noirs avec une cagoule pour fermer leur visage. « Nous sommes conscientes de cette réalité », explique l’une de leur responsable au niveau de la CEEMUCI (Communauté des Elèves et Etudiants Musulmans de la Côte d’Ivoire). « Il y a même pire…mais pour nous, c’est un devoir envers Allah et son prophète», assument-t-elles. Un devoir auquel elles ne renonceraient quelqu’en soit la raison.

En dépit des frustrations qu’elles supportent, elles espèrent néanmoins pouvoir être acceptée et surtout respectée dans l’exercice de leur foi. Ainsi, depuis 1998 (année de création de la CEEMUCI), un « Secrétariat chargé des Affaires Féminines » leur a été réservé pour mieux s’organiser. Composé d’une dizaine de membres – toutes étudiantes – il s’attèle à soutenir les jeunes femmes du groupe dans leur pratique quotidienne de la religion. Il travaille, par ailleurs à la valorisation de la jeune fille musulmane, à leur sensibilisation aux défis planétaires (le Sida). Le secrétariat pose même des actions d’utilité publiques (dons de sang par exemple). Ceci pour dire qu’au-delà du voile, ce sont aussi des femmes, humaines comme tous.

Secrétariat chargé des Affaires Féminines de la CEEMUCI. campus de cocody © Camille Millerand
Secrétariat chargé des Affaires Féminines de la CEEMUCI. campus de cocody © Camille Millerand

PORTRAIT | Dr ALLA, l’humaniste

ALLA Jules est présent sur le campus de Cocody depuis 5 ans. Inscrit en année de thèse, il est le « médecin de cité » du campus Ancien, l’un des 3 secteurs du grand Campus de Cocody.

Médecin « pour tous »

Sa zone de couverture : 8 bâtiments. Environ une centaine de résidents. « J’ai voulu être médecin de la cité pour mieux aider les autres », confie-t-il. « Déjà que n’étant pas encore désigné par le CROU (Centre Régional des Œuvres Universitaires), j’étais sollicité… ». Pourquoi ne pas alors postuler ? C’est ce qu’il fait lorsqu’il est admis en 7è année, il devient éligible.

Cette volonté d’ « aider », l’a conduit, dans son job, à « côtoyer les difficiles réalités de ses camarades étudiants ». Il a pu ainsi être témoin de situations assez graves. « Certains, par faute de moyens, préfèrent, par exemple, s’acheter des comprimés de paracétamol à 100 FCFA pour soigner les accès palustres. Alors que l’aspirine ne fait que baisser la fièvre », révèle-t-il. Une situation qui est lourde de conséquences à long terme, car la maladie n’est pas traitée.

Dans son rôle de médecin, il essaie tant bien que mal de les soutenir en fournissant, quand il en dispose, des médicaments. « Nous ne pouvons faire mieux », lâche-t-il dépité. « Nous manquons de médicaments de premières nécessités. Le CROU ne nous en fournit pas», poursuit-il. En outre, pour toutes les astreintes nocturnes (de 18 h à 6 h) qu’il a en tant que médecin de cité, il ne perçoit que la modique somme de 150 000 (230 euros) en fin d’année. Cet argent, en général ne lui sert qu’à payer son matériel ; un matériel qui est d’ailleurs très couteux.

Sa thèse

La PTME, entendez la Prévention de la Transmission Mère-Enfant. « J’ai choisi de travailler sur le sujet pour sensibiliser les mères malades sur la possibilité existante d’épargner leurs enfants dé la contamination au virus du Sida », raconte-t-il. Cela est parti d’une émotion forte qu’il a ressentie devant la souffrance d’un enfant contaminée par sa mère. « Je me suis dit qu’il fallait que ça change ». Aussi, a-t-il saisi l’occasion de sa thèse de fin de d’études pour y travailler. Aujourd’hui, il se prépare à soutenir (le premier trimestre 2010), et est tout aussi heureux d’avoir pu participer à préserver des innocents de ce dangereux virus.

Son association

Cet humanisme d’origine maternelle l’a conduit à briguer la tête de son association. Il est depuis 2004 le Président de l’Association des Etudiants de Toumodi Akpassoua (Centre de la Côte d’Ivoire). « C’est toujours dans l’optique d’aider que j’ai voulu me présenter. Il y a beaucoup de jeunes, sans qualifications et sans activités, qui errent dans la région alors qu’il existe des structures qui offrent des formations et aident à monter de petits projets viables », se défend Jules. « C’est pourquoi, poursuit-il, nous organisons des rencontres avec ces organismes, des conférences pour orienter tous ces jeunes qui semblent désespérés. « C’est aussi, une manière de restaurer l’image ternie des étudiants de la région», complète-t-il.

Dr ALLA, campus ancien Batiment E. Campus ancien de cocody © Camille Millerand
Dr ALLA, campus ancien Batiment E. Campus ancien de cocody © Camille Millerand

dans la valise du Dr ALLA, campus ancien Batiment E. Campus ancien de cocody © Camille Millerand
dans la valise du Dr ALLA, campus ancien Batiment E. Campus ancien de cocody © Camille Millerand

(à gauche) Chez Dr ALLA, campus ancien Batiment E. Campus ancien de cocody / (à droite) Dr ALLA, campus ancien. Batiment E. Vue du toit.Campus ancien de cocody © Camille Millerand
(à gauche) Chez Dr ALLA, campus ancien Batiment E. Campus ancien de cocody / (à droite) Dr ALLA, campus ancien. Batiment E. Vue du toit.Campus ancien de cocody © Camille Millerand