Y tú, ¿por qué eres negro? – Interview de Rubén H. Bermudez

Il y a quelques mois, nous avons rencontré à travers le Festival Circulation(s) à Paris, le travail de Rubén H. Bermudez. Dans la lignée de notre interview de Johny Pitts sur son livre Afropean, retour à travers une interview sur son projet Y tú, ¿por qué eres negro?  (Et toi, pourquoi es-tu Noir ?). Un livre / exposition constitué d’un mélange d’archives personnelles et de la culture populaire,  de conversations et de symboles qui ont marqué sa vie, l’artiste interroge la construction de la négritude en tant que force politique en Espagne. 

Bonjour Ruben, Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Rubén, j’ai 41 ans, je vis à Madrid et je travaille avec la photographie, le cinéma et le design graphique.

Après la Biennale de Bamako et le Musée Reina Sofia, vous exposez maintenant au festival Circulation(s). Y tú, ¿por qué eres negro ? Comment est né ce projet ? Comment se constituent ces archives vivantes personnelles et collectives ?
Le projet est né à la suite d’un atelier  autour du livre photo. Tout au long de ma vie, on m’a demandé d’où je venais et d’où venaient mes parents. Je suis donc parti de la question suivante : « Et toi, pourquoi es-tu noir ? ».
Jusqu’au dernier moment, je ne savais pas ce que j’allais raconter ni comment.
J’ai d’abord accumulé beaucoup d’images qui étaient liées à ma vie, des archives personnelles. J’ai également collecté des images de la culture populaire en Espagne et des archives de la bibliothèque nationale principalement celles qui construisent l’idée de « l’homme noir ». Puis j’ai écrit un texte avec des anecdotes de ma vie liées à la race. J’ai finalement mélangé les deux et un petit livre est né.

© Rubén H. Bermudez
© Rubén H. Bermudez
© Rubén H. Bermudez
© Rubén H. Bermudez

Ce projet Y tú, ¿por qué eres negro ?  est donc au départ un livre. Que peut-on y découvrir ?
J’ai publié la première édition en 2017, depuis, il a été réédité plusieurs fois. Maintenant nous vendons une édition de poche que nous appelons « édition populaire », elle est bilingue. Dans le livre, vous pouvez trouver une histoire à la première personne dans laquelle je parle de ma relation avec ma noirceur. Il y a peu de textes et beaucoup d’images.
A partir du livre, le festival Circulation(s) a fait une exposition.

Le travail de Rubén H. Bermudez exposé dans le cadre de la 12ème édition du festival Circulation(s) qui a eu lieu du 2 avril au 29 mai 2022
Le travail de Rubén H. Bermudez exposé dans le cadre de la 12ème édition du festival Circulation(s) qui a eu lieu du 2 avril au 29 mai 2022

Comment le public réagit-il ?
Très bien. Merveilleusement bien. Cinq ans après la première édition, les gens qui découvrent le livre continuent à me dire à quel point c’est important pour eux. C’est très joli. Il a aussi été salué par la critique et m’a permis de faire beaucoup de choses dans le monde entier.

Votre travail questionne la construction iconographique de la culture noire en Espagne. Quel est l’état actuel de la recherche, des musées et de l’iconographie contemporaine en Espagne sur ce sujet ?
En Espagne, je pense que nous sommes un peu en retard si nous nous comparons aux autres pays européens. Il n’y a pratiquement pas de personnes noires à des postes de pouvoir dans les espaces de la culture, des musées ou de l’art contemporain. Il y a donc un grand travail à faire et nous n’en sommes qu’au début.

Comment contribuent-ils à une réflexion sur la question de la négritude en Europe ?
Je ne sais pas, je ne suis pas très sûr. Je pense que mon livre a aidé d’autres personnes à réaliser leurs livres/films en Espagne. Je pense qu’il est important que les Afro-espagnols, ou quel que soit le nom que nous voulons nous donner, participent à la conversation sur la négritude en Europe.
Mon livre et mon film apportent un petit grain de sable.

Cela nous a bien sûr fait penser au livre « Afropean » de Johny Pitts, qui questionne la représentation des Afropéens, que nous avons récemment présenté avec le magazine B-Side sur Afrique in visu. Comment vos problématiques personnelles se sont-elles croisées ? Quel est le lien entre ces deux projets ?
Quand j’ai vu Afropean de Johny Pitts, je me suis sentie bien, cela m’a fait voir que mon projet n’était pas unique. J’ai également vu le travail de Lucía Asué Mbomío, Grada Kilomba ou Moha Gerehou. Je pense que les Afros d’Europe doivent raconter leurs propres histoires. Nous pouvons et nous voulons le faire. Le moment est venu.

Aujourd’hui votre pratique s’articule entre l’image photographique mais aussi l’image animée., n’est-ce pas ?
Un jour, je suis allé au musée CA2M et j’ai vu une œuvre d’Arthur Jaffa. Elle m’a beaucoup ému et je me suis dit que je pourrais aussi faire quelque chose comme ça. Puis j’ai commencé à dire « Je veux faire un film » et j’ai commencé à penser comme si j’étais un réalisateur de films.
Faire le livre a été un processus tortueux et difficile et je voulais faire quelque chose sans pression, avec des amis et en prenant le plus de plaisir possible.

Votre nouveau film de 2021 s’appelle We All Like Plantain. Qu’est-ce que vous explorez ?
Je ne sais vraiment pas. Mon point de départ était de copier Arthur Jaffa et de trouver ma voix. J’ai vite compris que je ne voulais pas raconter à nouveau mon histoire et j’ai décidé de confier le pouvoir de la caméra à quelques amis. Je pense que nous étions à la recherche d’un récit noir qui s’éloigne des idées de racisme, de résistance ou de souffrance.
Le film est enregistré avec des smartphones, avec un très petit budget, et doit beaucoup à Mekas, Lopez Carrasco ou Lucía Mbomío.
Avec le film, je trouve deux types de public. Certaines personnes l’adorent et me disent que c’est « comme manger une mangue ou se promener sur la plage » et d’autres personnes le trouvent très ennuyeux et absurde. Moi, j’aime bien comment c’est.

Image extraite du film de Rubén H. Bermudez
Image extraite du film de Rubén H. Bermudez
Image extraite du film de Rubén H. Bermudez

Vous avez récemment cofondé le collectif AfroConciencia. Que vous apporte cette démarche collective ? Et quelles actions menez-vous avec ce collectif ?
Cela fait maintenant cinq ans que nous travaillons à AfroConciencia. Nous avons dû changer le nom et maintenant nous sommes Conciencia-Afro. Nous avons fait des ateliers, des actions collectives, un magazine numérique, des conseils juridiques et même un festival auquel ont participé des milliers de personnes. Depuis quelques mois, nous avons ouvert notre propre centre culturel. C’est incroyable

Quels sont vos projets  dans le futur ?
Dernièrement, j’ai dit que je voulais faire un jeu vidéo. On verra bien ce qui se passe…