« A mon retour, je te raconte »

Le titre de l’exposition dit beaucoup. « A mon retour, je te raconte » est, bien sûr, un clin d’œil au thème du 7e Printemps de l’art contemporain à Marseille, dont elle fait partie : la carte postale. C’est le genre de phrase que l’on peut écrire au dos d’une carte… Mais c’est aussi un rapport direct à l’histoire personnelle de Michèle Sylvander, qui a passé son enfance en Allemagne, au Maroc et en Algérie, au gré des affectations de son père militaire.

C’est cette enfance et cette histoire familiale – liée à l’histoire coloniale de la France – qu’elle a décidé de revisiter et de mettre en scène au Château de Servières. De l’ensemble, transpirent à la fois douceur et violence. « C’est la suite de mon travail sur la famille, un de mes thèmes de prédilection depuis des années. Le décès de ma mère a déclenché le besoin de fouiller dans les photos et albums de famille », explique l’artiste née en 1944, passée par les Beaux-Arts de Marseille et qui privilégie la photographie et la vidéo dans ses œuvres.

L’exposition se divise en deux parties, une consacrée au père. Une à la mère. Côté mère, on est plongé dans une évocation sentimentale. Il y a cette magnifique image de ses cheveux gris tressés. A 93 ans, la voici retombée en enfance… Ou encore cette vidéo touchante d’elle, à 80 ans, écoutant et fredonnant la chanson préférée de ses filles lorsqu’elles étaient petites : « Only you » des Platters. Et puis les grands formats de la série « Un monde parfait » : des photos prises par sa mère (« des images très fortes alors qu’elle n’avait aucune culture visuelle ») que Michèle Sylvander a fait rejouer par des membres de sa famille 40 ans plus tard. Une reconstitution du monde de l’enfance, dont les traumatismes se trouvent aussi évoqués. Comme dans la vidéo « La convocation » qui rappelle qu’en 1954, pendant la guerre d’Indochine, les femmes étaient convoquées dans la cour de l’école pour apprendre la mort d’un mari ou d’un fils, tandis que les jeux d’enfant se poursuivaient… « J’avais 10 ans au moment de la bataille de Diên Biên Phu », se souvient Michèle Sylvander.

L’Indochine, il en est question dans la partie de l’exposition réservée à la figure du père. L’artiste y a créé une carte fictive du pays sur laquelle elle a imaginé le voyage du père pendant la guerre. Dans cette partie paternelle, elle mêle photos d’archives personnelles et anonymes ainsi que ces créations, comme cette veste-souvenir : « Ma mère, pour se moquer de mon père, nous fabriquait des vêtements avec ses galons, cette veste est celle qu’elle avait cousue pour ma sœur ».

Et puis il y a cette vidéo, « Disparues » (2015). Des bobines qui brûlent dans un lavabo. Elles ont un rapport avec la guerre d’Algérie. Bobines de l’infâmie ? « Dans les archives de mon père, j’ai trouvé beaucoup de choses sur la guerre d’Algérie qui ne m’ont pas plu. Mon père était contre le putsch des généraux et pour la décolonisation. C’est lui qui m’a parlé le premier de la torture. J’avais 17 ans. Cette guerre et ce que m’en a raconté mon père ont fondé ma conscience politique. J’ai retrouvé beaucoup d’écrits, surtout des ordres militaires car mon père a travaillé dans les renseignements. Ainsi que des négatifs, qui ont été conservés par erreur au milieu des photos de famille. Sur l’un d’entre eux, on devine un homme accroché à un poteau les bras en croix, comme un Christ. J’ai décidé de détruire ces archives, de brûler les bobines et j’ai filmé ce processus. » Poussant ainsi jusqu’au bout la logique présence/absence qui émane de nombreuses de ses œuvres. « Michèle Sylvander se laisse hanter par différents niveau de narration, par l’inconnu ou l’indicible, le temps d’une exposition », écrit la co-commissaire Caroline Hancock, dans le catalogue monographique (« Des histoires », éditions p). Le visiteur, lui aussi, ressort hanté par ce parcours au bord des vies. Au bord de la vie.

© Michèle Sylvander
© Michèle Sylvander
© Michèle Sylvander
© Michèle Sylvander

© Michèle Sylvander
© Michèle Sylvander

« A mon retour, je te raconte », Michèle Sylvander

Commissariat : Martine Robin et Caroline Hancock

Jusqu’au 11 juillet au Château de Servières, 19 boulevard Boisson, 13004 Marseille

www.marseilleexpos.com