Addis Foto Fest

Pour la quatrième édition de sa biennale Addis Foto Fest, du 15 au 20 décembre 2016, l’Ethiopienne Aida Muluneh, créatrice et directrice de l’événement, considère les photographes qu’elle expose comme des militants. De fait, la photo utilitaire et sérieuse domine dans les deux immenses salons chamarrés du Sheraton Hôtel Addis, le sexe, le sang et la drogue étant, par recommandation, tenus à l’écart.

Outre sa volonté de réunir des photographes de tous horizons, 134 artistes en tout, Aida Muluneh privilégie la jeune garde, surtout éthiopienne.

Avant l’exposition, dans un couloir, une carte géante présente les quarante pays dont sont originaires les photographes. L’accroche : « Uniting Africa and the World through Photography » correspond donc à la version photographique d’une utopie panafricaniste.

Au vernissage, une foule d’invités zigzaguent entre les trop nombreux boxes alignés au cordeau. Il est vrai que la manifestation devait aussi se dérouler en extérieur et que, pour des raisons de sécurité, il a fallu se concentrer dans ce luxueux lieu clos.

Les cartels relégués en bas des panneaux d’accrochage sont inaccessibles ? Il est parfois bon d’être informé du sujet traité : les portraits du Mozambicain Hamilton Neves de femmes âgées sont en fait ceux de « Marraines de guerre » qui avaient soutenu les soldats de l’armée coloniale portugaise entre 1961 et 1974. Leur soutien au gouvernement de l’époque explique leur marginalisation après l’indépendance.

**Revers de l’histoire.

Globalement, les énergies documentaires des photographes alimentent trois grands fleuves : le portrait, la religion, la ville.

Les portraits en studio sont une denrée rare. Mais quelques exceptions : Djibril Drame (Sénégal) dépeint un homme au boubou immaculé, à la pose altière et élégante: c’est une photo touchée par la grâce. Les nombreux portraits en extérieur sont très posés. Naod Lemma (Ethiopie) se montre inventif. Aderemi Adegbite (Nigeria) donne à voir un travail thérapeutique assumé, superpositions heureuses de couleurs et de formes. Et ces portraits idéalisés de migrants intra-Ethiopie sont de Yafet Daniel. Enfin, un magnifique Genaye Eshetu (Ethiopie) : une femme de dos porte le fichu appelée « Gojjame Azene » de la région du Gojam.

© Nii Obodai
© Nii Obodai

L’importance dans cette biennale de la représentation du phénomène religieux peut surprendre. Mais nous sommes en Ethiopie, la croyance y rythme la vie, jour et nuit.

Il y a donc chez les photographes un fort consensus autour de cette religion orthodoxe acceptée sans restriction. Cette absolue fidélité qui va ici de soi s’accompagne du respect de la tradition, tout en étant même parfois l’expression d’un net patriotisme.La religion inspire donc beaucoup de photographes, surtout éthiopiens. Hagiographique, cette exploration recense et encense d’un même clic la richesse esthétique de sites sacrés, les églises enfouies de Lalibela offrant par exemple en noir et blanc de séduisants contrastes. De son côté, Geremew Tigamu s’attarde sur la célébration de la découverte en Ethiopie de la vraie croix. Ou bien Eyoel Mamo se consacre à la cérémonie du Timket (Epiphanie), le baptême de Jésus dans le Jourdain. La religion musulmane est peu investie. Les clichés du Ghanéen Nii Obodai font presque figure d’exception. Dans ses « Musulmans et Chrétiens », l’abondante couleur blanche mange en douceur des silhouettes affaiblies.

La ville représente un enjeu fort, surtout pour des photographes qui se définissent souvent comme des photographes de rue. Quand ils y vivent, la ville mutante d’Addis Abeba les fascine. Dans « The light railway », Michael Fassil photographie des clichés maculés qui traînent par terre après la démolition d’un studio photo; et un visage de femme tout griffonné ressort de ce beau chaos graphique. « Pourquoi en est-on arrivé là ? se demande le photographe. Toutes ces identités à recueillir… »

A Tombouctou, Francis Koroko (Ghana) réussit des tours de force visuels, presque surréalistes. A Madagascar, Emmanuelle Andrianjafy surexpose des maisons éparpillées, abandonnées. Leurs dessins deviennent approximatifs, les couleurs sont comme exténuées, chlorotiques.
La simplicité frappante d’un environnement ordinaire appartient à Malala
Andrialavidrazana
(Madagascar). Petits univers qui se détachent du réel, et
entièrement assujettis à l’émotion. Au Nord, les approches sont quelques fois bien différentes. Le graphisme noir et blanc du Polonais Maran Ryczck en est le meilleur exemple : la ligne comme fondement d’une esthétique intransigeante.

© Michael Fassil
© Michael Fassil

« D’où vient cette sensation vague de mollesse qui se dégage de l’ensemble de la manifestation », se demande en fin de partie un photographe anglophone qui ne perçoit pas la tension entre l’affirmation photographique africaine et le refus de s’y laisser enfermer.

Il n’empêche. Nabil Boutros (Egypte) met sur pied des têtes de mouton qui laissent pensifs. D’autres artistes choisissent de naviguer en eaux plus profondes. Keyezua (Angola) baptise « Stone Orgasms » son difficile travail sur la mutilation génitale des femmes, 125 millions de victimes, selon elle, qui peuvent difficilement éprouver des sentiments et jouir de leur sexualité. Enfin, « The challenge » d’Alaa Salih Jaafar (Soudan), promeut la première et unique équipe de foot soudanaise. Pour lutter contre le conservatisme ambiant.

Vincent Godeau

Historien de la photographie africaine

Addis Abeba, 3 janvier 2016