Rencontres Photographiques de Guyane 2021

L’édition 2021 des 7èmes Rencontres Photographiques de Guyane portée par son directeur artistique Karl Joseph et l’association la Tête dans les Images s’est ouverte sous le titre Juste à côté de nous, Amazonie ? et propose d’explorer les rapports complexes entre l’homme et son environnement en posant des questions brûlantes d’actualité et profondément liées aux imaginaires et aux histoires qui naissent de et dans cette forêt. Que représente symboliquement et politiquement au XXIème siècle cette dense forêt tropicale dont la vitalité et l’étendue en font un poumon vert essentiel au bon fonctionnement de notre planète ?

L’exposition Les Fruits de l’arrangement tragique du photographe guyanais Mirtho Linguet a inauguré les Rencontres au Fort Diamant, un bâtiment symbolique qui résonne particulièrement avec son travail. Construit en 1840 et classé monument historique, il est positionné à l’embouchure du fleuve Mahury, un important point stratégique de défense de l’île de Cayenne face aux invasions et qui a été le théâtre d’affrontements entre les troupes françaises et les Amérindiens.

Cette « lutte », on la retrouve également en filigrane dans la série photographique des Black Dolls project engagé depuis 2015 par Mirtho Linguet et qui permet de comprendre l’exposition au Fort Diamant et d’englober l’engagement politique et artistique du photographe. Divisé en trois projets Poupées Noires, Flora et Mental-Cide, ce travail pose la question de comment exister dans un système oppressif hérité de la colonisation. Tandis que Poupées noires questionne le racisme quotidien dans des mises en scène travaillées incarnées dans des corps de femmes, Flora évoque le racisme dans l’imaginaire et enfin Mental-Cide serait le bain démarré, soit le bain purificateur qui permettrait de se départir de cet état toxique. Ces trois chapitres posent les problèmes, les conséquences et les solutions dans une esthétique largement influencée par son expérience dans le milieu de la mode : mise en scène, poses, lumière et couleurs saturées.

Dans le cadre des Rencontres Photographiques, des résidences croisées entre Guyane, Martinique et Guadeloupe avaient été organisées mais celle de Mirtho ayant été rendue trop complexe à cause des conditions sanitaires, il a donc travaillé en Guyane et a développé un pendant masculin à Flora. En effet, le photographe a longuement travaillé sur les corps des femmes mais la confrontation au corps masculin était aussi une étape essentielle dans le cheminement conceptuel. Cette série, intitulée Mèt bwa, s’inspire entre autres de l’ouvrage Contes et légendes de Guyane de Michel Lohier : des maîtres de la nuit, soucougnans et autres loups-garous y sont figurés dans des cérémonies nocturnes qui renforcent le sentiment d’étrangeté. Ces corps mâtinés par une atmosphère digne des nuits tropicales d’Edouard Glissant dans les Hommes Livres font également appel à la subversion et aux revendications sociétales et politiques exprimées lors du carnaval guyanais.

Un certain sens de la nuit qui m’a été particulier. La nuit comme ouverture, comme connaissance et aussi comme mystique (…). Ici aux Antilles, les zombies, les loups garous, tous les produits et les êtres malfaisants ou non de la mythologie populaire sont les maîtres de la nuit. (..)

A partir de l’expérience du conteur sur les habitations, j’ai essayé de voir si au-delà du scepticisme naturel qu’on pouvait avoir pour tous ces phénomènes si il n’y avait pas quelque chose qui remplissait le nuit et qui faisait qu’elle pouvait nous porter bien au-delà de nous-mêmes. La nuit tropicale m’a porté bien au-delà de moi-même.

Enfin, la série Structure en toute opposition esthétique et conceptuelle pose quant à elle un regard critique sur des fleurons architecturaux mais qui sont restés sans effet sur la population, soit des gestes vains et inutiles en termes politiques : photographies lumineuses de bâtiments abandonnés qui créent une sorte de typologie de ces fameux « éléphants blancs » comme on les nomme en Afrique de l’Ouest. L’alternance de cette série avec Mèt Bwa joue un effet fort de contrastes en terme scénographique et permet de faire des pauses dans un parcours dense, teinté de mysticisme et d’étrangeté. Résultat d’un travail tant politique qu’esthétique,l’exposition Les Fruits d’un arrangement tragique se lit aussi au travers des mots du photographe-même et en appelle à une prise de conscience politique.

https://produiredelajustice.wordpress.com/author/uiccsc/

Malgré zot ka corché la po a zo
Malgré zot tiré mo la po
zot le mo pa di anyen,
ki mo kontinwe grignin !

Malgré nou pa ganyen anyen
zot lé mo kontan,
zot le mo dansé,
fé mo komprann ki la vie a bel !
ki mo kontinwe grignin !

Malgré zo,ke la restan,
zot ka lésé pou nou,
zot lé mo kontan
zot le mo grignin !

Min nou jodla,
pa di ki mo pa bel,
pa di ki mo monstrueux,
pa di ki mo vilain,pa di ki mo grotesque.

Si mo konsa jodla
A ki moun ki rendé mo kou mo fika jodla ?
A Ki moun.

Min nou jodla,
Nou la douvan zot,
min nou.

pié bannann a jité
min nou
« fruits de l’arrangement tragique ».
I tan pôu nou louvri nou oueie
I tan pou arrete grignin.
Tou sa nou ka mandé à jistis.

Alors que vous écorchez nos peaux, jusqu’à l’os
Alors que vous avez retiré ma peau
Vous voulez que je ne dise rien
Que je continue à sourire !

Alors que je n’ai rien,
Vous voulez que je sois content,Que je continue à danser,
Me faisant croire que la vie est belle !
Que je continue à sourire !

Alors que ce sont des os et des restes,
Que vous laissez pour nous,
Vous voulez que je ne dise rien
Que je continue à sourire !

Nous voici aujourd’hui,
Ne dites pas que je ne suis pas beau,
Ne dites pas que je suis monstrueux,
Ne dites pas que je suis vilain,

Ne dites pas que je suis grotesque.
Si je suis comme cela aujourd’hui
Qui a fait que je sois comme cela aujourd’hui ?

A Mental-Cide
© Mirtho Linguet
Structures CNES
© Mirtho Linguet

Soulignons également le formidable travail de résidences organisées par l’association avec des échanges entre Martinique, Guadeloupe et Guyane avec les photographes Anaïs C., Gerno Odang et Nicolas Derné dont les travaux présentent chacun une esthétique particulière et des sujets passionnants allant des savoirs faire artisanaux, à la disparition et à la puissance de la nature et aux marronnages.

Enfin, une mention toute particulière pour les expositions de Yann Gross & Arguine Escandon Aya ainsi qu’à Quentin Chantrel pour les Blancs de l’Approuague. Yann Gross nous immerge dans la jungle au péruvienne à travers une expérience de l’extrême et des tentatives fusionnelles entre sujet et objet artistique à travers des diètes et l’expérimentation photographique sur des végétaux. Quant à Quentin Chantrel, il nous emmène dans une exposition immersive, intime et particulièrement touchante et nostalgique: on se retrouve face à une table vide contenant les restes d’un goûter de couac-sardines, des livres d’école et des dessins. Il y pose la question d’une vie de famille en marge de la société, en pleine nature et bien loin des normes sociétales tout en soulignant le courage d’avoir fait ce choix de vie familial hors cadre.

Exposition Aya de Yann Gross & Arguine Escandon.
Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture.
Exposition Aya de Yann Gross & Arguine Escandon.
Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture.
Exposition Aya de Yann Gross & Arguine Escandon.
Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture.
Exposition Les Blancs de l’Approuague de Quentin Chantrel
Exposition Les Blancs de l’Approuague de Quentin Chantrel
Exposition Les Blancs de l’Approuague de Quentin Chantrel

A voir également au centre Carma de Mana la vidéo L’image extractive de Daphné Nan le Sergent sur la photographie argentique : une histoire faite d’images d’archives et documentaires qui devient en partie fictionnelle quand l’artiste se permet elle-même de la revisiter avec une grande liberté.

Et enfin la formidable programmation de films et vidéos d’artistes portée par Victor Zebo de l’association Guyane art Factory Tropisme équateur avec les vidéos d’Ana Vaz, Laura Huertas Millan, etc…dans l’espace de la Poudrière à Cayenne. A travers un puissant maillage du territoire, des résidences d’artistes dont les productions finales sont judicieuses, élaborées et éloquentes dans le contexte actuel, des partenariats avec de nombreuses structures locales implantées durablement dans le territoire guyanais : le centre d’art Carma à Mana, l’écomusée de Régina, le CIAP à Saint Laurent du Maroni ainsi que des associations très actives comme la Guyane Art Factory, les Rencontres Photographiques remportent haut la main le défi actuel des biennales d’art et de photographie en s’ancrant durablement dans le territoire guyanais, en soutenant la jeune création artistique et en posant les termes d’une réflexion écologique et politique et non des moindres à travers les concepts d’écologie décoloniale développés par Malcolm Ferdinand.

Exposition Les libres enfants de Gerno Odang
Exposition Les libres enfants de Gerno Odang
Exposition La Nature a horreur du vide de Nicolas Derné
à la Maison de l’architecture de Guyane, Cayenne.
Exposition La Nature a horreur du vide de Nicolas Derné
à la Maison de l’architecture de Guyane, Cayenne.
Exposition La Nature a horreur du vide de Nicolas Derné
à la Maison de l’architecture de Guyane, Cayenne.