La photographie africaine contemporaine

Comme la photographie africaine contemporaine entretient d’étroits rapports avec l’actualité et l’histoire, sa production est marquée par les contextes sociaux et politiques. Au premier coup d’œil, cette photographie est une métaphore de la situation du continent. Elle correspond à ce que l’on appelle une photographie sociale « chargée d’assurer un dialogue social ». Les questions de l’esclavage et du colonialisme, celle de l’ignorance totale ou partielle dans laquelle l’art africain a été tenu et celle du néo-colonialisme sont les principaux points de vue rencontrés, essentiellement ceux du Nord. Ils émanent, dans la majorité des cas, des représentants d’institutions publiques françaises, même s’ils peuvent aussi venir des Anglo-Saxons.

Mais l’appellation « photographie africaine » ne va pas de soi. De fait, cette photographie ne constitue ni un genre, ni un mouvement artistique. Il n’y a pas à proprement parler de photographie africaine, seulement parfois des spécificités photographiques régionales, par exemple celle des photos de paires, c’est-à-dire de jumeaux ou de faux jumeaux, en Afrique de l’Ouest.

Samuel Fosso, Lisons dans le futur© Samuel Fosso, courtesy JM Patras Paris.
Samuel Fosso, Lisons dans le futur© Samuel Fosso, courtesy JM Patras Paris.
Il existe cependant un cas photographique africain. Ce cas s’explique par l’allure tranchée des opinions qui s’expriment dès lors que l’on parle de cette photographie. Et ces opinions, qui ne sont pas si nombreuses, finissent par former un petit collier d’invariants.

Le goût de l’exotisme est un des grands reproches adressé à l’Occident lorsque celui-ci commence de s’intéresser, sous l’angle de la photo, à l’Afrique, au début des colonisations, un reproche qui reste d’actualité.

La photographie africaine est traversée par la question d’une insaisissable identité. Elle est l’objet de polémiques concernant ce qu’elle est censée être. Par exemple, en 2006, l’historienne française Erika Nimis critique l’exposition américaine Snap Judgments qui ne montre pas la vraie photo africaine.

Une autre particularité du cas photographique africain est le rôle majeur joué par les photographes de la diaspora. La Biennale de Bamako les a tôt sélectionnés dans la mesure où leurs travaux témoignaient d’une relative africanité. S’il n’y a pas de photographie africaine, il y a donc des photographes d’origine africaine qui parlent Afrique. Parler Afrique, c’est traiter des thèmes liés à l’histoire et à l’actualité du continent.

Dans un contexte d’engouement compassionnel, un leitmotiv apparaît au tournant des années 1990 : il faut aider les photographes africains à sortir de leur isolement. Ces photographes souffriraient d’avoir été trop longtemps ignorés. Il est donc nécessaire de leur faciliter l’accès à l’international, essentiellement via la Biennale de Bamako. Mais on constate qu’à la fin des années 2000 la reconnaissance pour un artiste photographe africain passe toujours par le Nord. L’indifférence de la majorité des Etats africains à l’égard de la photographie étant, au mieux, l’objet de pensées murmurées.

Même aujourd’hui, l’isolement n’est pas vaincu. D’ailleurs, le constat discret mais récurrent de la lenteur de l’Afrique, tout au long de notre période 1989-2009, à entrer dans la modernité photographique est aussi à prendre en compte – cette modernité se définissant de plusieurs manières : la présence d’un Etat fort conduisant une politique culturelle marquée ; le culte du perfectionnement à l’occidental ; la mise à distance des productions utilitaires et la revendication de l’autonomie de l’art.

La photographie, c’est de l’art est une profession de foi caractéristique de la photographie africaine qui a été une photographie classique noir et blanc, une photographie de studio ou de rue humanistes. Peu d’exemples d’une photographie d’avant-garde. Certains photographes ont même lutté pour rattraper ce qu’ils considéraient être leur retard par rapport à ce qui se fait en Occident, ou bien y ont été implicitement invités à travers différentes programmations institutionnelles.

Sur le plan photographique, les pays d’Afrique à héritage anglophone paraissent en avance. En fait, cette considération concerne essentiellement l’Afrique du Sud. L’Afrique du Sud a la particularité d’avoir su, à l’aide de la photographie, clarifier « sa situation et apaiser le destin social des passions où se joue le rapport à la guerre et au crime ». Elle a accédé plus tôt à la reconnaissance internationale, et ce grâce au reportage photographique engagé. A l’inverse des photographes travaillant dans l’aire francophone, les photographes sud-africains ont exercé leur métier contre la volonté de leurs dirigeants. « La lutte », comme disent ces photographes qui ont été de véritables photographes engagés, a fait de la photographie une arme à part entière.

Concernant le marché de l’art, le constat établi par Basile Allainmat en 1992 est globalement valide en 2009 : « Au Gabon et en Afrique en général, il est encore moins possible qu’ailleurs, de vivre de son art, il n’y a pas de tradition, de marché de l’art. » Lorsqu’ils travaillent chez eux, en Afrique, les photographes ne devraient plus devoir compter que sur eux-mêmes. Ils y gagneraient, prendraient de nouvelles responsabilités face aux « goulags tropicaux » (expression de Jean-François Chevrier). On assisterait à un véritable face à face, plus essentiel, opposant d’un côté ces consciences photographiques en acte du Sud et de l’autre les élites du même Sud. Car la nouvelle frontière n’est plus celle du néo-colonialisme. Les nouvelles frontières sont celles que les Africains rencontrent à l’intérieur de leur pays respectif. Ce qui revient à dire que la photographie géographiquement africaine se développera à l’unisson du panafricanisme.
Pour l’heure, en raison du lent et inexorable décloisonnement des genres et de l’hybridation des travaux auxquels on assiste, on peut avancer l’idée que notre période 1989 – 2009 correspond à une période de gestation.

Cette thèse a été soutenue le 24 juin 2010, à Paris I Sorbonne, 46, rue Saint-Jacques, mention très honorable avec félicitations du jury.