Nathalie Mba Bikoro, artiste pluridisciplinaire

Saint Louis du Sénégal, le 16 mai 2012. Dans une maison d’hôte qui a pour nom « Au fil du fleuve », se tient, dans le cadre du off de la biennale de Dakar, le vernissage de l’exposition titrée « La traversée Jaune, la valse des peuples ».

The Uncomfortable Truth / St Bartholomea  ArtEvict London 2010 (photos by Kiki Taira) & Poland EPAF Festival Warsaw 2011 (photos by EPAF)
The Uncomfortable Truth / St Bartholomea ArtEvict London 2010 (photos by Kiki Taira) & Poland EPAF Festival Warsaw 2011 (photos by EPAF)
Cette dernière présente des estampes de Nathalie Mba Bikoro, et des objets et meubles design de Marie-Caroline Camara, la propriétaire des lieux. Un bel endroit, spacieux, fort agréablement bien agencé. Les visiteurs apprécient.

Sur les murs, les estampes de Nathalie Mba Bikoro interpellent. On les regarde une à une avec attention, et on se rend rapidement compte que beaucoup de choses se disent dans ces cadres où des silhouettes d’animaux, de personnages et de divers objets se découpent silencieuses dans des paysages essentiellement vides. Seul l’agencement des personnages sur les réserves du papier crée la profondeur, l’espace.

Nathalie Mba Bikoro, quant à elle, se trouve dans un coin de la pièce. Vêtue d’une robe aux motifs africains, elle se recouvre le visage de feuilles d’or. Un masque. Elle se lève et le public la suit. Bientôt nous nous retrouvons dans la rue Ex Ribet. C’est là que se joue la suite de la performance que l’artiste vient d’entamer sous nos yeux intrigués. Elle court, comme appâtée par ces cœurs de mouton cru tenus au bout d’un bâton de part et d’autre de la rue par deux garçons qui n’ont de cesse d’agiter leurs cannes à pêche improvisées. Dans ces cœurs crus sont plantés des clous que dans ses allers-retours la performeuse s’évertue à retirer un à un. Épuisée, elle souffle, elle crache.
Une fois tous les clous retirés du cœur, l’artiste se saisie d’une plaque portant le nom d’une rue « Passage Devès »… La rue Ex Ribet rebaptisée, la performance se termine. L’hommage est rendu.

Entretien avec Nathalie Mba Bikoro

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis une artiste franco-gabonaise née en 1985. Ma démarche se veut une réflexion sur les thèmes que sont la mémoire, l’histoire, les cultures et les issues concernant les droits de l’homme. Ma pratique artistique est pluridisciplinaire mais je me réfère principalement à la littérature. Toutefois, la performance occupe une place majeure dans ma pratique.

Votre actualité dans le cadre de la biennale de Dakar 2012 est double, à la fois vous êtes présente dans le IN et dans le OFF, c’était important pour vous de présenter vos travaux dans ces deux espaces de la biennale ?

En effet ma sélection dans le IN nous a permis, mon galeriste Ed Cross et moi, d’organiser une exposition dans le OFF. C’était très important pour moi de présenter la série d’estampes à Saint Louis pour révéler le monde d’Alice, une œuvre très différente de ce que je présente dans le IN. C’était l’occasion de créer des travaux en hommage aux habitants et à l’histoire de Saint Louis.

Vous avez reçu le prix du Centre Soleil pour votre proposition dans le IN, en quoi consiste ce prix ?

Ce prix consiste en une résidence d’artiste à Bamako. Laquelle à pour objet de mener une étude de 1 à 2 mois sur des thèmes lié à l’environnement actuel du site. Le but est de créer des liens entre l’art et l’éducation. Dans la perspective de création d’un lieu permanent où je pourrai continuer à travailler, mettre en place des workshops pour les élèves et faire des activités concernant la position des femmes. L’idée est d’introduire de nouvelles idées, d’entretenir des relations pour soutenir le travail et la vision des populations locales tout en proposant des dialogues entre les artistes et les communautés.

Votre technique navigue entre la photographie et l’estampe, pouvez-vous nous en parler ?

La série que je présente dans le OFF est un mixte de dessins et de photogravures rassemblés dans un collage sur estampe. C’est une technique qui permet de graver sur une plaque métallique puis ensuite de la traiter sous des acides liquides avant de pouvoir l’imprimer sur papier. Pour la deuxième partie de l’expo je me suis inspirée d’ancienne photos d’archive que je me suis réappropriée.

Cutting down the fetish tree - Estampe  17,2x8,2 cm, Encre noir sur papier ivoire, 2011 © Nathalie Mba Bikoro
Cutting down the fetish tree – Estampe 17,2×8,2 cm, Encre noir sur papier ivoire, 2011 © Nathalie Mba Bikoro

Quand on voit l’exposition on songe bien sur à l’œuvre de Kara Walker de par son aspect narratif et le découpage qui renvoie vaguement à ses films d’animation. Sans parler d’influence, est-ce une artiste dont vous appréciez le travail ?

Bien sur le travail de Kara Walker est très fort et m´inspire beaucoup !!! J’aime le traitement littéraire q’elle utilise pour construire ses animations avec le son et les traits de couleurs. Elle discute parfaitement l’enjeu de l’histoire des civilisations aux Etats-Unis. Quand j´ai commencé Alice Aux Pays Des Merveilles j’ai puisé mon inspiration dans la littérature de Lewis Carroll, Morrison, Kebede, Césaire, Diop, Courtemanche, Hooks, Rodney, Lucie Mba. L’intention était de créer un livre pour enfant qui serait disponible dans les écoles en commençant par le Gabon. C’est pour enrichir l’imaginaire et réécrire nos dialogues. La technique est venu un peu comme le sens du vent, j’ai suivi, j’ai découvert mes images et je voyage avec Alice. La technique de cette gravure opère naturellement avec ses ombres, encre noir brut, qui parfois s’effacent comme des fantômes.

Pouvez-vous nous détailler le propos de votre proposition dans le OFF ? Pourquoi ce titre « La traversée Jaune, la valse des peuples » ?

« La traversée Jaune, la valse des peuples » évoque le voyage de l’histoire, des familles et nos responsabilités en tant qu’être humain. La valse des peuples rebondie sur l’idée des racines, l’immigration et la politique, toujours en changement comme une valse métissée, créolisée entre plusieurs cultures. La couleur jaune renvoie également à la gomme arabique qui a une teinte jaune et orange à la lumière. Cela est un rappel de l’histoire de la famille Devès qui était propriétaire, dans la rue ex Ribet, d’une usine de gomme arabique. D’où l’hommage que je lui rends par le biais de ma performance que je réalise en partie dans cette rue. C’est aussi en référence à la fièvre jaune : l’idée de la maladie, de l’aveuglement, de la folie.

À la fois on retrouve bien cette histoire dans la maison avec l’une des lampes créées par Marie-Caroline Camara qui utilise de la gomme arabique entre les verres et ressort avec un reflet jaune. La maison est aussi peinte en jaune. La traversée jaune introduit donc un hommage à la famille Devès, à son histoire et à l’espace. Elle introduit très lentement les étapes que la famille a dû franchir, la manière dont la communauté les auraient traitée, cette ‘maladie’ de la dichotomie entre noir et blanc. A travers cette exposition, nous répondons à l’amour de la famille, la célébration de rencontres de cultures et nous commémorons la mémoire de ceux qui se sont battus pour notre futur.

The Playground / Giraffes - Estampe 29x11 cm, Encre noir sur papier ivoire, 2011 © Nathalie Mba Bikoro
The Playground / Giraffes – Estampe 29×11 cm, Encre noir sur papier ivoire, 2011 © Nathalie Mba Bikoro

Quel sens donner à la performance qui accompagne l’exposition « La traversée jaune » ?

La performance The Middle Passage accompagne l’expo, agrandie le voyage et montre les étapes à la fois d’Alice, et celles que nous traversons tous dans nos vies. Nos passages, nos rencontres. Elle parle des injustices, de l’amour de nos familles, de la fin du sortilège, de la culpabilité de la mère, des mythes et représentations de nos cultures, tout en concluant sur l’amour du peuple et de la famille. La performance se termine avec l’inauguration de la rue « Passage Devès », qui permet de lier le chemin de la traversée jaune.

L’or sur le visage exprime l’idée de la représentation imaginaire dans l’histoire. Un peu comme remettre le corps, à la manière d’un objet sans signification, dans le cimetière d´un musée. On me baptise avec de l’eau et je cours entre deux cœurs suspendus enlevant des clous jusqu’à les libérer avant de rendre hommage aux peuples et d’inaugurer la rue « Passage Devès ».

La dimension pédagogique tient une grande place dans votre démarche à ce que je crois savoir ?

En effet j’aime communiquer et découvrir avec les gens. Et cette passion je l’exerce dans ma profession d’enseignante, auprès de gens de tous les âges. J’organise des workshops créatifs en direction d’un public adulte ou plus jeune. J’enseigne la philosophie et les arts (arts management, digital media arts, production documentaire, littérature et théories) et je donne des cours d´histoire de l´art.

Ce qui m’intéresse c’est de donner une formation de base aux communautés qui peuvent l’entretenir dans le futur. Je fais ces voyages à travers l’Europe, le Brésil et au Gabon où je m’occupe d’un centre d´art et de culture.

L’exposition de Nathalie Mba Bikoro se tient dans le cadre du off de la Biennale de Dakar du 16 mai au 10 juin 2012.

Pour s’ y rendre : Maison d’hôtes « Au fil du Fleuve », Sud, Quai Henry Jay, rue El Hadji Malick Sy, Saint Louis, Sénégal.

The voyage of Venus / Middle Passage - Estampe 18,7x12,2 cm, Encre noir sur papier ivoire, 2012 © Nathalie Mba Bikoro
The voyage of Venus / Middle Passage – Estampe 18,7×12,2 cm, Encre noir sur papier ivoire, 2012 © Nathalie Mba Bikoro