­A Bruxelles, le week-end de la rentrée des…

­A Bruxelles, le week-end de la rentrée des galeries est un moment phare de la scène artistique locale[[Brussels gallery weekend, 07, 08 et 09 septembre 2018, www.brusselsgalleryweekend.com]]. On peut s’y balader pendant plusieurs jours dans les galeries d’art contemporain mais également dans des lieux culturels alternatifs et se nourrir à foison des créations contemporaines les plus récentes. Cette année, la photographie africaine y a trouvé une place de choix.

Commençons par une rencontre assez déroutante dans les différentes galeries du haut de la ville avec un groupe de sapeurs congolais déambulant un verre à la main. Cette performance intitulée The Sartorial Show de Defustel Ndjoko[[Un créateur camerounais installé en Belgique et nouvelle icône de la mode]] et organisée en marge de l’exposition sur les masques rituels d’Afrique noire à la galerie Didier Claes, dénote ironiquement dans des quartiers connus pour leur tranquillité bourgeoise et leur fortune bâtie pendant le passé colonial de la Belgique où de nombreux Belges ont pu s’enrichir largement et faire prospérer maintes entreprises sous couvert d’une mission « civilisatrice ».

De là, nous passons dans les deux espaces de la galerie Félix Frachon[[http://www.felixfrachon.com/ Sculpter le temps, Nyaba Ouedrago, jusqu’au 18 novembre 2018]] qui propose un bel ensemble rétrospectif d’une vingtaine de photographies de Nyaba Ouedrago sous le titre Sculpter le temps. Depuis 10 ans, ce photographe burkinabé s’intéresse à des sujets politiques, économiques, sociologiques et écologiques. L’enfer du Cuivre, Les fantômes du fleuve Congo, Casseurs de Granit, Erreur Humaine sont les titres de ces séries dans lesquelles le photographe mêle sujets sociaux et esthétisme revendiqué. Sa préoccupation est de nous montrer comment l’Afrique vit aujourd’hui. Avec un regard nouveau, avec l’intention de ne pas sombrer dans la fatalité mais de donner à voir la vie quotidienne des Africains. Ainsi dans Les Fantômes du Fleuve Congo, il retrace à partir du livre Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad un langage qui évoque passé colonial et présent à travers des images mystiques et étranges des habitants des berges du fleuve.

Dans cette série Les Fantômes du fleuve Congo, spécifiquement du point de vue de Brazzaville, j’ai volontairement évoqué la tension, la violence, la liberté et la vie qui existent dans ce fleuve mythique et mystique à la fois. J’ai souhaité parler de ces hommes et le rapport qu’ils entretiennent avec le fleuve. À travers mes images, je rends compte du passé et du présent. Je montre une vision documentariste, artistique et conceptuelle. Je montre un Congo nouveau, un Congo contemporain.

Dans L’enfer du cuivre au Ghana, des déchets électroniques en provenance des pays occidentaux sont recyclés par de jeunes ghanéens au mépris de leur santé afin d’en fabriquer des bagues et des bracelets. Nyaba Ouedrago considère qu’il est de son devoir de faire jaillir de l’ombre des questions.

Le but est de témoigner du présent. Dans mes images, je recherche une attitude non pas neutre, mais naturelle, afin d’éviter que les protagonistes cherchent à contrôler leur image, qu’ils « posent » devant l’objectif. Je les ai photographiés dans leurs lieux de travail, avec une liberté qui m’est propre. J’ai ainsi voulu donner une vision synthétique du phénomène.

Nous continuons notre promenade avec la présentation d’une photographie de la série L’Europe fantôme dans l’espace window de la galerie Hopstreet[[Window#15, sur invitation de Hans Martens, Hopstreet gallery, jusqu’au 27 octobre 2018]]. Dans le cadre d’un prêt d’objets de l’Africa museum de Tervueren, le MuZee à Ostende a invité le photographe Patrick Wokmeni à proposer une réflexion autour de la notion du patrimoine colonial et post-colonial. Au milieu d’un décor typiquement bamiléké, des personnes (issues de la diaspora africaine) manipulent précautionneusement des objets à la valeur inestimable: masques, fétiches, sculptures passent de mains en mains, sont ajustés sur les têtes, présentés, montrés dans une scénographie presque chorégraphique. Le regard du photographe pose la question de la place des objets ethnographiques dans les collections muséales européennes ainsi que le statut qui leur a été conféré par leur transposition d’un contexte originel rituel à un contexte de préservation et de conservation du patrimoine. Questionnement brûlant d’actualité puisque d’autres musées ethnographiques européens ont entamé des réflexions analogues quant à la nature et au sens même de leurs collections dans le souci de créer des musées post-ethnographiques[[En regard notamment avec l’actualité actuelle en Belgique : réouverture de l’Africa Museum en décembre 2018 et débats entourant la question de la restitution du patrimoine africain]].

Enfin, Hangar nous propose de découvrir l’entièreté de la série Weke[[Qui signifie «l’univers visible et invisible, toutes choses créées, vivant, respirant ou non»]] de Namsa Leuba[[Exposition visible jusqu’au 06 octobre 2018]]. Dans la lignée de ses recherches sur l’identité africaine vue par le prisme occidental, Namsa Leuba crée un univers fantasmagorique entre images de mode et coutumes séculaires qui explore les différentes religions et cosmologies africaines. Ici, elle nous emmène au coeur du Vodun.
Le Bénin est le lieu de naissance du Vodun, prédominant de nombreuses religions de plus de 10 000 ans, et il existe des groupes qui maintiennent la tradition vivante et forte. La cosmologie de Vodun est basée sur l’idée que les esprits gouvernent le monde naturel et humain, et les pratiques religieuses incorporent des cérémonies qui communiquent avec les dieux mythiques et les ancêtres. Le principe fondamental du vodun stipule la continuité de toutes choses visibles et invisibles dans l’univers, une croyance dans l’interconnexion du monde vivant, spirituel et naturel. Inspiré par les codes visuels et les symboles du Vodun, j’ai construit une série photographique performative qui a réitéré des rituels importants.

A la manière d’une anthropologue, elle a ainsi longuement séjourné et voyagé au Bénin pour comprendre l’essence du Vodun mais également pour trouver ses modèles et les lieux idéaux pour les photographier. Ces images saisissantes de beauté érigent ces personnes posant de façon théâtrale avec des objets sacrés et profanes en de véritables icônes de mode. Namsa explore également dans cette série de nouveaux dispositifs photographiques qui deviennent des objets tridimensionnels à part entière comme ces impressions sur de la porcelaine de Limoges, ces tapisseries étonnantes à la limite de l’abstraction ou ces installations photographiques. Un nouveau tournant dans la déjà très riche et prolifique carrière de cette jeune artiste.

© NamsaLeuba
© NamsaLeuba